Anticoagulants. Grâce à leur facilité d’utilisation et à un moindre risque hémorragique, les indications des anticoagulants oraux d’action directe se sont beaucoup étendues. Pour autant, la surveillance des patients traités doit rester rigoureuse.
L’Agence de sécurité du médicament et des produits de santé estimait à 1,49 million le nombre de patients sous anticoagulants oraux en France en 2013. Les anticoagulants sont essentiels dans la prise en charge des pathologies cardiovasculaires thrombotiques, avec un rapport bénéfice-risque étroit et un risque hémorragique significatif.1
Les antagonistes de la vitamine K (AVK) sont la première cause d’hospitalisation d’origine iatrogène en France et on dénombre 5 000 à 6 000 accidents hémorragiques mortels par an. La nécessité d’une surveillance biologique, les nombreuses interactions médicamenteuses et alimentaires, les ajustements en cas de modification des coprescriptions, un indice thérapeutique étroit sont autant de difficultés liées à leur usage. Les AVK ont un effet procoagulant dans les premières heures d’utilisation et un délai avant un effet antithrombotique de 3 à 6 jours. Ils ont en revanche l’avantage d’avoir un antidote (la vitamine K) peu onéreux, actif en 6 heures, mais d’efficacité discutable.
Les héparines non fractionnées (HNF) et les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont des anticoagulants indirects utilisés depuis plusieurs décennies. Les HNF ont une activité anti-Xa et anti-IIa équivalente, tandis que les HBPM ont une activité anti-Xa prédominante. Ces médicaments nécessitent une adaptation posologique individuelle, ne sont disponibles que sous forme injectable, sont d’origine animale et ont un risque de thrombopénie induite par l’héparine et d’ostéoporose. Le fondaparinux, inhibiteur sélectif synthétique de l’activité anti-Xa, a été développé plus récemment, avec l’avantage d’une dose fixe et l’absence de risque de thrombopénie induite.
Les anticoagulants oraux d’action directe (AOD) sont une alternative à la fois aux anticoagulants rapides injectables et aux AVK, ils sont disponibles depuis 2008 en France.

Principales caractéristiques pharmacologiques

Les AOD sont des anticoagulants spécifiques et réversibles. Il en existe deux familles : les gatrans (un seul représentant, le dabigatran étexilate [Pradaxa]), inhibiteurs sélectifs de la thrombine ; les xabans, inhibiteurs sélectifs du facteur Xa (le rivaroxaban [Xarelto], l’apixaban [Eliquis] et l’édoxaban [Lixiana]). Leurs carac- téristiques permettent une administration per os et une posologie fixe pour une même indication. Leur indice thérapeutique est large et leur utilisation ne nécessite pas de surveillance par des tests d’hémostase ; ils sont d’origine synthétique et sans risque de thrombopénie induite par l’héparine. Enfin, des antidotes sont disponibles, avec une action biologique rapide. Leurs mécanismes d’action sont exposés dans la figure p. 475.
Le pic d’action des AOD est compris entre 1 et 3 heures, offrant une efficacité rapide avec une demi-vie courte comprise entre 9 et 17 heures suivant les molécules. L’élimination est rénale (80 % pour le dabigatran et 25 % pour l’apixaban) et hépatique. En cas d’insuffisance rénale, il existe un risque de surdosage, et les AOD sont contre-indiqués si la clairance de la créatinine calculée selon la formule de Cockcroft est inférieure à 30 mL/min. Ils sont également contre-indiqués en cas de cirrhose Child B ou C.
En raison de leur faible poids moléculaire, les AOD traversent la barrière placentaire. Il n’a pas été notifié d’effet fœtotoxique, mais peu d’informations sur les effets tératogènes sont disponibles à ce jour. Les AOD ne doivent donc pas être prescrits en cas de grossesse ou d’allaitement. Dans le cas de grossesses débutées sous AOD, un relais par HBPM est instauré.
Leurs interactions médicamenteuses sont en rapport avec leur métabolisme : via la glycoprotéine P pour les deux classes et le CYP3A4 pour les xabans. Il n’y a pas d’interaction avec l’alimentation. L’absorption du dabigatran dépend du pH gastrique et est notamment diminuée en cas de prise d’inhibiteurs de la pompe à protons. Les principales interactions médicamenteuses sont présentées dans le tableau 1.

Principales indications

Prévention primaire en chirurgie

De même que les HBPM ou le fondaparinux, les AOD peuvent être utilisés en première intention après une chirurgie programmée du genou ou de la hanche en prévention de la maladie veineuse thromboembolique. Ils ne sont pas recommandés après la chirurgie pour fracture de la hanche, faute de données cliniques. Après la mise en place d’une prothèse de la hanche, la durée de la prophylaxie est de 32 à 38 jours pour l’apixaban et de 35 jours pour le dabigatran. Après la pose d’une prothèse du genou, la durée d’anticoagulation est de 14 jours pour le rivaroxaban, de 10 à 14 jours pour l’apixaban et de 10 jours pour le dabigatran. Les posologies sont de 220 mg une fois par jour avec le dabigatran, 10 mg une fois par jour pour le rivaroxaban, et 2,5 mg deux fois par jour pour l’apixaban. Une adaptation est nécessaire pour le dabigatran, avec une diminution de posologie à 150 mg par jour en une prise en cas d’insuffisance rénale modérée, d’âge supérieur à 75 ans, d’association avec l’amiodarone, la quinidine ou le vérapamil. En cas d’insuffisance rénale modérée et de prise conjointe de vérapamil, une diminution du dabigatran à 75 mg une fois par jour est préconisée.

Maladie veineuse thromboembolique

Seuls le rivaroxaban et l’apixaban ont l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et un prix de remboursement dans la maladie veineuse thromboembolique. Les tableaux 2et 3 résument les études ayant évalué les AOD à la phase initiale et en traitement prolongé de la maladie veineuse thromboembolique.
Chez les patients avec une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire sans pathologie cancéreuse sous-jacente, les recommandations publiées en 2016 par l’American College of Chest Physicians préconisent en première intention2 (selon un grade 2B) les AOD plutôt qu’un schéma classique héparines-AVK. Les AOD sont, en revanche, positionnés en 3e intention après les HBPM et les AVK chez les patients atteints d’un cancer (grade 2C). Chez les patients ayant une maladie veineuse thromboembolique récidivante sous AVK ou AOD, un relais par HBPM est préconisé (grade 2C). Ils sont initiés immédiatement sans traitement précédent par HNF, HBPM ou fondaparinux et remplacent donc à la fois les traitements anticoagulants d’action rapide parentéraux et les AVK.
Une stratification des embolies pulmonaires selon le niveau de risque évalué par le Pulmonary Embolism Severity Index (score PESI) permet de nuancer les indications à la phase initiale de la prise en charge : le traitement des embolies pulmonaires dites « à faible risque » peut faire appel aux AOD ou à une anticoagulation classique si le score PESI est inférieur ou égal à 2, et être conduit en ambulatoire après un temps d’évaluation de moins de 24 heures et en ayant soigneusement sécurisé la filière de prise en charge. Les embolies pulmonaires dites à « risque intermédiaire » sont prises en charge en hospitalisation par AOD ou par anticoagulation classique, tandis que les embolies pulmonaires à haut risque, c’est-à-dire associées à un état de choc ou à une instabilité hémodynamique, sont traitées par héparine intraveineuse à la seringue électrique et ne relèvent pas d’un traitement par AOD, du moins à la phase aiguë. Les modalités de prescription des différents AOD sont détaillées dans les tableaux 4 et 5.
La place des AOD dans le traitement prolongé de la thromboembolie a fait l’objet de plusieurs études. L’étude AMPLIFY-EXT a montré une supériorité de l’apixaban à dose réduite (2,5 mg 2 fois par jour) et à dose pleine par rapport à un placebo : à 1 an de suivi, on observe significativement moins d’événements thromboemboliques ou de décès dans les deux bras « apixaban », au prix d’une augmentation du risque d’hémorragies non graves. L’étude EINSTEIN-EXTENSION a comparé un traitement prolongé par rivaroxaban 20 mg par jour à un placebo : on observe une réduction significative du risque embolique au prix d’une augmen- tation du risque hémorragique non majeur, tandis que l’étude EINSTEIN CHOICE, qui a comparé le rivaroxaban 20 mg et 10 mg à l’aspirine, a mis en évidence un taux de récidive thromboembolique fatale ou non près de 3 fois inférieur dans les groupes « rivaroxaban à dose pleine » et « rivaroxaban à dose réduite » par rapport au groupe « aspirine », mais un risque hémorragique sensiblement identique entre les trois groupes. Toutefois, ces études n’ont pas une puissance suffisante pour démontrer une supériorité des AOD à dose réduite par rapport à dose pleine sur le risque hémor- ragique et une non-infériorité sur l’efficacité lors du traitement au long cours de la maladie veineuse thromboembolique de patients à haut risque de récidive thromboembolique. L’essai randomisé contrôlé RENOVE (NCT03285438), évaluant l’apixaban ou le rivaroxaban à dose pleine versus dose réduite, est en cours, il tentera de répondre à cette question au terme de 2 ans de suivi moyen.

Fibrillation atriale non valvulaire

Les recommandations concernant le traitement anticoagulant des fibrillations atriales non valvulaires diffèrent en France et en Europe. Selon la Haute Autorité de santé, une anticoagulation par AVK est recommandée dans la fibrillation atriale non valvulaire si le score CHA2DS2-VASc (tableau 6) est supérieur ou égal à 2. Les AOD étant proposés en seconde intention. Pour des scores inférieurs, le traitement par AOD est à discuter. Selon les recomman- dations européennes réactualisés en 2017,3 un traitement anticoa- gulant, de préférence par AOD (grade IA), n’est pas indiqué si le score CHA2DS2-VASc est égal à 0 ; il est à envisager si le score est égal à 1 chez un homme ou 2 chez une femme de moins de 65 ans ; il est formellement indiqué si le score est supérieur à 2 chez l’homme ou à 3 chez une femme de moins de 65 ans (grade 2A).

AOD et sujet âgé

Alors que l’incidence de la fibrillation atriale et de la maladie veineuse thromboembolique augmente avec l’âge, les patients âgés de plus 75 ans sont sous-représentés dans les essais cliniques évaluant les AOD. Une méta-analyse portant sur l’efficacité et le risque de saignement chez les personnes âgées de plus de 75 ans traitées pour une maladie veineuse thromboembolique aiguë ou pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC) dans la fibrillation atriale suggère une non-infériorité des AOD par rapport aux AVK, avec une efficacité similaire par rapport aux autres patients de ces études.4 Le dabigatran à une posologie quotidienne de 150 mg est associé à une tendance à l’augmentation du risque de saignement par rapport aux AVK, tandis que l’apixaban et l’edoxaban sont associés à une réduction du risque de saignement majeur par rapport aux AVK chez ces personnes âgées. Le rivaroxaban a, enfin, un risque de saignement similaire aux AVK. Dans toutes les études concernant la maladie veineuse thrombo- embolique ou la fibrillation atriale non valvulaire, le risque d’hémorragie cérébrale est diminué de 50 % dans le bras « AOD » par rapport aux bras « AVK ». Parallèlement, le risque de saignement gastro-intestinal est plus important chez les patients sous dabigatran par rapport aux AVK. On ne dispose pas de données sur la polypathologie et la fragilité des patients traités âgés dans ces études.
Les personnes âgées étant sujets à la polymédication et à un risque accru d’insuffisance rénale, il faut prendre en compte les traitements pris par le patient dans le choix de l’anticoagulation. Une surveillance de la fonction rénale est primordiale chez ces patients.

Situations pour lesquelles la place des AOD a été étudiée mais non validée


Prévention de la maladie veineuse thromboembolique en médecine

Dans l’étude récente APEX5 comparant le bétrixaban (anti-Xa) à l’éno- xaparine dans la prévention de maladie veineuse thromboembolique, l’AOD n’a pas montré la supériorité escomptée par rapport à l’énoxaparine. Les résultats des études MAGELLAN pour le rivaroxaban et ADOPT pour l’apixaban sont tout aussi décevants. Il n’y a donc pas d’indication à la mise en place d’AOD en médecine dans la prévention de la maladie veineuse thromboembolique.

Fibrillation atriale valvulaire

Le terme de fibrillation atriale valvulaire a récemment été abrogé par la Société européenne de cardiologie car il regroupait des populations hétérogènes de patients à niveau de risque embolique variable. La pathologie valvulaire sous-jacente lui est préférée en termes de stratification du risque. Les fibrillations atriales survenant dans un contexte de sténose mitrale modérée à sévère et en présence d’une valve prothétique mécanique ont été systématiquement exclues des essais cliniques incluant des AOD dans la fibrillation atriale : il n’y pas d’indication à leur emploi dans ce contexte, avec un sur-risque de thrombose de la valve. Une méta-analyse des essais de phase III centrée sur les patients ayant une fibrillation atriale sur une pathologie valvulaire autre montrait une effica- cité et une sécurité similaire des AOD avec ou sans pathologie valvulaire.6

AOD après remplacement valvulaire

L’étude RE-ALIGN avait pour objectif de comparer le dabigatran (à une posologie supérieure à celle utilisée dans la fibrillation atriale) à la warfarine sur la survenue d’événements thromboemboliques et hémorragiques après remplacement valvulaire mitral ou aortique.7 L’étude a été interrompue prématurément en raison d’une augmentation du taux d’événements thromboemboliques et hémorragiques dans le groupe « dabigatran » par rapport au groupe « warfarine ». Cet échec pourrait être secondaire à la combinaison d’une exposition du sous- endothélium lors de la mise en place d’une prothèse valvulaire, à l’exposition du matériel prothétique à la circulation et à une libération de facteur tissulaire dans la circulation. Une concentration plasmatique en anticoagulant plus faible dans les premiers jours de mise en place pourrait aussi être en cause.

Situations pour lesquelles la place des AOD reste à définir


Syndrome coronaire aigu

L’utilisation des AOD dans le syndrome coronaire aigu est séduisante du point de vue physiopathologique. Une étude de phase II sur le dabigatran en association avec une bi-antiagrégation plaquettaire a montré une augmentation des hémorragies, stoppant le développement de la molécule dans cette indication. L’apixaban dans l’étude de phase III (APPRAISE 2) a également échoué à montrer une réduction du critère composite associant infarctus du myocarde, AVC et décès d’origine cardiovasculaire, avec une augmentation des hémorragies majeures dans le groupe intervention. Seul le rivaroxaban a montré une réduction de ce même critère composite à deux dosages (2,5 et 5 mg deux fois par jour), mais seule la plus faible dose a montré une réduction de la mortalité cardiovasculaire et de la thrombose de stent. Il existait en parallèle une augmentation des hémorragies non liées au pontage, des hémorragies intracrâniennes, mais pas d’hémorragies fatales. Le rivaroxaban dispose d’une AMM européenne en association avec l’aspirine et le clopidogrel, mais cette association a une place difficile à définir, en attendant d’autres essais en cours. Les AOD ont été évalués dans la fibrillation atriale nécessitant une angioplastie : l’association dabigatran-inhibiteur de P2Y12 (clopidogrel ou ticagrélor) montrait une réduction des saignements et une non-infériorité sur le plan thromboembolique par rapport à l’association inhibiteur de P2Y12-aspirine-warfarine. L’apixaban dans l’étude ANGUSTUS (NCT02415400) et l’édoxaban dans l’étude ENTRUST-AF PCI (NCT02866175) sont également en cours d’évaluation dans cette indication. Selon les recommandations européennes de la Société de cardiologie8, la poursuite d’un AOD est possible à la phase aiguë d’un syndrome coronaire chez les patients traités au préalable et nécessitant une double antiagrégation plaquettaire ; celle-ci n’est réalisée que par une association d’aspirine et de clopidogrel avec une durée minimale de 1 mois. En cas d’usage de rivaroxaban, celui-ci est prescrit à la posologie de 15 mg par jour.

Maladie veineuse thrombo- embolique et cancer

Il n’existe pas de preuve de la supériorité des AOD sur les HBPM dans le traitement des maladies thromboemboliques associées au cancer : les HBPM sont privilégiées en première intention par les recommandations actuelles, en attendant les résultats des études en cours. Dans l’étude HOKUSAI-CANCER publiée récemment, l’édoxaban a montré une non-infériorité par rapport à la daltéparine sur un critère composite associant risque de récidive thromboembolique et risque de saignement. L’étude SELECT-D (NCT02583191) a comparé le rivaroxaban à la daltéparine dans une population de patients atteints de cancer avec une phase d’extension chez ceux qui avaient une thrombose veineuse résiduelle à 6 mois : ses résultats sont attendus prochainement.

Les AOD dans la « vraie vie » : efficacité, sécurité et observance

Dans une méta-analyse parue dans le Lancet en 2014 regroupant les essais de phase III qui comparaient des AOD à des placebos chez des patients en fibrillation atriale,9 l’analyse mettait en évidence une réduction des AVC ou des embolies systémiques de 19 % par rapport à la warfarine, expliquée par une réduction des AVC hémorragiques. On observait également une réduction de la mortalité et des saignements intracérébraux avec une augmentation des risques de saignements gastro-intestinaux. Toutefois, ces résultats sont à tempérer, car le traitement anticoagulant dans le groupe « AVK » n’était pas optimal. En effet, le temps passé en zone thérapeutique (international normalized ratio [INR] entre 2 et 3) est inférieur à 65 % (c’est-à-dire INR au-dessus ou en dessous de la fourchette recommandée dans 35 % du temps), ce qui peut indirectement favoriser les AOD.
Dans l’analyse d’une base de données colligeant 64 661 patients atteints de fibrillation atriale non valvulaire sous anticoagulants oraux entre 2010 et 2014, 47,5 % des patients sous AOD contre 40,2 % des patients sous AVK prenaient leur traitement pendant au moins 80 % de la période d’étude.10 L’observance semblait varier selon le type d’AOD et le niveau de risque thromboembolique, avec une augmentation du niveau d’observance avec l’élévation du score CHA2DS2-VASc et une meilleure observance pour l’apixaban par rapport au rivaroxaban, puis au dabigatran. Il était également observé une augmentation du risque d’AVC ischémique et d’embolie systémique au-delà du CHA2DS2-VASc 1 chez les patients non observants pendant plusieurs mois par rapport aux patients observants.

Bilan d’hémostase, gestion du risque hémorragique et antidotes

Il n’y a pas de modification des temps de prothrombine (TP) de céphaline activée (TCA) sous apixaban alors que le TP est abaissé et le TCA augmenté sous dabigatran et rivaroxaban. Le fibrinogène est ininterprétable sous rivaroxaban et inchangé sous dabigatran. Le dosage de l’activité anti-Xa est modifié de façon variable et n’est pas représentatif de la concentration en anticoagulant. Les AOD modifient significativement l’héparinémie et rendent son dosage difficilement interprétable dans les jours suivant un relais par héparine. Il n’y a donc pas d’intérêt au monitoring des tests d’hémostase sous AOD. Le seul dosage à effectuer en routine chez le patient sous AOD est la clairance de la créatinine, à faire une fois par an avec la formule de Cockcroft (seule utilisée dans les essais cliniques). Il est possible de doser les AOD, mais l’interprétation des résultats du dosage est étroitement corrélée à l’heure de la dernière prise, et la variabilité interindividuelle est importante. Le seuil de risque hémorragique lié à un AOD est de 30 à 50 ng/mL ; un surdosage en dabigatran est établi au-dessus de 200 ng/mL et probablement pour tous les AOD au-delà de 500 ng/mL. L’intérêt du dosage réside essentiellement en cas d’hémorragie grave : une concentration de l’AOD en dessous de 30 ng/mL est un argument en défaveur de la mise en place d’une antagonisation spécifique.
Le Groupe d’intérêt en hémostase préopératoire (GIHP) a publié en septembre 2015 des recommandations formalisées d’experts concernant la gestion des AOD pour la chirurgie, les actes invasifs programmés et pour la gestion des hémorragies.11
En cas de saignement survenant sous AOD, il est essentiel de connaître l’heure et la posologie de la dernière prise d’AOD : la demi-vie de ces traitements étant courte, la restauration de l’hémostase du patient intervient dans les 12 à 24 heures après la dernière prise. Le risque de surdosage et le temps d’élimination dépendant de la fonction rénale, une estimation du débit de filtration glomérulaire est primordiale. Le charbon activé peut être proposé dans les 6 heures après la prise. En cas d’hémorragie menaçant le pronostic vital, des concentrés complexes prothrombiques à la posologie de 50 UI/kg ou du FEIBA* à la posologie de 30 à 50 UI/kg sont proposés. Le dabigatran se lie peu aux protéines plasmatiques, permettant de proposer la dialyse en cas d’hémorragie massive, ce qui n’est pas le cas des anti-Xa actuellement sur le marché. La place des antidotes est difficile à apprécier, les choix méthodologiques réalisés dans les études évaluant leur efficacité étant discutables. Le seul antidote aux AOD actuellement disponible est l’idarucizumab (Praxbind), anticorps monoclonal humanisé ayant une forte affinité pour le dabigatran : il neutralise son effet anticoagulant sans interférer dans la cascade de la coagulation physiologique. Il est réservé à l’usage hospitalier, administré sous la forme de deux perfusions ou bolus de 2,5 g pour une dose totale de 5 g pouvant être renouvelée une fois. Il a montré son efficacité sur la réversibilité de tests d’activité biologique spécifiques, mais la restauration de l’hémostase est longue, en moyenne à 11,4 heures de l’injection.12 L’andexanet alfa est une protéine humaine recombinée, destinée à antagoniser les inhibiteurs du facteur Xa ; elle a été évaluée chez les patients ayant une hémorragie majeure et sous traitement anti-Xa dans une étude de cohorte multicentrique, de sécurité et d’efficacité, sans groupe comparateur ; elle montrait une réduction rapide et substantielle de l’activité anti-Xa et une réponse hémostatique à 12 heures. L’administration sous forme de bolus est suivie d’une perfusion continue de 2 heures avec une posologie adaptée à l’heure de la dernière prise d’anti-Xa. Ce traitement ne dispose pas pour l’instant d’AMM en France.13
Les anticoagulants oraux d’action directe vont remplacer à terme les antagonistes de la vitamine K et les anticoagulants d’action rapide dans la majorité de leurs indications. Leur facilité d’emploi ne doit en aucun cas modifier la rigueur de la surveillance clinique de ces patients et des programmes d’éducation thérapeuti- que. Ils sont indiscutablement un progrès thérapeutique dans la prise en charge des pathologies throm- botiques. 
* Le FEIBA est un mélange concentré, d’origine plasmatique, de facteurs du complexe prothrombique activé qui apporte les facteurs de coagulation II, VII, IX, X activés et non activés.

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