Évaluer les interactions entre les symptômes, la personnalité de l’enfant et l’environnement.
Anxiété et angoisse sont un phénomène émotionnel (peur ressentie dans certaines situations) accompagné de symptômes somatiques (maux de ventre, céphalée) et cognitifs (peur des moqueries, d’être malade, de vomir, qu’un parent meurt...). La phobie désigne, elle, une peur déclenchée par un objet, des situations prévisibles, spécifiques et identiques. Ces dernières ne sont pas réellement dangereuses, mais le patient les perçoit comme telles et peut adopter différentes stratégies pour les éviter.
Certaines peurs, variables selon l’âge de développement affectif et cognitif de l’enfant, sont normales si elles sont transitoires (comme celle de l’étranger vers 7-8 mois ; tableau 1), si elles concernent des préoccupations habituelles et surtout n’entraînent ni souffrance psychique, ni évitement de situations sociales ou scolaires, ni retentissement fonctionnel important.1
Les troubles anxieux, à l’inverse, sont des peurs excessives ou inadaptées pour l’âge, durables, avec un impact psychique et fonctionnel important (repli au domicile, évitement scolaire, voire déscolarisation). Ces troubles sont sous-diagnostiqués chez l’enfant et l’adolescent alors qu’ils sont particulièrement fréquents entre 6 et 18 ans, avec une prévalence estimée entre 8 et 30 %.2 Les principales complications comme la dépression, l’abus de substances à l’adolescence, la chronicisation à l’âge adulte, la déscolarisation requièrent toute l’attention des cliniciens.

Diagnostic

Il est clinique et repose sur la recherche de conduites d’évitement et les appréhensions anxieuses qui les déterminent.
Les situations déclenchant ces attitudes, le contenu des cognitions ou croyances et les évitements (
) varient selon le trouble. Ces derniers sont souvent accompagnés d’une composante affective de crainte, menace ou détresse. La capacité à verbaliser les peurs dépend de l’âge développemental de l’enfant ; les petits ayant plus de difficultés, ils pourront exprimer leur malaise à travers les dessins, les jeux, en relatant le contenu de leurs cauchemars.
Dans la majorité des cas s’y associent des manifestations somatiques, qui sont parfois la seule plainte de l’enfant et le motif de consultation : douleurs abdominales répétées, céphalées, nausées, vomissements, troubles du sommeil. Des troubles du comportement sont possibles : colère, instabilité, opposition, agitation ou inhibition.

Anxiété de séparation

Avec une prévalence de 3 à 5 % et un pic d’apparition entre 7 et 9 ans,4 elle est le trouble le plus fréquent en période prépubère.2 Le symptôme principal est une détresse significative et inadaptée au niveau de développement, liée à une séparation avec une figure d’attachement. Les manifestations diffèrent avec l’âge du patient et surviennent lorsque l’enfant est laissé à la crèche ou seul à la maison, monte dans le bus pour l’école, doit aller au lit, change d’environnement, passe une nuit dans un autre lieu sans ses parents comme lors d’un voyage scolaire (colonie de vacances).
Le diagnostic requiert au moins trois des symptômes suivants, présents pendant 4 semaines :
– détresse excessive ou crainte récurrente lors des séparations ;
– peur qu’un malheur touchant l’enfant ou ses parents rende la situation définitive ;
– réticence ou refus d’aller à l’école, de dormir seul hors de la maison, ou d’y rester seul ;
– cauchemars à thème de séparation ;
– plainte somatique répétée lors des éloignements ;
– signe d’angoisse extrême en cas de séparation réelle ou anti-cipée avec parfois colères ou pleurs associés ;
– retrait social, apathie, tristesse ou difficulté à se concentrer sur le travail ou le jeu en l’absence d’une figure d’attachement.
L’angoisse de séparation est rarement isolée, elle s’accompagne d’irritabilité, violence, tyrannie, de dépression et d’autres troubles anxieux.

Phobie spécifique

Il s’agit d’une peur intense, permanente et irrationnelle vis-à-vis d’un objet ou d’une situation précise : animaux, environnement, sang, injection. Elle débute vers 6-7 ans. Le thème varie avec l’âge. Elle peut s’amender ou se chroniciser et devenir invalidante à l’âge adulte. C’est la confrontation à l’objet ou la situation qui déclenche une série de manifestations somatiques :1 tachycardie, polypnée, sueurs, avec parfois sentiment de mort imminente.

Trouble anxieux généralisé

Il débute vers la fin de l’enfance, autour de 10-12 ans. Il est défini par une préoccupation irréaliste pendant plus de 6 mois concernant des actions quotidiennes. Les enfants sont le plus souvent inquiets de tout en permanence, ont volontiers des troubles du sommeil et beaucoup de ruminations négatives. L’un des éléments princeps est leur difficulté à s’adapter à l’incertitude.5

Anxiété sociale

C’est un des troubles les plus fréquents chez l’adolescent. Elle peut débuter vers 6 ans, mais son pic de fréquence se situe vers 11-13 ans.6 Elle se manifeste par une peur persistante, intense et chronique (au moins 6 mois) de certaines expositions sociales entraînant la crainte de rougir, d’être ridicule, de bafouiller. Le DSM-5 distingue plusieurs sous-thèmes, comme la peur de parler ou de manger en public.
Elle est à rechercher systématiquement en raison de son risque de complications sévères à l’âge adulte : dépression ou addiction à des substances psychoactives.

Trouble panique

Débutant plus souvent vers la fin de l’adolescence et à l’âge adulte, il se manifeste par la récurrence chez un même sujet d’attaques de panique successives (au moins 4 en 4 semaines pour le DSM-5).
Une attaque se traduit par une anxiété soudaine, massive, avec un malaise important en dehors de tout danger réel. Les symptômes incluent au moins 4 éléments parmi : palpitations, transpiration, tremblements, souffle coupé, douleurs ou inconfort thoracique, nausées, sensation de vertige, déréalisation, peur de devenir fou, de mourir, sensation d’engourdissement ou de picotement. Une agoraphobie est souvent associée
La survenue d’une dépression secondaire ou comorbide n’est pas rare, avec un risque suicidaire majoré par les raptus anxieux. L’automédication par les médicaments et l’alcool peut entraîner des situations de dépendance à l’âge adulte.

Refus scolaire anxieux

Cette entité n’est pas reconnue par les classifications internationales. Elle regroupe en effet des situations et des psychopathologies diverses et variées. Ce n’est pas une opposition farouche aux apprentissages ou à la scolarité que manifeste l’enfant mais bien une angoisse associée à des circonstances très variées avec ou sans rapport avec l’école.
Il peut s’agir d’une anxiété de séparation, une phobie sociale, une anxiété de performance, la conséquence d’un harcèlement sévère. Cela se traduit par l’incapacité partielle ou totale de se rendre sur le lieu de scolarité associé à des somatisations invalidantes. D’où un absentéisme scolaire, voire une déscolarisation totale. C’est alors une urgence thérapeutique car le risque de chronicisation, de dépression secondaire et de retard dans les apprentissages est important.

Mutisme sélectif

Souvent associé à une anxiété sociale, il est défini par l’incapacité durable (au moins 1 mois) de parler en société et disparaît dans un environnement familier. Il n’est pas lié à un trouble du langage.

Prédisposition, évolution

Les facteurs favorisants sont multiples. Le risque lié au caractère est sans doute le plus étudié. Les tempéraments inhibés, en retrait et la timidité sont volontiers associés à la probabilité de développer un trouble anxieux. Certains événements de vie (harcèlement scolaire fréquent et à rechercher) et la nature de l’environnent social et familial (violences familiales, parents malades, décès d’un parent) peuvent aussi favoriser l’émergence, l’aggravation ou la chronicisation de l’anxiété.
On note peu de rémission spontanée. Le pronostic varie avec la pathologie, mais plusieurs études retrouvent un risque d’évolution vers un trouble de l’humeur, de conduites addictives et suicidaires à l’âge adulte,7 et de déscolarisation.
Le taux de guérison tous troubles confondus atteint 50 à 60 % en fin de traitement (thérapie cognitivo-comportementale, TCC) et même 70 à 80 % dans les 12 mois qui suivent. Il est plus faible lorsqu’existent des comorbidités.

Prise en charge

L’enfant et sa famille

En première intention, si le trouble est d’intensité légère à modéré, une psychothérapie
de type TCC est recommandée pendant 12 à 20 semaines.
En deuxième intention et en l’absence d’amélioration après cette TCC menée par un psychothérapeute expérimenté, on ajoute un ISRS (inhibiteur de la recapture de la sérotonine) comme la fluoxétine (débuter par 5-10 mg/j, pour atteindre 25 mg – dose optimale, et jusqu’à 50 mg autorisés chez les plus de 15 ans) ou la sertraline (commencer par 25 mg, dose optimale : 50-100 mg, et jusqu’à 200 mg pour les plus de 15 ans). Un suivi en pédopsychiatrie est nécessaire.
Si le trouble anxieux est d’intensité sévère et a un retentissement social et fonctionnel majeur, on commence par l’association TCC et médicament.
On peut proposer une thérapie de soutien aux parents en fonction des difficultés rencontrées par la famille, une guidance parentale ou une thérapie familiale.
Quelques conseils concernant les médicaments :
– les ISRS sont prescrits hors AMM, en dehors de l’indication trouble obsessionnel compulsif (TOC) ;
– éviter les médicaments avant 6 ans ;
– pas de benzodiazépine (risque d’effet paradoxal chez l’enfant de moins de 12 ans et risque de dépendance à l’adolescence).

À l’école

Les premiers symptômes d’anxiété de séparation peuvent être repérés dès l’entrée en maternelle (pleurs lors du départ du parent) et à l’occasion de tout nouveau changement important : entrée en CP, changement d’école, etc.
À partir de l’école primaire, les cas de harcèlement sont de plus en plus fréquents : il est important de les rechercher puis d’en informer l’école.
En cas de trouble anxieux invalidant et/ou de phobie scolaire grave, l’établissement d’un PAI (plan d’accueil individualisé) en concertation avec le directeur et les enseignants peut s’avérer nécessaire.
Encadre

Que dire aux parents ?

Écouter ce que l’enfant a à dire. On peut le questionner sur ses peurs. S’il ne parvient pas à en parler, on lui suggère de l’exprimer autrement, à travers un livre ou en dessinant.

En cas de harcèlement, proposer une sensibilisation via le site http://www. nonauharcelement.education.gouv.fr

Expliquer l’importance et l’intérêt des traitements médicamenteux et l’absence d’accoutumance aux ISRS.

Références
1. Denis H, Baghdadli A. Les troubles anxieux de l’enfant et l’adolescent. Arch Pediatr 2017;24:87-90.
2. Costello EJ, Egger HL, Angold A. The developmental epidemiology of anxiety disorders: phenomenology, prevalence, and comorbidity. Child Adolesc Psychiatr Clin N Am 2005;14:631-48.
3. Rapee RM. Anxiety disorders in children and adolescents : nature, development, treatment and prevention. In: Rey JM (ed). IACAPAP e-textbook of Child and Adolescent Mental Health. (édition en français : Cohen D, ed). Geneva: International Association for Child and Adolescent Psychiatry and Allied Profession; 2012: chapitre F.1.
4. Prior M, Sanson A, Smart D, Oberklaid F. Psychological disorders and their correlates in an Australian community sample of preadolescent children. J Child Psychol Psychiatry 1999;40:563-80.
5. Dugas MJ, Ladouceur R. Treatment of GAD: targeting intolerance of uncertainty in two types of worry. Behav Modif 2000;24:635-57.
6. Kessler RC, Berglund P, Demler O, Jin R, Merikangas KR, Walters EE. Lifetime prevalence and age-of-onset distributions of DSM-IV disorders in the National Comorbidity Survey Replication. Arch Gen Psychiatry 2005; 62:593-602.
7. Last CG, Strauss CC, Francis G. Comorbidity among childhood anxiety disorders. J Nerv Ment Dis1987;175:726-30.

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