L’émergence d’une réflexion éthique dans le pilotage des programmes de dépistage organisé des cancers a conduit, depuis 2009, l’Institut national du cancer (INCa) à mettre en place un groupe de réflexion sur l’éthique des dépistages (GRED) composé d’experts, sur la base d’un équilibre entre éthiciens, épidémiologistes, spécialistes de la politique de santé publique et acteurs de terrain (structures de coordination des programmes de dépistage et professionnels de santé).
Dans une logique d’éthique appliquée qui vise à apporter des éléments de réponse à des questions d’ordre pratique, les travaux de ce groupe ont consisté en une évaluation de chacun des trois programmes de dépistage (cancer du sein, cancer colorectal et cancer du col de l’utérus) tant du point de vue de leur organisation que de la place et du rôle des professionnels de santé impliqués. Cette analyse repose sur le respect des droits fondamentaux de la personne. L’approche développée dans les rapports successifs repose sur des valeurs communément partagées telles que l’intérêt collectif, l’intérêt individuel, l’équité et le respect de la personne.1-3

Des propositions concrètes

Soutenue par les Plans cancer 2009-2013 et 2014-2019, cette expertise a permis de formuler des propositions concrètes permettant d’améliorer l’organisation et les modalités d’information de ces programmes tout en respectant le principe d’autonomie.
L’expertise éthique portée sur les programmes a reposé sur une analyse critique du parcours de dépistage, complétée par des auditions d’acteurs de terrain. Chacun des trois programmes a donné lieu à des réflexions spécifiques en fonction de leurs particularités. L’ensemble des préconisations constitue un socle éthique commun à cette démarche de santé publique.
L’éclairage éthique a insisté sur l’importance de la délivrance d’une information loyale, claire et transparente, garante d’un consentement véritablement éclairé dans le choix de la personne à participer ou non à une proposition de dépistage pour les programmes en place. En interface directe avec la personne invitée, les professionnels de santé impliqués sont les relais essentiels de cette information. À ce titre, ils doivent être dûment formés et informés des bénéfices, limites et incertitudes de chacun des programmes, et dotés de documents d’information comme supports d’aide à la décision. Afin de favoriser l’accès au dépistage, la nécessité de renforcer la diversité des relais de cette information auprès d’autres professionnels et aux côtés des médecins traitants a été identifiée. Par ailleurs, la mobilisation de l’expertise éthique en amont de la mise en place du dépistage du col de l’utérus a été initiée pour accompagner un changement conceptuel majeur vers une approche du dépistage adoptant les principes de l’universalisme proportionné.4 Les invitations ciblent les femmes qui n’ont pas réalisé de dépistage dans les 3 ans antérieurs, et il sera proposé d’adjoindre des actions ciblées de sorte à rejoindre les populations de femmes les plus éloignées du système de santé. Ces actions seront mises en place avec l’appui des professionnels et acteurs de terrain, associatifs notamment.

Cancer du sein : l’importance de l’information délivrée par les professionnels de santé dans un contexte d’incertitudes

L’appréciation éthique sur le programme de dépistage organisé du cancer du sein a mis en lumière l’obligation de ne pas laisser les femmes face à leurs interrogations dans le contexte d’incertitudes quant aux bénéfices, aux risques et aux limites liés à ce dépistage.5 Cette réflexion a été formalisée par la préconisation d’un renforcement de l’information délivrée aux femmes concernées à travers les brochures et documents remis à la population mais également aux professionnels de santé (médecin traitant, gynécologue et radiologue), relais de cette information et vecteurs d’aide à la décision.
Le radiologue a une place centrale dans le dépistage du cancer du sein en termes d’information dans la mesure où les femmes sont invitées à prendre directement rendez-vous dans un centre de radiologie afin d’y réaliser une mammographie. De plus, en cas de résultat positif, le radiologue doit assurer la réalisation d’une imagerie diagnostique complémentaire et l’éventuelle orientation vers la filière thérapeutique. Il a toutefois été souligné la nécessaire complémentarité des rôles entre médecin traitant, gynécologue et radiologue, notamment lorsque se pose le choix entre une démarche de détection individuelle et une inclusion dans le programme de dépistage organisé. Ce rôle de conseil des professionnels de santé requiert un temps dédié à l’information lors de l’entrée dans le programme.
Les conclusions des travaux et, par la suite, l’organisation d’une concertation citoyenne et scientifique ont conduit le ministère en charge de la Santé à initier un plan de rénovation de ce programme.6 Pour les femmes de 50 à 74 ans, cible du dépistage organisé, le plan compte ainsi des mesures visant à mettre à leur disposition une information rénovée, plus complète et directement accessible et un accès au dépistage facilité, avec notamment la possibilité de bénéficier d’une consultation médicale à 50 ans dédiée à la prévention et au dépistage. En parallèle, il s’agira d’apporter aux professionnels une information et une formation optimisées et de renforcer la qualité du dépistage.

Cancer colorectal : les professionnels de santé comme relais d’information, d’accès au test et d’accompagnement

L’analyse du programme de dépistage organisé du cancer colorectal s’est concentrée sur la faible adhésion à ce dispositif alors même que la balance bénéfices-risques de ce dépistage est largement favorable,7 remettant ainsi en cause l’objectif de santé publique visé. La nécessité de ne pas proposer une modalité d’accès unique au test de dépistage via le médecin traitant a été soulignée : la diversification des professionnels comme relais d’information permettrait aux personnes d’aborder des questions concrètes et pratiques relatives à ce dépistage auprès d’autres professionnels de santé, formés à ce rôle. Ainsi, le programme a vocation à évoluer vers une meilleure coordination entre l’ensemble des professionnels de santé.
Par ailleurs, les personnes en situation de vulnérabilité sociale ou médicale (précarité sociale, personnes vivant en foyer d’hébergement, en milieu carcéral ou personnes en situation de handicap mental ou physique) illustrent la nécessité de ne pas avoir un dispositif unique d’organisation du dépistage et interrogent sur la possibilité d’adapter le programme en fonction de ces populations en intégrant un mode d’information spécifique, des modalités de consentement particulières et des procédures d’accompagnement.
Trois moments clés d’information et d’accompagnement apparaissent dans le déroulement du processus :
  • lors de l’entrée dans le dépistage, la pluralité des lieux d’information et d’accès au test permettrait d’en faciliter l’accès. Cela ne pourrait se faire que sous couvert d’une formation des professionnels de santé et d’une évaluation des dispositifs mis en place ;
  • lors de la réalisation du test au domicile, certaines personnes peuvent souhaiter ou avoir besoin d’être accompagnées pour réaliser le test de recherche de sang dans les selles ;
  • le suivi d’un résultat positif représente un enjeu éthique majeur dans la mesure où l’absence de coloscopie consécutive à un test positif laisserait des personnes à haut risque de cancer colorectal sans diagnostic et sans traitement ; la question est alors de savoir comment inciter à la réalisation de cette coloscopie et éviter les parcours incomplets.

Cancer du col de l’utérus : vers une organisation du dépistage adaptée aux populations de femmes concernées

La mise en place du programme de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus, en cours de déploiement, a bénéficié d’une réflexion en amont, permettant d’éclairer la décision publique et d’identifier les points de vigilance à prendre en considération, en particulier dans les actions complémentaires visant des populations non participantes.8 La stratégie vise en effet à faire bénéficier l’ensemble des femmes d’un dépistage de qualité mais également à mettre en place des actions complémentaires afin de sensibiliser les femmes ne se sentant pas ou peu concernées et de réduire les inégalités au bénéfice des catégories sociales les moins participantes. Pour ces actions, l’objectif est de s’appuyer sur les dispositifs et les acteurs existants (personnes et professionnels relais) mais également de rechercher des solutions innovantes. Au concept d’égalité qui sous-tend les programmes de santé publique, afin de proposer la même offre à tous, s’adjoint ainsi le concept d’équité qui vise à adapter l’offre en fonction des besoins et qui repose sur la connaissance de ceux-ci.
L’organisation de l’ensemble du dispositif doit ainsi garantir l’accès aux soins, limiter les risques de parcours incomplets et veiller à minimiser la possibilité de stigmatiser certaines populations en s’appuyant sur des modalités organisationnelles adaptées et une transparence dans les critères de choix d’actions.
Outre les principes éthiques déjà identifiés pour les deux autres programmes, deux axes de vigilance majeurs ont été particulièrement mis en exergue pour gouverner l’organisation de ce nouveau programme :
  • le nécessaire respect de la liberté individuelle, en assurant l’exercice de l’autonomie à travers des outils d’information et d’accompagnement adaptés. Cette approche doit également permettre de ne pas stigmatiser les populations concernées par des interventions ciblées en évitant des messages pouvant apparaître comme culpabilisants ;
  • l’indispensable argumentation dans le choix des actions ciblées qui auront été priorisées en tenant compte des résultats des expérimentations. De plus, ces actions ou organisations spécifiques visant à lutter contre les inégalités sociales de santé et à sensibiliser les catégories de femmes qui ne se sentiraient pas concernées doivent garantir l’accès aux soins afin de limiter les risques de parcours incomplets et les pertes de chances.

Informer et accompagner

L’adhésion de la population aux propositions de ces dépistages est un enjeu majeur qui conditionne l’efficience d’une politique de santé publique, tant du point de vue sanitaire qu’économique. Or les relations entre enjeux collectifs et enjeux individuels évoluent avec les connaissances scientifiques et le débat sociétal. Les différents rapports du Groupe de réflexion sur l’éthique du dépistage (GRED) ont développé une éthique du dépistage répondant à deux exigences : celle liée au respect des critères de qualité, et celle liée au respect de la liberté de la personne et de sa décision. Cela détermine un principe éthique fondamental en santé publique qui est l’évaluation de la balance bénéfices-risques. Une information équilibrée sur les bénéfices et les risques ainsi que l’accompagnement par les professionnels de santé sont des facteurs déterminants permettant aux personnes de décider sur un mode éclairé de participer ou non à chacun des dépistages organisés.
Références
1. Groupe de réflexion sur l’éthique du dépistage. Éthique et dépistage organisé du cancer du sein en France - Rapport du GRED. Boulogne-Billancourt : INCa, coll. États des lieux & des connaissances, octobre 2012.
2. Éthique et dépistage organisé du cancer colorectal - Analyse du dispositif français. Boulogne-Billancourt : INCa, coll. Appui à la décision, mai 2016.
3. Groupe de réflexion sur l’éthique du dépistage. Généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus : quel cadre éthique ? Préconisations du GRED. Boulogne-Billancourt : INCa, coll. Appui à la décision, mars 2017.
4. Fair society, healthy lives (The Marmot Review) : Strategic review of health inequalities in England post 2010. London: The Marmot Review, fév 2010.
5. Marmot M, Altman DG, Cameron DA, et al. The benefits and harms of breast cancer screening: an independent review. Br J Cancer 2013;108:2205-40.
6. Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Plan d’action pour la rénovation du dépistage organisé du cancer du sein. http://solidarites-sante.gouv.fr ou https://bit.ly/2SIz5sk
7. Azimafoussé Assogba G, Jezewski-Serra D, Lastier D, et al. Impact of subsequent screening episodes on the positive predictive value for advanced neoplasia and on the distribution of anatomic subsites of colorectal cancer: A population-based study on behalf of the French colorectal cancer screening program. Cancer Epidemiol 2015;39:964-71.
8. Barré S, Massetti M, Leleu H, et al. Caractérisation des femmes ne réalisant pas de dépistage du cancer du col de l’utérus par frottis cervico-utérin en France. Bull Epidémiol Hebd 2017;2-3:39-47. http://invs.santepubliquefrance.fr ou https://bit.ly/2zZwqU2.

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Résumé

Depuis 2009, l’Institut national du cancer a mis en place un groupe de réflexion sur l’éthique des programmes de dépistage des cancers du sein, du côlon et du col de l’utérus. L’intérêt collectif et individuel, l’équité et le respect de l’autonomie sont les valeurs abordées dans les rapports respectifs. L’analyse éthique a fait émerger des enjeux spécifiques à chaque programme : l’importance de l’information délivrée par les professionnels de santé dans un contexte d’incertitude, pour le dépistage du cancer du sein ; les professionnels de santé comme relais d’information, d’accès au test et d’accompagnement dans le parcours de dépistage du cancer colorectal et pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, la mise en place d’une organisation adaptée aux populations de femmes concernées. Une politique de santé publique dont l’efficience dépend de l’adhésion de la population aux propositions de dépistage doit respecter un principe éthique fondamental qui est l’évaluation de la balance bénéfices-risques.