La maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) est fréquente, invalidante et potentiellement grave.
L’incidence annuelle de la thrombose veineuse profonde (TVP) en France est de 1 à 2 cas/1 000 habitants,1 tandis que celle de l’embolie pulmonaire (EP) est estimée à 1 cas/1 000 habitants.2 Sa morbi-mortalité est élevée avec, à 3 mois, un taux de mortalité global à 8,65 % dont 1,68 % d’EP fatale.3 L’incidence de la MTEV augmentant avec l’âge, le nombre absolu de cas continuera à croître ces prochaines années.4

Instaurer le traitement

La prise en charge comporte 3 phases. En aigu – premiers jours ou semaines – l’objectif est de stopper l’extension du thrombus et d’éviter des récidives emboliques précoces. Dans les formes les plus graves, on peut être amené à réaliser une lyse rapide du thrombus et/ou des emboles pour en limiter les conséquences immédiates (hypertension artérielle pulmonaire avec cœur pulmonaire aigu, thrombose occlusive avec ischémie de membre). La phase d’entretien correspond aux 3 à 6 mois suivant l’épisode aigu. Durant cette période, la thrombolyse naturelle permet de déliter les thrombus et les emboles. Enfin, la dernière est celle de la prévention secondaire d’une récidive thrombo-embolique veineuse.
Le traitement initial comporte, depuis presque 10 ans déjà, 2 modalités : soit l’injection rapide d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) ou du fondaparinux (Arixtra) assortie d’un relais précoce par AVK avec une période de chevauchement ; soit un anticoagulant oral direct (AOD), avec ou sans héparinothérapie préalable. Ces options sont désormais bien documentées et codifiées, ayant fait l’objet de recommandations consensuelles de grade A. Globalement, l’utilisation des anticoagulants a doublé entre 2000 et 2012. Durant l’année 2013, un peu plus de 3 millions de patients en ont reçu au moins un.5
Les AVK, warfarine (Coumadine), acénocoumarol (Sintrom) et fluindione (Previscan) sont les molécules historiquement les plus utilisées. Avantages : le recul important sur leurs efficacité et sécurité, des règles d’adaptation posologique validées et la possibilité de gérer les surdosages. Cependant, le monitorage de l’INR – pour s’assurer que l’objectif cible, fixé entre 2 et 3 est atteint – impose des prises de sang régulières.
Si la prescription d’un AVK est envisagée, la famille des coumariniques (warfarine ou acénocoumarol) doit être privilégiée, la warfarine étant la mieux évaluée. La fluindione ne doit être utilisée qu’en dernière intention au regard du risque d’atteintes immuno-allergiques, souvent sévères, apparaissant dans les 6 premiers mois, plus fréquentes qu’avec les autres AVK.6, 7
Depuis 2009, une nouvelle classe d’AOD est disponible ; ces médicaments oraux inhibent la thrombine (anti-IIa : dabigatran, Pradaxa) ou le facteur X activé (anti-Xa : rivaroxaban, Xarelto ; apixaban, Eliquis ; edoxaban : pas disponible).
Selon leurs indications, ils sont une alternative aux AVK et/ou aux HBPM.5 S’agissant de molécules récentes, il faut connaître leurs caractéristiques et les règles de prescription (tableau 1).
Actuellement, 3 stratégies sont envisageables, fondées sur les essais thérapeutiques dans le traitement des TVP et EP :
– traitement injectable – HBPM ou fondaparinux – et relais précoce par une AVK avec période de chevauchement tant que l’INR cible n’est pas atteint ;
– AOD d’emblée avec une dose initialement plus forte, pendant 1 semaine pour l’apixaban, 3 semaines pour le rivaroxaban ;
– héparine durant 5 jours au minimum puis relais par un AOD (dabigatran) sans période de chevauchement.
En France, en 2019, le rivaroxaban et l’apixaban ont l’AMM et le prix de remboursement. Seuls ces 2 AOD peuvent donc être prescrits dans l’indication de MTEV. En 2015, le dabigatran a obtenu une extension d’AMM européenne dans cette affection, mais le laboratoire n’a pas demandé l’avis de la commission de la Transparence pour être remboursé en France (il n’est donc pas utilisé dans la MTEV).

Cas particuliers

Non-indication. Sauf décision spécia- lisée argumentée, les AOD ne sont pas recommandés chez les femmes enceintes ou qui allaitent, les jeunes enfants, les patients atteints d’un syndrome des antiphospholipides (SAPL), les sujets de poids extrêmes, ainsi qu’en cas de troubles de l’absorption digestive.
Patients fragiles. L’apixaban est prescrit à 2,5 mg x 2/j en présence d’au moins 2 des caractéristiques suivantes : âge ≥ 80 ans, poids ≤ 60 kg, créatinine sérique ≥ 1,5 mg/dL. Pour le dabigatran : 110 mg x 2/j chez les patients de 80 ans et plus. Entre 75 et 80 ans, la nécessité d’une faible dose doit être évaluée individuellement.
Thrombose et cancer. Il est recommandé de traiter les malades atteints de cancer actif et d’une MTEV par une HBPM sans relais par AVK ni AOD pendant les 6 premiers mois. Un cancer est dit actif si la maladie tumorale est encore détectable (y compris à l’aide d’un biomarqueur) et qu’un traitement antitumoral (dont l’hormonothérapie) est en cours dans les 6 mois précédant le diagnostic de MTEV.

Reversion de l’anticoagulation

Les AVK induisent un défaut de synthèse des facteurs de coagulation II, VII, IX et X. Cet effet est annulé quasi immédiatement par l’administration de ces facteurs contenus dans les concentrés du complexe prothrombinique, et en environ 6 heures après injection de vitamine K. Cette antagonisation est bien protocolisée par la HAS. Malgré cela, les hémorragies graves sous AVK sont plus sévères en termes d’évolution vers le décès ou une invalidité.
Pour le dabigatran, un agent de réversion a été spécifiquement développé : l’idarucizumab (Praxbind). Il s’agit de fractions Fab d’anticorps spécifiques et à très haute affinité pour le dabigatran. Son efficacité biologique est démontrée.10 Pour les inhibiteurs de l’anti-Xa, l’Agence européenne des médicaments a donné un avis favorable à l’autorisation de l’andexanet alpha (Ondexxya), mais celui-ci n’est pas encore disponible. Les données s’accumulent sur l’intérêt des facteurs de coagulation (II, IX, X, VIIa) à forte dose dans les hémorragies sous AOD.

Traitement initié, et après ?

La prise en charge requiert une collaboration étroite entre le médecin traitant (suivi régulier, diagnostic de récidive ou de complication de la MTEV), une structure spécialisée le plus souvent hospitalière (éducation thérapeutique, choix de la durée du traitement, expertise des situations complexes) et le spécialiste libéral, le plus souvent médecin vasculaire (contrôle, suivi des séquelles, gestion des situations courantes).
Il n’est plus recommandé de maintenir le patient alité jusqu’à l’obtention d’une hypocoagulation. Le lever précoce n’est pas associé à un surrisque de récidive de MTEV. Une prise en charge ambulatoire est envisagée pour les EP sans signe de sévérité, avec un suivi régulier par un praticien expérimenté.
La compression veineuse n’a pas formellement démontré son efficacité sur le risque de récidive ni en prévention du syndrome post-phlébitique. Elle soulage les symptômes à la phase précoce.
L’éducation thérapeutique (ETP) est fondamentale. Elle s’accompagne d’une réduction majeure du risque de nouvel événement. Les guides du patient sous AVK/ou sous AOD contribuent à l’ETP dispensée par le praticien. Ils sont disponibles auprès de la Fédération française de cardiologie* : www.fedecardio.org. En collaboration avec le médecin généraliste, l’angiologue renforce l’éducation au traitement anticoagulant. Des associations de patients proposent des documents utiles : https://bit.ly/31XLs9r
On traite au minimum 3 à 6 mois : cela permet une dissolution du thrombus et limite le risque de récidive précoce. Après cette période, un anticoagulant au long cours en prévention secondaire est parfois indiqué.
Le critère principal pour décider de la durée est la présence ou non d’un facteur de risque transitoire majeur : chirurgie sous anesthésie générale, hospitalisation avec alitement pour affection médicale aiguë, traumatisme sévère avec immobilisation orthopédique d’un membre inférieur, grossesse ou post-partum… Dans ces cas, un traitement court est préconisé. Dans les autres situations, de nombreux facteurs doivent être pris en compte pour évaluer le rapport bénéfice/risque d’une prescription prolongée. Un avis spécialisé est requis.
Plusieurs études ont évalué l’intérêt d’un AOD au long cours à différentes posologies. L’apixaban à 2,5 mg x 2/j ou le rivaroxaban 10 mg/j ont ainsi démontré leur efficacité. Le bénéfice d’un traitement à dose réduite versus dose « pleine » n’est cependant pas démontré, en particulier chez les patients à très haut risque de récidive. En attendant le résultat des essais en cours, cette décision relève d’une analyse spécialisée individuelle.
Si une dyspnée persiste après une EP, une hypertension pulmonaire thrombo- embolique chronique doit être recherchée par échocardiographie puis scintigraphie de ventilation/perfusion. Une anticoagulation de durée indéfinie est recommandée, et une endartériectomie pulmonaire chirurgicale peut être proposée.
Le syndrome post-phlébitique est défini comme toute manifestation d’insuffisance veineuse chronique dans les suites d’une TVP. Il touche un patient sur 2 ou 3 dans les 2 ans après une TVP proximale, avec des séquelles sévères dans 10 % des cas. Un examen clinique bilatéral comparatif doit être fait à l’arrêt de l’anticoagulant ou à 6 mois, voire 1 an. Le score de Villalta peut être utile (tableau 2).11, 12
* 5, rue des Colonnes du Trône, 75012 Paris. Tél.: 01 44 90 83 83 infos@fedecardio.org
Encadre

AOD versus AVK : qui s’en sort le mieux ?

Deux méta-analyses datant de 2014 regroupent les données des principales études (au total 24 445 et 27 023 patients) ayant comparé ces 2 classes dans la MTEV.8, 9

Concernant l’efficacité, elles montrent la non-infériorité des AOD versus AVK sur le risque de récidive thrombo-embolique veineux (risques relatifs respectifs à 0,88 [IC à 95 % : 0,74-1,05] et 0,90 [IC à 95 % : 0,77-1,06]).

Sécurité. Dans ces méta-analyses de grande ampleur et de méthodologie robuste, on note une réduction de 47 % des hémorragies mortelles, de 39 % des hémorragies graves, et de 66 % des saignements intracrâniens sous AOD comparativement aux AVK. Cette plus grande sécurité des AOD, en particulier concernant les hémorragies intracrâniennes a été confirmée dans plusieurs études de très grande ampleur.

Non-infériorité en termes de récidive thrombo-embolique, supériorité quant aux hémorragies graves et cérébrales, simplicité d’emploi sont les raisons qui soutiennent la prescription d’un AOD en première intention.

Références
1. Naess IA, Christiansen SC, Romundstad P, Cannegieter SC, Rosendaal FR, Hammerstrom J. Incidence and mortality of venous thrombosis: a population-based study. J Thromb Haemost 2007;5:692-9.
2. Konstantinides S, Torbicki A, Agnelli G, et al. 2014 ESC guidelines on the diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Kardiol Pol 2014;72:997-1053.
3. Laporte S, Mismetti P, Décousus H, et al. Clinical predictors for fatal pulmonary embolism in 15,520 patients with venous thromboembolism: findings from the Registro Informatizado de la Enfermedad TromboEmbolicavenosa (RIETE) Registry. Circulation 2008;117:1711-6.
4. Mazzolai L, Aboyans V, Ageno W, et al. Diagnosis and management of acute deep vein thrombosis: a joint consensus document from the European Society of Cardiology Working Groups of Aorta and Peripheral Circulation and Pulmonary Circulation and Right Ventricular Function. Eur Heart J 2018;39:4208-18.
5. Ansm. Les anticoagulants en France en 2014: état des lieux, synthèse et surveillance. Rapport. Avril 2014.
6. Ansm. Prévention et traitement de la maladie thrombo- embolique veineuse en médecine. Recommandations de bonne pratique. Décembre 2009. https://bit.ly/2X6AM4q
7. HAS. Prise en charge des surdosages en antivitamines K, des situations à risque hémorragique et des accidents hémorragiques chez les patients traités par antivitamines K en ville et en milieu hospitalier. Avril 2008. https://bit.ly/31XJJRi
8. van der Hulle T, Kooiman J, den Exter PL, Dekkers OM, Klok FA, Huisman MV. Effectiveness and safety of novel oral anticoagulants as compared with vitamin K anta- gonists in the treatment of acute symptomatic venous thromboembolism: a systematic review and meta- analysis. J Thromb Haemost 2014;12:320-8.
9. van Es N, Coppens M, Schulman S, Middeldorp S, Buller HR. Direct oral anticoagulants compared with vitamin K antagonists for acute venous thromboembolism: evidence from phase 3 trials. Blood 2014;124:1968-75.
10. Pollack CV Jr, Reilly PA, van Ryn J, et al. Idarucizumab for dabigatran reversal – full cohort analysis. N Engl J Med 2017;377:431-41.
11. Prandoni P, Kahn SR. Post-thrombotic syndrome: prevalence, prognostication and need for progress. Br J Haematol 2009;145:286-95.
12. Villalta S, Bagatella, Piccioli A, et al. Assessment of the validity and reproducibility of a clinical scale for the post-thrombotic syndrome (abstract). Haemostasis 1994;24:158a.

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essentiel

Les AOD sont une alternative aux AVK (non-infériorité sur la récidive des ETEV).

Ils induisent moins d’hémorragies graves que les AVK.

Seuls le rivaroxaban et l’apixaban ont l’AMM et sont remboursés dans le traitement de la MTEV.

Les AOD sont indiqués en prévention de la MTEV lors d’une chirurgie lourde mais pas en traumatologie.