L’Atlas de la démographie médicale est publié annuellement par l’Ordre national des médecins, depuis une quinzaine d’années. Les données recueillies mériteraient d’être actualisées afin de tenir compte de l’évolution des modes d’exercice.
La publication par le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), chaque année, de son Atlas de la démographie médicale est devenue un temps fort de l’actualité professionnelle. Le document et les données qu’il diffuse sont largement repris et commentés par les médias, alimentant ainsi le flux d’informations sur la question douloureuse des difficultés d’accès aux soins, que les gazettes cultivent volontiers en popularisant la formule de « déserts médicaux ».

Antériorité des publications sur la démographie médicale

Il n’en a pas toujours été ainsi. Voilà trois décennies, le Conseil de l’Ordre produisait déjà des « brochures » sur la démographie médicale, alors que le sujet n’intéressait qu’un tout petit nombre d’observateurs. L’engagement résolu pour la production de ces brochures du Dr Olivier Dubois – à l’époque secrétaire général de l’Ordre – garantissait leur intérêt.
La fin des années 1980 et les années 1990 avaient été marquées par le risque avéré d’un nombre pléthorique de médecins. Cela s’est traduit par des échecs à l’installation, conduisant des jeunes médecins à « dévisser leur plaque » en raison d’une trop faible activité1 ou encore à s’engager dans un mode d’exercice particulier (MEP) pour lequel l’attrait était croissant à cette période. Et, pour limiter cette pléthore, le mécanisme d’incitation à la cessation d’activité (MICA), qui n’est plus guère évoqué aujourd’hui, avait été mis en place : près de 11 000 médecins libéraux – principalement généralistes – soit près de trois fois (!) le numerus clausus de ces années-là, avaient ainsi pu bénéficier d’une préretraite, à partir de 57 ans, entre 1988 et 2003.
En 2007, le premier Atlas du CNOM a succédé à ces brochures, initiant un cycle de parution annuelle ; il constitue donc désormais le document de référence.
D’autres sources peuvent également apporter des indications démographiques et de consommation médicale, comme le fichier de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS), fiable, fondé sur les médecins ayant produit des feuilles de soins au cours de l'année N-1, mais qui ne concerne que les praticiens conventionnés, libéraux exclusifs ou non.
On peut également rappeler qu’en 2003, lorsque Jean-François Mattei était ministre de la Santé, avait été lancé le double projet d’un Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) et du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) ; l’objectif était de mettre en œuvre une approche pluriprofessionnelle pour fiabiliser et améliorer les analyses démographiques de l’ensemble des professions de santé et, à terme, réorganiser les conditions d’accès aux soins. Cependant, l’insuffisance des moyens octroyés à l’ONDPS et la lenteur de mise en œuvre du RPPS à l’ensemble des métiers de la santé (encore moins de la moitié des professions répertoriées à ce jour, vingt ans après l’initiation du projet) n’ont pas permis l’accomplissement de cette politique.
Reste donc l’Atlas de la démographie du CNOM ; l’inscription à l’Ordre, indispensable pour exercer, constituant le « guichet d’entrée » au RPPS pour les médecins.

Actualisation des données nécessaire

C’est précisément sur ces données renseignées sur le formulaire de l’Ordre lors de l’inscription, ou bien à l’occasion d’actualisations ultérieures, que des améliorations sensibles pourraient être apportées.

D’abord sur le mode et le lieu d’exercice...

Qu’on le constate et qu’on l’encourage ou qu’on le déplore, ces paramètres ont subi des évolutions profondes ces vingt dernières années. Ainsi, nombre de médecins d’aujourd’hui privilégient – durablement sinon définitivement – un exercice multisite donnant lieu à des types de rémunération variés (honoraires, vacations, salariat, etc.).
Tout cela n’apparaît pas suffisamment dans les données renseignées par les médecins et, par conséquent, dans les traitements statistiques qui peuvent être réalisés et publiés dans l’Atlas. Ainsi, la finalité implicite d’une inscription en « exercice libéral » ne semble plus adaptée aux réalités contemporaines.
Des précisions seraient également intéressantes concernant le temps consacré aux activités cliniques ; singulièrement en période de pénurie de médecins, il serait utile d’apprécier plus finement ce « potentiel médical », par exemple en indiquant le nombre de patients vus chaque trimestre ou chaque semestre. De même, la présence auprès d’un médecin d’un assistant, comme cela se généralise,2 ou l’exercice au sein d’un regroupement pluriprofessionnel, devraient apparaître dans les données renseignées puis publiées.

... ensuite sur « l’ancrage » géographique

L’inscription se fait actuellement selon un découpage départemental qui, souvent, n’a que peu de pertinence en regard des réalités du terrain ; les statistiques de densité médicale qui en découlent ont alors un intérêt davantage documentaire que pratique. Or la notion de « territoire de santé » – bien qu'elle soit encore un peu floue – est promue par divers acteurs locaux, politiques ou administratifs. La faisabilité et l’utilité d’une évolution de l’ancrage dans ce sens pourraient être envisagées. De même, l’intégration éventuelle des médecins dans une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) pourrait figurer parmi les données analysées.

Actualisation en temps réel

Enfin, se pose la question de l’actualisation des informations fournies par chaque médecin, à une époque où la plasticité de la profession et des trajectoires professionnelles sont sans commune mesure avec la situation qui prévalait jusqu’alors. Une plus juste appréciation du potentiel médical bénéficierait ainsi d’une actualisation « en temps réel » des plages d’exercice clinique ; à partir de données déjà disponibles et sans aucune surcharge supplémentaire pesant sur les praticiens du terrain.

Évolution vers la pluriprofessionnalité

Certes, l’objet de l’Atlas est la démographie médicale. Mais, on le constate chaque jour, l’exercice clinique est de plus en plus souvent pluriprofessionnel ; particulièrement pour les malades vieillissants, volontiers polypathologiques et qui constituent la charge principale pour le système de santé, autant en matière de ressources humaines que de charges financières.
Le Conseil de l’Ordre des médecins avait très bien perçu cette évolution en publiant, il y a un an, deux communiqués sur l’importance du travail commun des professionnels de santé pour faire évoluer le parcours de soins des patients et répondre aux difficultés d’accès aux soins qui était réaffirmé au sein du comité de liaison inter-ordinal (CLIO regroupant les ordres des masseurs-kinésithérapeutes, des sages-femmes, des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des chirurgiens-dentistes, des pédicures-podologues).3 L’authentification de ce travail en commun pourrait se poursuivre par l'analyse et la publication de données démographiques de l'ensemble des professions de santé qui, au-delà des seuls médecins, ouvriraient davantage les possibilités d'accès aux soins, au bénéfice de l'ensemble des patients. Et le CNOM pourrait porter une initiative professionnelle dans ce sens. 
Notes et références
1. Relire à ce propos le travail du Centre de recherche, d’études et de documentation en économie de la santé (CREDES), publié en 1990, intitulé « Les omnipraticiens à faible niveau d’activité libérale ».
2. Le Concours médical a publié, en avril 2016, un article titré « L’équation de Pierre de Haas » (du nom d’un pionnier des maisons de santé) où il était évoqué le bénéfice que procurait aux médecins la coopération régulière avec des assistants de santé.
3. Chabot JM. La mue est engagée. Rev Prat 2022;72(10):1071.

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