Plusieurs arguments plaident en faveur de l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, mais des questions persistent quant au devenir psychologique des enfants, à la situation de mères célibataires et à la pénurie de gamètes.
L’assistance médicale à la procréation (AMP) a été proposée afin de « remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué » (extrait de l’article L152-2 du code de la santé publique).
Le législateur a ainsi considéré que l’AMP était un processus médical qui devait être limité à sa fonction thérapeutique dans un contexte de déficience pathologique des fonctions de reproduction.
Les conditions de l’accès à l’AMP ont été fixées par le législateur dans la première loi de bioéthique : « l’homme et la femme formant le couple… », et ce cadre n’a pas évolué depuis 1994.
L’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires constitue ce qui est communément appelé une « évolution sociétale » ; elle fait partie des sujets discutés dans la cadre des États généraux de la bioéthique qui ont débuté en janvier 2018.
Dans les discussions actuelles, les deux situations « couples de femmes » et « femmes seules » sont généralement associées et s’il existe des points communs entre les deux, on relève aussi des différences importantes qui justifient de les considérer séparément.
Parmi les points communs, il faut noter que dans tous les cas les femmes devront avoir recours à une AMP avec insémination de spermatozoïdes de donneur, ce qui induit une disjonction entre la procréation et l’ordre biologique (la relation sexuelle entre un homme et une femme). Le Comité consultatif national d’éthique remarque que « … cette disjonction existe également pour tous les couples hétérosexuels ayant recours à l’AMP ; mais on est ici en présence d’une nouveauté anthropologique, dans le choix d’un couple de femmes ou d’une femme seule, d’utiliser la technique à la place de l’acte sexuel fécondant pour accéder à la procréation ».1
Le législateur a ainsi considéré que l’AMP était un processus médical qui devait être limité à sa fonction thérapeutique dans un contexte de déficience pathologique des fonctions de reproduction.
Les conditions de l’accès à l’AMP ont été fixées par le législateur dans la première loi de bioéthique : « l’homme et la femme formant le couple… », et ce cadre n’a pas évolué depuis 1994.
L’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires constitue ce qui est communément appelé une « évolution sociétale » ; elle fait partie des sujets discutés dans la cadre des États généraux de la bioéthique qui ont débuté en janvier 2018.
Dans les discussions actuelles, les deux situations « couples de femmes » et « femmes seules » sont généralement associées et s’il existe des points communs entre les deux, on relève aussi des différences importantes qui justifient de les considérer séparément.
Parmi les points communs, il faut noter que dans tous les cas les femmes devront avoir recours à une AMP avec insémination de spermatozoïdes de donneur, ce qui induit une disjonction entre la procréation et l’ordre biologique (la relation sexuelle entre un homme et une femme). Le Comité consultatif national d’éthique remarque que « … cette disjonction existe également pour tous les couples hétérosexuels ayant recours à l’AMP ; mais on est ici en présence d’une nouveauté anthropologique, dans le choix d’un couple de femmes ou d’une femme seule, d’utiliser la technique à la place de l’acte sexuel fécondant pour accéder à la procréation ».1
Extension de l’AMP aux couples de femmes
La question est donc celle d’un choix sociétal auquel procéderait le législateur en autorisant l’accès à l’AMP aux couples de femmes.
Arguments en faveur de cette extension
On peut avancer plusieurs arguments, en considérant que cette évolution s’inscrit dans un souci d’égalité dans l’accès aux techniques d’AMP, pour répondre à un désir d’enfant (ces techniques se résument principalement à l’insémination avec spermatozoïdes de donneur car on a en principe affaire à des femmes qui n’ont pas de problème de fertilité).Le terme d’indication « sociétale » dans ce cadre peut être sujet à discussion : en effet, une personne ne choisit pas son orientation sexuelle ; l’homosexualité ne relève pas d’un choix mais s’impose au sujet. La plupart des femmes homosexuelles rapportent ne pouvoir envisager d’avoir un rapport sexuel avec un homme. Et même si cela est possible pour certaines, cette demande d’AMP a un sens : un « choix de couple » affirmé et reconnu par la société, et dont la filiation serait légalement autorisée. Les restrictions actuelles de l’accès à l’AMP peuvent donc être vécues comme une absence d’équité, à caractère discriminatif.De fait, on observe que ce désir d’enfant chez les couples de femmes est suffisamment fort pour que celles-ci aient cherché des solutions en dehors de l’AMP, puisqu’elle leur est actuellement interdite : beaucoup se rendent dans des pays voisins où l’insémination de spermatozoïdes de donneur est autorisée : l’Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark, et surtout la Belgique. Ainsi, chaque année, plus de 1 000 femmes françaises se rendent en Belgique pour bénéficier d’une insémi- nation. Il est intéressant de noter qu’une majorité d’entre elles se procurent des paillettes de sperme en provenance de la banque de sperme danoise Cryos, qui « fournit » en paillettes tous les pays d’Europe. Néanmoins, ces solutions « médicalisées » (inséminations à l’étranger) ont un coût financier non négligeable et demande de la disponibilité, plusieurs voyages entre la France et l’étranger étant nécessaires. Cela explique que beaucoup de couples de femmes – mais leur nombre est impossible à préciser – ont recours à des donneurs qu’elles vont chercher dans leurs connaissances ou sur Internet, pour des inséminations dites « artisanales », dans le sens où le rapport sexuel est exclu : le donneur « occasionnel » fournit du sperme par masturbation et la femme qui a choisi d’être enceinte au sein du couple pratique une auto-insémination, le plus souvent à l’aide d’une seringue introduite au fond du vagin. Il est évident que ces pratiques sont à risque, en particulier sanitaire : il est fort peu probable que les femmes puissent exiger et obtenir du donneur des résultats de sérologies virales ainsi que la recherche d’infections sexuellement transmissibles, comme cela est pratiqué systématiquement chez les donneurs qui se rendent dans les centres d’études et de conser- vation des œufs et du sperme humains (CECOS). De plus, le couple n’est pas à l’abri des revendications de paternité que pourrait formuler le donneur à plus ou moins long terme, avec la menace d’un test génétique.D’un point de vue pragmatique, on peut ainsi considérer que la possibilité du recours à l’AMP éviterait aux femmes soit d’aller à l’étranger pour des inséminations de spermatozoïdes de donneur dans des conditions satisfaisantes, soit, pour celles qui n’en ont pas les moyens financiers, d’avoir recours à des solutions à risque, en particulier sur le plan sanitaire.
Réserves et inquiétudes face à cette extension
Certaines réserves sont exprimées par des médecins et soignants non médecins, avec comme argument principal le fait que l’AMP a été développée pour remédier à un problème d’infertilité et qu’il y aurait donc là une « dérive » des indications. On peut objecter que la limite entre ces deux indications, médicale et non médicale, n’est pas toujours aussi nette. Ainsi, et même si ces cas sont rares, les centres peuvent être amenés à prendre en charge des couples qui sont inféconds parce qu’ils n’ont pas de relations sexuelles… alors qu’ils sont fertiles. Et comment classifier les situations où un problème d’infertilité serait diagnostiqué au sein d’un couple de femmes ? La question principale que l’on peut et doit se poser a trait à « l’intérêt de l’enfant », bien qu’il soit difficile de définir précisément cette notion.Il a été avancé que le bon développement psycho- logique d’un enfant nécessiterait qu’il vive au sein d’un couple parental où il existe suffisamment de « différences » entre les deux membres du couple, questionnant par-là la parentalité associée à l’homosexualité féminine. Mais il faut veiller à ne pas tomber dans le piège où homosexualité signifierait « être identique à l’autre ». On peut néanmoins soulever un certain nombre de questions : est-ce que l’absence de père et donc de figure masculine (au sens biologique) qui sera institution- nalisée aura des conséquences délétères sur le bien- être psychique de l’enfant ? Modifiera-t-elle la relation des enfants à leur origine et leurs repères familiaux ?Si l’on peut penser qu’il y aura nécessairement des particularités, il paraît difficile de les identifier aujourd’hui ; mais il ne serait pas juste d’avancer que celles-ci ne peuvent qu’être péjoratives pour l’enfant. Il faut prendre en compte la multitude de structures de la parentalité qui existent de nos jours, et les études anthropologiques témoignent de l’influence majeure de « l’autorisation sociale » dans le bien-être de l’enfant, qui ne peut se réduire aux relations avec ses parents.Il existe une littérature fournie sur le devenir des enfants élevés par des couples de même sexe, émanant en particulier des États-Unis, du Royaume-Uni, des Pays-Bas. Cependant, beaucoup de ces études sont critiquables : enfants élevés par deux femmes, mais qui ont été conçus dans un cadre hétérosexuel ; défauts méthodologiques et existence de nombreux biais relevés dans beaucoup d’études (faible effectif, donc faible puissance scientifique) ; pauvreté des paramètres étudiés ; absence de suivi à moyen et long terme, etc. On a également reproché à certaines études d’avoir été publiées dans un esprit militant, donc de ne pas être parfaitement objectives. C’est le cas pour l’American Psychologicial Association qui avait conclu en 2005 à l’absence de différences entre les enfants élevés au sein d’un couple homosexuel et ceux élevés au sein d’un couple hété- rosexuel. Cette étude a été revisitée ultérieurement par plusieurs auteurs qui ont insisté sur la difficulté à tirer des conclusions définitives.2, 3 On manque donc d’études sur le devenir des enfants conçus dans la cadre d’une famille homoparentale et élevés au sein de cette famille. De surcroît, la quasi-totalité de ces études concernent des enfants qui n’ont pas atteint l’adolescence ; or on sait que cette période est critique pour beaucoup d’enfants. Serait-elle identique ou différente selon le type de famille au sein de laquelle l’enfant est élevé ?Néanmoins, des études récentes, plus solides car fondées sur une méthodologie rigoureuse, indiquent qu’il n’existe pas de difficulté majeure chez les enfants élevés au sein d’un couple féminin, ce qui constitue un élément rassurant.4, 5
Situation particulière des femmes seules
Cette situation n’est pas superposable à celle des couples de femmes. À l’absence de père, de figure masculine commune aux deux situations, s’ajoute ici l’absence de couple et comme conséquence l’existence d’un seul lignage parental de premier rang, d’une seule généalogie familiale au lieu de deux. En ce qui concerne le développement des enfants de mères célibataires par choix, la littérature est encore plus réduite que pour les enfants de couples de femmes. On dispose en France de données socio-économiques sur les familles monoparentales (1,8 million sur 7,8 millions de familles, soit 23 % [rapport Insee, 2015]).6 Les deux situations sont évidemment différentes puisque, dans le rapport de l’Insee, la grande majorité des femmes n’ont pas choisi d’élever seules un enfant, qui a été conçu le plus souvent au sein d’un couple établi. Là où les deux situations se rejoignent, c’est sur le plan des difficultés pour faire face à la gestion du temps, et aux charges matérielles et financières (niveau de vie moyen inférieur de 30 % à celui des familles biparentales).
On peut réfléchir également à la pertinence d’imposer un âge minimal pour le recours à l’insémination avec spermatozoïdes de donneur chez une femme seule (la limite supérieure est conditionnée par des consi- dérations d’ordre médical : la fertilité des femmes baisse en moyenne à partir de 35 ans et devient très faible au-delà de 40 ans). On peut en effet imaginer la situation d’une jeune femme de 25 ans ou moins qui sort d’une déception amoureuse et décide par dépit de « faire un bébé toute seule ». Serait-il raisonnable d’accéder sans discussion à sa demande ?
On peut réfléchir également à la pertinence d’imposer un âge minimal pour le recours à l’insémination avec spermatozoïdes de donneur chez une femme seule (la limite supérieure est conditionnée par des consi- dérations d’ordre médical : la fertilité des femmes baisse en moyenne à partir de 35 ans et devient très faible au-delà de 40 ans). On peut en effet imaginer la situation d’une jeune femme de 25 ans ou moins qui sort d’une déception amoureuse et décide par dépit de « faire un bébé toute seule ». Serait-il raisonnable d’accéder sans discussion à sa demande ?
Conséquences sur la gestion du don de gamètes
Les CECOS, dès leur constitution à partir de 1973, ont été confrontés à la question de la difficulté à recruter des donneurs de sperme, aboutissant à des situations de relative pénurie, qui se traduit par des délais d’attente relativement longs pour les couples demandeurs (1 an ou plus en moyenne). Cette rareté des dons, que ne connaissent pas les autres pays, s’explique par le fait que le don en France est entièrement altruiste et ne fait l’objet d’aucune compensation financière ; d’autre part, le don de gamètes a une valeur symbolique particulière, qui le singularise par rapport à d’autres éléments du corps humain comme le sang. Il est clair que l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules entraînera un afflux important des demandes, qui sera encore plus marqué dans les premières années. La conséquence sera immanquablement une élévation du délai d’attente, avec une diminution des chances de succès pour les femmes de plus de 35 ans, dans les couples homosexuels comme hétérosexuels. Faudrait-il donner une priorité aux couples hétérosexuels, instaurant ainsi une différence entre les « bonnes » indications – l’infécondité – et les autres, de nature non médicale ? On peut considérer que cette distinction n’est pas admissible sur le plan éthique, et les CECOS refusent d’aller dans ce sens.
Les pays d’Europe qui acceptent la prise en charge des femmes seules et en couple ont imaginé des solutions pour faire face à la « pénurie » du don de sperme :
– une gratuité affichée, mais avec une « dédomma- gement » des donneurs et donneuses de gamètes comme en Espagne ; une rémunération assumée, comme au Danemark ;
Une dernière question se pose : le recours à l’insémination avec donneur pour raisons non médicales doit-il être intégralement pris en charge par l’Assurance maladie, comme c’est le cas pour les stérilités médicalement constatées ? Cette question est difficile : on peut considérer que la société n’a pas à prendre en charge financière tous les types de demandes ; mais cette mesure entraînerait une absence d’équité entre les femmes, certaines pouvant « s’offrir » cette prestation médicale et d’autres non.
Les pays d’Europe qui acceptent la prise en charge des femmes seules et en couple ont imaginé des solutions pour faire face à la « pénurie » du don de sperme :
– une gratuité affichée, mais avec une « dédomma- gement » des donneurs et donneuses de gamètes comme en Espagne ; une rémunération assumée, comme au Danemark ;
Une dernière question se pose : le recours à l’insémination avec donneur pour raisons non médicales doit-il être intégralement pris en charge par l’Assurance maladie, comme c’est le cas pour les stérilités médicalement constatées ? Cette question est difficile : on peut considérer que la société n’a pas à prendre en charge financière tous les types de demandes ; mais cette mesure entraînerait une absence d’équité entre les femmes, certaines pouvant « s’offrir » cette prestation médicale et d’autres non.
DES ARGUMENTS « POUR » ET DES QUESTIONS
Il existe un certain nombre d’arguments en faveur de l’accès des couples de femmes et des femmes seules aux techniques d’AMP avec sperme de donneur :– la reconnaissance du désir d’enfant chez ces femmes et de la souffrance ressentie du fait de l’impossibilité à assouvir ce désir, en raison, pour ce qui concerne les couples de femmes, d’une orientation sexuelle au sujet de laquelle on ne peut parler de « choix » ; – le recours à des solutions onéreuses (à l’étranger), ou à risques, en particulier sanitaires (donneur recruté par connaissances ou sur Internet). La question de la relation à l’enfant dans ces structures familiales nouvelles doit être posée ; l’absence de père, ou de figure paternelle, représente-t-elle un handicap pour le développement de l’enfant ? Même si les études dont la méthodologie est rigoureuse sont encore peu nombreuses, des travaux récents ne rapportent pas de problèmes particuliers chez les enfants élevés au sein de couples de femmes.La situation des femmes seules est particulière dans le sens où l’absence de couple s’ajoute à l’absence de père, et que la situation socio-économique d’une femme seule est plus fragile que celle d’un couple. Sans parler de situation « à risque », il faut être conscient de cette plus grande fragilité sur tous les plans. Enfin, on doit également être conscient que devant cette extension de l’accès à l’AMP avec donneur, les CECOS vont être confrontés à une pénurie de donneurs avec comme conséquence une élévation du délai de prise en charge pour tous, y compris les couples hétérosexuels.
Références
1. Comité consultatif national d’éthique. Avis du CCNE sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP). CCNE, avis n° 126, 15 juin 2017.
2. Marks L. Same-sex parenting and children's outcomes: A closer examination of the American psychological association's brief on lesbian and gay parenting. Soc Sci Res 2012;41:735-51.
3. Schumm WR. A review and critique of research on same-sex parenting and adoption. Psychol Reports 2016;119:641-760.
4. Gross M, Bureau MF. Homoparentalités, transparentalités et manifestations de la diversité familiale : les défis contemporains de la parenté. Enfances Familles Générations 2015;23. www.efg.inrs.ca ou https://bit.ly/2JPwMQq
5. Bos HMW, Kuyper L, Gartrell NK. A population-based comparison of female and male same-sex parent and different-sex parent households. Fam Process 2017;57:148-64.
6. Institut national de la statistique et des études économiques. Couples et familles. Rapport Insee 2015. www.insee.fr ou https://bit.ly/2qAZhcU
2. Marks L. Same-sex parenting and children's outcomes: A closer examination of the American psychological association's brief on lesbian and gay parenting. Soc Sci Res 2012;41:735-51.
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4. Gross M, Bureau MF. Homoparentalités, transparentalités et manifestations de la diversité familiale : les défis contemporains de la parenté. Enfances Familles Générations 2015;23. www.efg.inrs.ca ou https://bit.ly/2JPwMQq
5. Bos HMW, Kuyper L, Gartrell NK. A population-based comparison of female and male same-sex parent and different-sex parent households. Fam Process 2017;57:148-64.
6. Institut national de la statistique et des études économiques. Couples et familles. Rapport Insee 2015. www.insee.fr ou https://bit.ly/2qAZhcU