Cette dernière décennie a vu déferler les smartphones, dont le taux d’équipement a dépassé les 80 % en France. Les chiffres sont vertigineux : plus de la moitié d’entre eux sont équipés d’une « appli » santé (outre le classique compteur de pas), plus de 100 000 de ces applis sont disponibles, sans parler des objets connectés, type bracelets…, vendus à des dizaines de millions d’exemplaires.
La multiplication des capteurs et des possibilités de connexions impacte dès aujourd’hui nos pratiques de soins, mais la qualité des informations sur ce sujet nouveau est discutable, notamment lorsque les annonces promotionnelles prennent le dessus au détriment des évaluations.
Notons que la grande majorité des outils de e-santé n’a fait l’objet d’aucune validation clinique
Le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) est, avec le diabète, un champ particuliè- rement propice, tant dans le diagnostic que dans le suivi. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, il faut rester prudent et garder son esprit critique.

Télédépistage et télédiagnostic

L’accès aux moyens de détection du SAS a toujours été une question épineuse. La clinique étant peu ou pas discriminante, on a besoin de moyens de dépistage fiables, qui augmentent la probabilité pré-test, et d’outils diagnostiques plus simples que la polysomnographie complète réalisée en centre du sommeil.
À cet égard, citons un travail récent où l’on a pu discriminer des ronfleurs simples de patients atteints de SAS modeste, modéré et sévère, avec des sensibilité, spécificité et valeurs prédictives positives qui frôlent 1, via l’analyse de biomarqueurs acoustiques des bruits respiratoires et de techniques de deep learning (intelligence artificielle).1 À terme il serait possible de dépister le SAS en utilisant son smartphone.
Dans une perspective plus proche, Massie et al. ont évalué un dispositif gros comme un bonbon, fixé au bout du doigt, qui, à partir du signal de SaO2 et de l’actimètre, rend un résultat proche de celui d’une polygraphie.2 Les données sont télé- transmises via le smartphone vers une plateforme qui en assure l’interprétation, les résultats sont ensuite envoyés au patient. Ce dispositif médical qui dispose d’un marquage CE est d’ores et déjà commercialisé dans certains pays européens.
Autre technique, les capteurs peuvent être intégrés au tissu dit « intelligent », le transmetteur étant cousu dans le vêtement. L’envoi des signaux vers un smartphone ou une tablette permet l’interprétation à distance de la polysomnographie.
Un tel dispositif est ergonomique (plus de câbles, fils, électrodes), respecte mieux le sommeil grâce au faible encombrement (un pyjama !) et autorise l’enregistrement à domicile, dans les conditions écologiques habituelles du sujet… (sans compter le gain de temps dans la pose du matériel). Il reste à en préciser la fiabilité.
Actuellement, nous utilisons un poly-graphe simplifié, dont les données sont télétransmises dans un serveur sécurisé, permettant de dissocier la pose et l’interprétation de l’examen. Ainsi ce dispositif est utilisé pour dépister le SAS chez les patients hospitalisés pour une hydrocéphalie à pression normale en neurochirurgie à Beaujon (Clichy), les examens étant interprétés à l’hôpital Bichat (Paris) et la prise en charge organisée en fonction des résultats.

Téléconsultation et télésuivi

Le plus souvent, les SAS sévères relèvent d’un traitement par ventilation en pression positive continue (PPC). Les appareils désormais communicants transmettent les données recueillies au jour le jour. Les médecins ont ainsi accès au nombre d’heures d’usage quotidien et, dans la plupart des cas, aux fuites non intentionnelles et aux index d’apnées-hypopnées (IAH) résiduels sous traitement. La connexion facilite l’adaptation de la thérapie ventilatoire.
Enfin, un des programmes de télésuivi donne accès aux données brutes de la machine, le médecin faisant une lecture quasi « polygraphique » des nuits sous traitement. Progrès supplémentaire, il est également possible de modifier les réglages de la PPC à distance, car la communication est bidirectionnelle.
Ces machines sont mises à disposition des patients par des prestataires de santé à domicile (PSAD), dont le paiement forfaitaire est depuis cette année à la « performance », indicé sur la durée d’utilisation. Le forfait prend également en compte le fait que la PPC soit connectée ou non (forfait moindre en cas de PPC non connectée).
Téléconsultation et télésuivi se sont montrés non inférieurs à la surveillance classique dans une étude randomisée comparant 4 stratégies : suivi habituel, télé-éducation pour la mise en place de la PPC, télésuivi, et télé-éducation + télésuivi.3 Trois mois après l’initiation du traitement, la durée d’utilisation de la PPC était strictement comparable entre les 4 groupes.

Quel intérêt pour le patient ?

Au niveau individuel, ces dispositifs connectés permettent l’adaptation en temps réel du traitement et, dans tous les cas, non tributaire d’un rendez-vous de consultation.
Quand on sait que l’adhésion du patient se joue dans les tout premiers jours d’installation et passe par la correction rapide des fuites et des IAH restés élevés, ces outils prennent toute leur valeur.
De plus, la connexion des PPC a conduit au développement d’appli dédiées aux patients, leur offrant l’accès à leurs données personnelles (fuites et IAH résiduel) mais aussi à des tutoriels (mécanismes des apnées, complications potentielles, fixation du masque, entretien des machines…). Le patient reçoit également des encouragements et des conseils personnalisés, en fonction des objectifs qu’il a prédéfinis.
Ces outils rendent possible un véritable engagement du malade (patient empowerment, tel que défini par l’OMS),4 et renforcent son adhésion à la thérapeutique. Cet impact bénéfique est illustré par un travail récent, fondé sur l’analyse de données collectées chez plus 100 000 patients. Avec l’appli, l’utilisation quotidienne de la PPC est supérieure de 1 heure par rapport à l’usage non connecté, et l’observance thérapeutique est plus rapidement obtenue.5
En outre, la collecte de grandes masses de données (big data) rendue possible par ces dispositifs permet de dessiner des trajectoires de patients.
Ainsi, l’apparition d’apnées centrales sous PPC (initiée pour traiter les apnées obstructives) est un prédicteur fort de décrochage de la machine ;6 inversement, la correction de ces apnées inopportunes par le biais d’un mode ventilatoire plus adapté restaure l’utilisation de l’appareillage.

Quels effets de l’utilisation des objets connectés ?

Ces nouvelles possibilités (connexion, big data et intelligence artificielle) sont des avancées notables. Elles favorisent l’accès aux soins, soutiennent le virage vers une médecine plus ambulatoire, facilitent la coordination entre divers intervenants, promeuvent l’engagement du patient et dessinent des soins précisément adaptés à chacun.
Cependant, il faut rester vigilant quant à la sécurité et la confidentialité des données, sachant qu’il est possible d’identifier n’importe quel anonyme à partir des grandes bases de données.7
Il est en outre indispensable de s’assurer de la fiabilité de ces dispositifs (métrologie, intégrité et pertinence des données collectées) et de l’intérêt réel pour les patients (en termes pronostiques) et pour les tutelles (impact médico-économique).
Enfin, les implications psychiques de la connexion doivent également être questionnées :8 l’usage de ces objets dans le champ médical provoque des expériences subjectives dont les effets ne sont pas encore connus ni maîtrisés. Ils ouvrent la voie à des modes d’expérience intime du sujet avec lui-même et avec l’autre où interviennent inévitablement des éléments liés aux représentations inconscientes enfouies dans la psyché.
En effet, le fait que cet objet soit relié en permanence à un réseau change l’appréhension de ce que l’on concevait comme l’intimité du sujet. En outre, ces objets interfèrent dans le lien thérapeutique patient-soignants. Que devient alors la confidentialité de cette relation ?
On peut aussi s’interroger sur la démarche normative que sous-tend le quantified self, qui peut devenir rapidement excessive, voire schizophrène (obsession de l’automesure continuelle et multiparamétrique).
Enfin, un questionnement éthique est nécessaire. Il faut être conscient que la télésurveillance n’est jamais anodine, notamment parce qu’elle peut être contraire au principe d’autonomie, qui est le but de l’éducation thérapeutique. De plus la télé- observance peut menacer le principe de mutualisation des risques de notre système de santé, avec passage à une protection sociale à périmètre variable en fonction des pathologies sous-jacentes et de l’observance thérapeutique.9
Références
1. Kim T, Kim JW, Lee K. Detection of sleep disordered breathing severity using acoustic biomarker and machine learning techniques. Biomed Eng Online 2018;17:16.
2. Massie F, Mendes de Almeida D, Dreesen P, et al. An evaluation of the nightowl home sleep apnea testing system. J Clin Sleep Med 2018;14:1791-6.
3. Hwang D, Chang JW, Benjafield AV, et al. Effect of telemedicine education and telemonitoring on continuous positive airway pressure adherence. Am J Respir Crit Care Med 2018;197:117-26.
4. OMS. Adherence to Long-Term Therapies - Evidence for Action Adherence. 2003. https://bit.ly/2CdEX6k
5. Malhotra A, Crocker ME, Willes L, et al. Patient engagement using new technology to improve adherence to positive airway pressure therapy: a retrospective analysis. Chest 2018;153:843-50.
6. Liu D, Armitstead J, Benjafield A, et al. Trajectories of emergent central sleep apnea during CPAP therapy. Chest 2017;152:751-60.
7. Erlich Y, Shor T, Pe’er I, Carmi S. Identity inference of genomic data using long-range familial searches. Science 2018;362:690-4.
8. Lindenmeyer C (Dir.). L’humain et ses prothèses. Paris: CNRS; 2017: 284 p.
9. Postel-Vinay N, Reach G, Eveillard P. Observance et nouvelles technologies : nouveau regard sur une problématique ancienne. Med Sci 2018;34:723-9.

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essentiel

Les objets connectés envahissent le champ de la santé et particulièrement la surveillance des maladies chroniques.

Dans le SAS, le télésuivi permet de corriger des effets secondaires et favorise l’adhésion du patient à la PPC, l’impliquant davantage dans son traitement.

Plusieurs questions demeurent : fiabilité des dispositifs, sécurité des données, implications psychiques et répercussions sur la relation de soins.