Pour la première fois, des chercheurs français ont mis en évidence le lien entre la prise d’antiémétiques et le risque d’AVC ischémique. Retour sur les résultats de cette étude et les règles de bon usage de ces médicaments.
On sait depuis 20 ans que les antipsychotiques sont associés à un surrisque d’AVC ischémique, qui augmente avec l’âge. Les mécanismes sous-jacents ne sont pas élucidés, mais l’action antidopaminergique, communes à ces molécules, est une hypothèse possible.
Est-ce que certains antiémétiques – dompéridone, métoclopramide et métopimazine –, qui ont également cette propriété, peuvent aussi induire un surrisque d’AVC ?
C’est la question que se sont posée des chercheurs de l’Inserm et de l’université et du CHU de Bordeaux dans cette étude publiée dans le British Medical Journal.
Les auteurs, s’appuyant sur les données de remboursement de l’Assurance maladie (régime général, comprenant 77 % de la population française) et celles des admissions à l’hôpital, ont réalisé une étude dite de « cas propre-témoin » : l’utilisation du médicament dans les 14 jours précédant l’AVC est comparée à une prise au cours d’une période plus ancienne (allant jusqu’à 70 jours précédant l’AVC) où elle ne peut l’avoir provoqué. En pratique : une utilisation plus importante d’antiémétique dans la période qui procède immédiatement l’accident est en faveur d’un rôle joué par celui-ci.
Cette méthode permet d’exclure automatiquement l’imputabilité des facteurs de risque personnels d’AVC ischémique : tabagisme, IMC, activité physique, habitudes alimentaires ; d’autres facteurs susceptibles de varier chez un même individu ont été considérés et notamment l’utilisation de médicaments connus pour augmenter le risque d’AVC (comme les vasoconstricteurs) ou au contraire pour le réduire (anticoagulants, antiagrégants plaquettaires).
L’étude a donc inclus 2 612 adultes (âge moyen : 71,9 ans ; 33,9 % d’hommes) ayant été hospitalisés pour un premier AVC ischémique entre 2012 et 2016, sans antécédent de pathologie cérébrovasculaire, et ayant débuté un traitement par antiémétiques dans les 70 jours précédents. Les analyses montrent une plus forte consommation d’antiémétiques dans les jours précédant l’AVC, avec un pic à l’initiation du traitement (figure).
Cette augmentation était retrouvée pour les trois antiémétiques étudiés, même si elle était plus importante pour la métopimazine et le métoclopramide que pour la dompéridone.
Pour éliminer un biais dans les résultats qui pourrait survenir si l’utilisation du médicament variait fortement au cours du temps dans la population générale (par exemple, lors d’épidémies de gastro-entérite aiguë), les auteurs ont analysé, sur la même période, un groupe aléatoirement constitué de 21 859 personnes n’ayant pas eu d’AVC. Aucun pic ou excès d’utilisation d’antiémétiques comparable à celui mis en évidence chez les patients ayant eu un AVC n’a été retrouvé.
Ainsi, cette étude pointe une augmentation du risque d’AVC ischémique dans les premiers jours d’utilisation des médicaments antiémétiques antidopaminergiques. Les mécanismes impliqués ne sont pas élucidés mais leurs effets arythmogènes pourraient être en cause.
Ces résultats sont d’autant plus importants que ces médicaments sont encore largement utilisés en France dans le traitement symptomatique des nausées et vomissements d’origines diverses : gastro-entérite aigüe, migraine, contexte post-opératoire, chimio- ou radiothérapie.
Rappel du bon usage (recos HAS) des antiémétiques
La prescription de dompéridone (Motilium, Peridys, Oroperidys), métoclopramide (Anausin, Primperan, Prokinyl LP) ou métopimazine (Vogalène) ne doit être envisagée que si la prescription apparaît indispensable, c’est-à-dire uniquement en cas de vomissements ayant à court terme des complications graves ou très gênantes.
Ces médicaments ne sont pas destinés en première intention à soulager des symptômes après un acte opératoire ou lors d’un traitement anticancéreux (radiothérapie ou chimiothérapie).
Chez le sujet âgé, leur utilisation est à éviter. Chez l’enfant, la dompéridone et le métoclopramide ne doivent pas être utilisés et la métopimazine est à éviter.
Il convient de respecter :
• la posologie, qui doit être la plus faible possible ;
• la durée de traitement, qui doit être la plus courte possible, habituellement moins de 1 semaine (5 jours pour le métoclopramide) ;
• les contre-indications : comorbidités et interactions médicamenteuses.
Laura Martin Agudelo et Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Inserm. Augmentation du risque d’AVC ischémique associée à certains médicaments destinés à soulager les nausées et vomissements. 24 mars 2022.
Bénard-Laribière A, Hucteau E, Debette S, et al. Risk of first ischaemic stroke and use of antidopaminergic antiemetics: nationwide case-time-control study. BMJ 23 mars 2022.
HAS. Médicaments antiémétiques dans le traitement symptomatique des nausées et vomissements. 27 mai 2019.