Dans le quotidien d’un service hospitalier ou d’un exercice en médecine de ville, la prise en charge d’un patient migrant, même si elle ne pose aucun problème apparent dans la majorité des cas, conduit parfois les soignants à des interrogations sur un sentiment de « distance » ou une réaction inattendue. En voici deux exemples pour mieux comprendre :
– Hervé, Camerounais de 17 ans, repéré puis transféré en France comme possible espoir « footbalistique », se voit découvrir une tuberculose pulmonaire un an après son arrivée. Une hospitalisation chaotique avec refus d’examens et accrochages avec médecins et personnel, complétée par un suivi erratique avec très mauvaise observance conduisent à une aggravation des lésions et, à la fin de l’histoire, malgré une guérison tardive rendue possible par la compréhension de ce qui se passait, à des séquelles graves ruinant tout avenir sportif ;
– Adama est, lui, hospitalisé en urgence dans un tableau de détresse respiratoire liée à une pneumopathie sévère. Contre toute attente, alors qu’apparemment il n’y avait pas eu de difficulté lors du passage au service des urgences, le patient, soutenu par ses accompagnants, s’oppose violemment à la prise de sang lors de son arrivée dans le service d’accueil générant un conflit avec les soignants inquiets par l’urgence de la situation clinique avec menace de sortie contre avis médical.
Dans ces deux situations comme dans bien d’autres, la méconnaissance réciproque de « l’autre » avec ses systèmes de fonctionnement propres peut conduire à ces conflits ou incompréhensions dont l’issue est parfois désolante : « fugue », violence, rupture de suivi, inobservance thérapeutique… Ces incompréhensions peuvent aussi générer, et c’est probablement tout aussi grave, des souffrances cachées liées à des inquiétudes profondes non comprises ni même seulement imaginées par les soignants.
– Hervé, Camerounais de 17 ans, repéré puis transféré en France comme possible espoir « footbalistique », se voit découvrir une tuberculose pulmonaire un an après son arrivée. Une hospitalisation chaotique avec refus d’examens et accrochages avec médecins et personnel, complétée par un suivi erratique avec très mauvaise observance conduisent à une aggravation des lésions et, à la fin de l’histoire, malgré une guérison tardive rendue possible par la compréhension de ce qui se passait, à des séquelles graves ruinant tout avenir sportif ;
– Adama est, lui, hospitalisé en urgence dans un tableau de détresse respiratoire liée à une pneumopathie sévère. Contre toute attente, alors qu’apparemment il n’y avait pas eu de difficulté lors du passage au service des urgences, le patient, soutenu par ses accompagnants, s’oppose violemment à la prise de sang lors de son arrivée dans le service d’accueil générant un conflit avec les soignants inquiets par l’urgence de la situation clinique avec menace de sortie contre avis médical.
Dans ces deux situations comme dans bien d’autres, la méconnaissance réciproque de « l’autre » avec ses systèmes de fonctionnement propres peut conduire à ces conflits ou incompréhensions dont l’issue est parfois désolante : « fugue », violence, rupture de suivi, inobservance thérapeutique… Ces incompréhensions peuvent aussi générer, et c’est probablement tout aussi grave, des souffrances cachées liées à des inquiétudes profondes non comprises ni même seulement imaginées par les soignants.
Entre « culturalisme » et « nihilisme »
Aborder la dimension culturelle dans la prise en charge des migrants, c’est prendre le risque d’être accusé de faire du « culturalisme » et de nier les déterminants socio-économiques qui jouent pourtant un rôle prépondérant dans le comportement des patients face à leur maladie. À l’inverse, vouloir nier cette dimension c’est passer à côté de phénomènes explicatifs souvent bien utiles au soignant (et donc au patient) pour essayer d’élucider les incompréhensions réciproques. C’est aussi se priver de moyens efficaces d’amorcer ou de parfaire « l’alliance thérapeutique », la tendance étant de considérer les « différences » culturelles (mais sont-elles si profondément différentes ?) comme un obstacle de principe alors qu’elles peuvent se révéler au contraire de puissants alliés. Il faut donc louvoyer entre ne pas enfermer un migrant dans sa « boîte culturelle » qui se suffirait à expliquer son comportement, ce qui serait une grosse erreur, et standardiser toute prise en charge sur un modèle unique dépersonnalisé, qui n’est pas une moindre erreur.
Approche transculturelle
Plus que la consultation de médecine transculturelle (ou d’ethnomédecine, terme moins approprié) qui intervient a posteriori quand une difficulté a émergé et entraîné une situation de blocage et qui nécessite une compétence et une organisation parfois lourde, c’est « l’approche transculturelle » qu’il faut promouvoir dans les lieux de soin (même si les deux stratégies peuvent être complémentaires). L’approche transculturelle est une démarche préventive globale qui, idéalement, devrait être partagée par l’ensemble d’une équipe toutes fonctions confondues (et peut même être considérée comme un projet de service ou d’équipe). Elle consiste tout simplement, sur la base d’une formation qui peut être relativement légère, à faire accepter à l’équipe le principe qu’il faut remettre le patient en tant que personne au cœur du système et l’accepter tel qu’il est dans toute sa diversité. Cela revient à privilégier « l’altérité » (accepter naturellement « l’autre » différent) plutôt que le modèle du patient « standard ». Cette promotion de l’altérité ne nécessite pas de compétences ethno-anthropologiques particulières, même si connaître quelques éléments des structures sociales « traditionnelles » ou des représentations de la maladie peut aider. Ainsi, par exemple, connaître la puissance de la représentation symbolique du sang, support de l’énergie vitale, permet de comprendre et de mieux guider la « négociation » devant un refus de prise de sang. C’était le cas d’Adama, en état de panique par la crainte qu’à force de lui prélever du sang, alors que son sang était déjà très « affaibli » par la maladie, on allait l’achever. Savoir le poids de l’organisation sociale traditionnelle dans une communauté permet de mieux comprendre la réaction de panique dans l’inconscient du jeune Hervé. En effet lorsqu’il a appris concomitamment son diagnostic de tuberculose et le décès brutal au Cameroun de son père, chef du clan, outre le lien qui a pu se faire dans son esprit entre les deux événements et la recherche de sens à ce lien, il a compris brutalement qu’il devenait à l’instant chef du clan familial avec, outre la responsabilité sociale afférente, la responsabilité financière d’environ 200 personnes. On comprend alors que « ne pas guérir » pouvait être une solution de protection psychique à cette écrasante responsabilité.
Promouvoir l’altérité facilite l’alliance
Cette « ambiance » d’altérité portée par l’ensemble d’une équipe, peut, sans intervention spécifique particulière, mettre le patient migrant dans le sentiment d’exister en tant que personne et non en tant que porteur d’une maladie. Ce simple sentiment « d’exister » et de pouvoir être compris et entendu permet de désamorcer spontanément beaucoup d’incompréhensions et de conflits potentiels et renforce considérablement l’alliance thérapeutique, et donc le succès de la prise en charge. On aura compris que cet effet s’applique évidemment à tous les patients quels qu’ils soient, ce qui revient à conclure sur ce paradoxe « positif » que plus on s’intéresse aux différences culturelles plus on se convainc de l’universalisme de l’humain.