Le recours aux serious games dans le champ de la santé se développe mais dans quels domaines et avec quelle efficacité ?
Un serious game est défini comme une application informatique,1 dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (serious) tels que l’enseignement ou la communication, mais aussi le soin, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (game). Dans le domaine de la santé, les serious games sont utilisés à la fois pour la formation, l’évaluation et la stimulation. Il est possible de distinguer les jeux cognitifs impliquant uniquement les processus cognitifs comme l’apprentissage, l’attention, la concentration, et les exergames (v. infra) qui impliquent une activité physique.
Dans cet article, les différents champs d’utilisation des serious games sont illustrés par des exemples venant des pathologies neuropsychiatriques qui sont le domaine d’expertise de l’équipe de recherche CoBteK (Cognition Behaviour Technology) de l’université Côte d’Azura, mais le principe peut être facilement généralisé à d’autres pathologies.

Jeux pour la formation des soignants et du public

Au niveau de la formation, l’objectif est d’essayer d’enseigner, d’apprendre d’une manière ludique des informations sur une pathologie. Les serious games sont de véritables applications d’apprentissage par le jeu. De nombreuses étudesb indiquent que l’usage des serious games améliore l’apprentissage et la compétence des étudiants ou des personnels dans des domaines très variés (banque, marketing, militaire, gestion du stress). Bien sûr, dans chaque cas les scénarios d’apprentissage doivent tenir compte des caractéristiques individuelles des apprenants, par exemple l’âge ou les connaissances antérieures sur le sujet de la formation. Les serious games utilisent aussi un certain nombre de principes communs comme l’utilisation de la motivation et des renforcements positifs ou l’utilisation positive des erreurs. En effet, pour le système éducatif, se tromper était rarement considéré d’une manière positive. Pourtant, des recherches en neurosciences ont montré que le cerveau apprend grâce à l’erreur. Le cerveau fait en permanence des prédictions. Ces prédictions sont issues d’hypothèses et de l’expérience acquise lors des observations du sujet au cours d’activités précédentes. C’est cette expérience qui conduit à une meilleure efficacité dans les comportements dirigés vers un but. L’utilisation dans le domaine de la santé est illustrée pour les soignants professionnels avec le serious game « EHPAD'Panic » destiné à la formation du personnel des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à la gestion des troubles du comportement.c Il peut aussi s’adresser à des aidants familiaux comme le jeu proposé sur le site Aidant & Eve qui a pour objectif de mieux expliquer la maladie d’Alzheimer aux familles.d Enfin, le jeu peut s’adresser directement au patient afin de mieux comprendre la maladie mais surtout pour proposer des solutions pour évaluer les symptômes. Dans cet esprit, les serious games peuvent aussi avoir un rôle de prévention en s’adressant à des populations de sujets à risque de développer telle ou telle pathologie.

Jeux pour l’évaluation d’un trouble

Au niveau de l’évaluation, les serious games sont des outils complémentaires au service des cliniciens dans leur démarche diagnostique.
Les applications sont nombreuses pour l’évaluation des performances cognitives.2 Dans ce domaine, le laboratoire Neuroscape aux États-Unis a été la première équipe de recherche à publier en 2013 dans la célèbre revue Nature3 un article sur les serious games dans le vieillissement. Par exemple, l’ACEe, pour « adaptative cognitive evaluation », évalue plusieurs dimensions du contrôle cognitif, comme l’attention ou la mémoire de travail. Cette application utilise plusieurs grands principes des serious games tels que des graphismes immersifs, des commentaires motivants, avec une interface conviviale pour l’utilisateur. Le jeu d’évaluation peut aussi avoir pour cible des troubles du comportement, des émotions ou de la motivation. Le but est ici d’apporter des informations objectives qui peuvent compléter ce qui est rapporté au cours d’un entretien clinique. Par exemple, l’application MoTAPf, pour « motivation application », est un outil simple permettant de mieux connaître, quantifier les intérêts d’un individu et contribuer au diagnostic de l’apathie, qui est un trouble très fréquent dans la maladie d’Alzheimer et les pathologies associées.

Jeux pour la stimulation cognitive

Au niveau thérapeutique, les serious games vont très probablement devenir des outils de plus en plus importants dans de nombreuses pathologies. Si l’on prend l’exemple d’un centre mémoire, chaque année de très nombreuses personnes viennent pour un dépistage de trouble cognitif. Bien heureusement, pour beaucoup d’entre elles le bilan ne met pas en évidence de troubles majeurs. Cependant, la question est fréquemment posée : comment entretenir sa mémoire, ses processus attentionnels ? L’adressage vers un psychologue, un orthophoniste ou un groupe de stimulation cognitive n’est pas toujours possible. Une alternative développée par l’association IA et l’équipe de recherche CoBTeK pour le centre mémoire du centre hospitalier universitaire de Nice a été de développer une application gratuite, MeMog, pour « memory motivation », qui propose sous forme de jeu des activités stimulant différents processus cognitifs avec une adaptation du niveau de difficultés aux performances de l’utilisateur. Ce type d’outils est aussi intéressant car il permet au patient lors d’une consultation de suivi de partager sur les performances réalisées et au praticien de personnaliser si nécessaire la prescription des exercices. À ce jour, en novembre 2019, 9 654 comptes ont été créés et 327 838 parties ont été jouées. Les résultats d’une étude randomisée seront publiés en 2020.

Jeux impliquant une activité physique

À côté de ce type d’application qui peut être utilisée seule par le patient, il existe d’autres serious games qui ont un profil différent et nécessitent souvent l’intervention d’un thérapeute. Ces jeux appelés exergames ont pour cible l’activité motrice mais aussi les cognitions. L’objectif est de proposer une activité physique adaptée aux difficultés du patient. Par exemple, le jeu Toap runh a pour objectif de participer à la rééducation des troubles de l’équilibre chez les patients ayant une maladie de Parkinson. Un autre jeu, X-Torp, a surtout été utilisé chez les patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou une pathologie associée.4 Ce jeu est présenté dans l’encadré ci-dessus qui illustre les différentes étapes de développement nécessaires avant la diffusion d’un serious game en santé.

Mais sont-ils efficaces ?

Même si ces jeux suscitent beaucoup d’intérêt, les études cliniques sur la faisabilité et l’efficacité de ces outils dans des populations atteintes de troubles cognitifs sont encore peu nombreuses. Le tableau 1 présente plusieurs études récentes dans le cadre des approches non pharmacologiques de la maladie d’Alzheimer. Cette situation devrait évoluer rapidement car il est essentiel, si l’on souhaite disposer d’un label type dispositif médical pour les serious games, d’avoir plus d’information sur leur efficacité. Par exemple, pour l’application MeMo évoquée précédemment, l’étude clinique qui est en cours de soumission répond aux standards habituels d’une étude clinique : présence d’un groupe contrôle, randomisation, définition de critères d’efficacité et utilisation d’instruments d’évaluation.

Des forces et des faiblesses

Le tableau 2 présente une analyse SWOT (strenght, weakness, opportunity, threat) qui regroupe d’une manière synthétique les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces associées au développement des serious games.5 Ces recommandations sont valables pour l’ensemble des pathologies neuropsychiatriques et, par exemple, tout à fait adaptées aux développements d’outils pour les enfants. Les serious games peuvent donc être considérés comme des outils complémentaires au service des soignants. C’est aussi une façon pour le patient et sa famille de réaliser d’une manière autonome des activités cognitives ou physiques qui peuvent contribuer à améliorer des symptômes. Dans cet esprit, ils sont aussi un outil de prévention important. Aussi bien pour le soin que pour la prévention, la règle principale pour obtenir une efficacité est la pratique régulière. C’est une règle partagée avec de très nombreuses rééducations. Encore faut-il la rappeler.
Les jeux présentés dans cet article sont issus de travaux de recherche et d’études cliniques menés dans le cadre de programmes de recherche supportés par l’université Côte d’Azur, la CEE (programmé FP7), la CNSA, l’association France Alzheimer, en partenariat avec des industriels du jeu (Interactive 4D, Genious Healthcare).
Références
a. http://www.innovation-alzheimer.fr/cobtek/
b. Cf. pour revue : Philippe Cohard, L’apprentissage dans les serious games : proposition d’une typologie. https://www.cairn.info/revue-@grh-2015-3-page-11.htm
c. https://www.curapy.com/jeux/ehpad-panic/
d. http://www.aidant-et-eve.fr/
e. https://neuroscape.ucsf.edu/technology/#ace
f. http://www.innovation-alzheimer.fr/motivation-application/
g. http://www.memory-motivation.org/home-2/
h. https://www.curapy.com/jeux/toap-run/
1. Alvarez J. Du jeu vidéo au serious game : approches culturelle, pragmatique et formelle. Toulouse : thèse 2007.
2. Vallejo V, Wyss P, Rampa L, et al. Evaluation of a novel serious game based assessment tool for patients with Alzheimer’s disease. PloS one 2018;12:e0175999.
3. Anguera JA, Boccanfuso J, Rintoul JL, et al. Video game training enhances cognitive control in older adults. Nature 2013;501:97-101.
4. Ben-Sadoun G, Sacco G, Manera V, et al. Physical and cognitive stimulation using an exergame in subjects with normal aging, mild and moderate cognitive impairment. J Alzheimers Dis 2016;53:1299-314.
5. Robert PH, Konig A, Andrieu S, et al. Recommendations for ICT use in Alzheimer’s disease assessment: Monaco CTAD expert meeting. J Nutr Health Aging 2013;17:653-60.

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