L’asthénie prolongée est une plainte fréquente en médecine générale. Les causes étant nombreuses, la démarche diagnostique est très difficile, et la crainte de méconnaître une origine néoplasique est la hantise du médecin. Au-delà des signes d’appel classiques (rectorragies, hématurie, masses…), une étude s’est intéressée aux symptômes associés à une augmentation du risque de cancer. Retour sur ses résultats et sur la conduite à tenir en MG devant une asthénie.
Jusqu’à un quart des patients consultant en médecine générale se plaint d’être toujours fatigué, selon l’Assurance maladie. Non spécifique et subjectif, ce symptôme pose un véritable défi diagnostique avec, d’une part, la crainte de méconnaître une cause grave – en particulier un cancer – mais, d’autre part, le risque de multiplier les examens inutiles et coûteux.
En pratique : conduite à tenir devant une asthénie
La démarche diagnostique recherche les principales étiologies, organiques ou psychogènes. Ces dernières (troubles de l’humeur, anxieux ou somatoformes, burn out…) sont très fréquentes, mais constituent un diagnostic d’élimination.
Il convient d’éliminer en premier lieu les causes physiologiques (grossesse débutante, régimes déséquilibrés, surentraînement du sportif, privation de sommeil, etc.) et les asthénies réactionnelles (stress professionnel ou familial, surmenage...). Dans ces contextes, les symptômes sont volontiers à prédominance vespérale, avec hypersomnie non reposante et plaintes somatiques variées.
L’algorithme ci-contre propose un interrogatoire codifié permettant de mener une enquête minutieuse.
Causes somatiques (hors cancer) : comment s’orienter ?
Sur le plan infectieux, certains virus sont responsables d’asthénie prolongée : EBV, CMV, VIH, VHC, ainsi que des bactéries (tuberculose…).
Sur le plan endocrinien, penser avant tout aux dysthyroïdies (hypothyroïdie en particulier : doser la TSH) ou à une insuffisance surrénalienne. L’hyperparathyroïdie, par le biais de l’hypercalcémie, se révèle fréquemment par une asthénie (inclure calcémie dans le bilan). Enfin, l’hypogonadisme peut être en cause chez l’homme (doser la testostérone).
Parmi les étiologies neurologiques, la myasthénie, bien que rare, est au premier plan (fatigabilité à l’effort, prédominant aux muscles oculomoteurs et palpébraux) ; le diagnostic est confirmé par électromyographie et mise en évidence d’anticorps anti-récepteurs de l’acétylcholine, ainsi que par le test à la prostigmine ou dérivés. Maladie de Parkinson ou sclérose en plaques sont aussi des causes fréquentes de fatigue, mais l’examen retrouve des signes neurologiques évocateurs.
Les troubles du sommeil doivent être systématiquement repérés : syndrome d’apnées du sommeil ou des jambes sans repos (soit primaire soit lié à une carence martiale ou une insuffisance rénale, ou d’origine iatrogène).
Des causes métaboliques peuvent aussi expliquer une asthénie – insuffisance rénale, carences en vitamine B12 ou folates –, ainsi que des causes digestives : MICI, maladie cœliaque chez l’adulte (rechercher : douleurs abdominales, diarrhées, carence martiale, anti-transglutaminases).
Les hépatopathies – cirrhoses alcooliques, hépatites B ou auto-immunes – sont marquées par une fatigue plus ou moins intense. Les anomalies biologiques orientent souvent, mais dans les hépatites virales les transaminases peuvent être normales.
L’hémochromatose primitive peut être responsable d’une asthénie isolée. L’augmentation du fer sérique et du coefficient de saturation de la sidérophiline (> 50 % chez l’homme, 45 % chez la femme), les antécédents familiaux éventuels et la mutation du gène HFE confirment le diagnostic.
L’anémie n’est pas rare : sa vitesse d’apparition, plus que le chiffre de l’Hb, détermine l’intensité de la fatigue. Rechercher systématiquement (en particulier chez la femme) une carence martiale qui, même sans anémie, peut engendrer une asthénie.
Quel risque de cancer chez les patients asthéniques ?
Les causes néoplasiques sont la hantise du praticien face à une plainte d’asthénie, car celle-ci figure souvent parmi les premiers signes qui conduisent des personnes atteintes de cancer à consulter – or l’errance diagnostique peut être longue pour ces patients, grevant leur pronostic. Comment discerner alors les patients qui ont besoin d’explorations complémentaires, en l’absence de points d’appels alarmants (anorexie, altération de l’état général, hématurie, masse) ? Pour répondre à cette question, des chercheurs britanniques ont suivi, dans une grande étude de cohorte, des patients consultant en soins primaires pour asthénie, associée ou non à d’autres symptômes non spécifiques tels que : symptômes gastro-intestinaux, douleurs musculosquelettiques, dyspnée, céphalées, infections urinaires, toux, etc. Leur but était d’établir le risque d’avoir un diagnostic de cancer à court terme (le suivi était de 9 mois) tous sites confondus (hormis les cancers de la peau autres que le mélanome).
Les résultats ont été publiés dans le British Journal of General Practice.
Un risque accru si au moins un autre symptôme non spécifique est associé
La cohorte comprenait 285 382 personnes âgées de 30 à 99 ans consultant entre 2007 et 2015 en soins primaires pour asthénie récente (et n’ayant pas eu un diagnostic de cancer dans l’année précédant la consultation), dont 84 % n’avaient ni anémie ni d’autres symptômes alarmants (rectorragies, hématurie, dysphagie, masses…).
Chez 38 % de ces 239 846 patients, l’asthénie était associée à un ou plusieurs symptômes non spécifiques parmi les 19 recensés ; ces symptômes étaient pris en compte s’ils étaient apparus dans les 3 mois précédant la première consultation pour asthénie, ou dans le mois qui la suivait. Pour 26 % des patients, un seul symptôme était présent, tandis que 12 % avaient deux symptômes ou plus.
Les auteurs ont croisé les données provenant des dossiers médicaux électroniques du Clinical Practice Research Datalink à celles des registres de cancers tenus par le National Cancer Registration & Analysis Service pour estimer le risque de cancer au cours des 9 mois suivants, pour chaque sous-groupe selon le symptôme qui était associé à l’asthénie.
Résultats : globalement, le risque de cancer (tous âges confondus) était plus élevé en cas d’asthénie associée à au moins un symptôme non spécifique qu’en cas d’asthénie seule ; ce risque était d’autant plus important pour les patients ayant deux symptômes associés ou plus : 2,5 % chez les hommes et 1,3 % chez les femmes, contre 1,5 % et 0,8 % respectivement pour ceux n’ayant qu’un symptôme associé.
Perte de poids et signes gastro-intestinaux au premier plan
La perte de poids, la constipation et certains troubles gastro-intestinaux (douleurs abdominales pour les hommes et ballonnements abdominaux pour les femmes), ainsi que la dyspnée,étaient les symptômes pour lesquels le risque observé était le plus élevé, lorsqu’ils étaient associés à l’asthénie. Il augmentait avec l’âge pour chaque symptôme recensé.
Plus précisément, le risque était > 3 % lorsque l’asthénie était associéeaux symptômes suivants :
- chez les femmes : ≥ 80 ans et ballonnements abdominaux ; ≥ 79 ans et douleurs abdominales ; ≥ 65 ans et perte de poids ;
- chez les hommes : ≥ 70 ans et n’importe lequel des symptômes considérés ; ≥ 67 ans et constipation ou autres symptômes gastro-intestinaux ; ≥ 65 ans et douleurs abdominales ; ≥ 59 ans et perte de poids.
Bien que le risque de cancer reste faible, les auteurs en concluent que ces combinaisons de symptômes, associés à des critères comme l’âge et le sexe, devraient constituer des indices justifiant des explorations complémentaires (encadré).
Quel bilan devant une asthénie prolongée ?
En l’absence de point d’appel, on peut proposer en première intention :
- hémogramme, CRP, glycémie, créatinine, ionogramme, transaminases, CPK, LDH, calcémie, TSH, ferritine, sérologies VIH, VHB, VHC, électrophorèse des protides ;
- radiographie thoracique ;
- test d’Epworth.
En seconde intention :
- cortisolémie, facteur antinucléaire (FAN), anticorps anti-cytoplasme des neutrophiles (ANCA), anticorps anti-transglutaminases, sérologies CMV, EBV ;
- scanner thoraco-abdomino-pelvien.
En troisième intention : avis spécialisé.
White B, Renzi C, Barclay M, et al. Underlying cancer risk among patients with fatigue and other vague symptoms: a population-based cohort study in primary care. Br J Gen Pract 2022.0371.
Gatfossé M. Asthénie : quand s’inquiéter ? Rev Prat Med Gen 2017;31(978):240-1.