La Revue du Praticien : Y a-t-il eu des réticences à l’idée de ce reportage ?
M.L. Fievet : La principale réticence était liée à la diffusion des images (droit à l’image des patients) mais qui a pu être rapidement levée puisque le reportage était exclusivement destiné à être publié sur le site de votre revue. Nous avions également une confiance totale en Vincent, qui avait fait un stage au préalable dans notre service. Sur les 15 à 20 médecins de l’équipe, un seul a refusé d’être pris en photo.
Quelles ont été vos premières impressions à la vue du reportage ?
Nous l’avons tous revu en équipe et tout le monde était unanime pour dire que « C’était génial ! ». Certains d’entre nous avaient les yeux écarquillés en regardant les photos : « C’était encore plus vrai que vrai ! ». Tout d’abord, le travail artistique de Vincent est remarquable ; en particulier le travail sur la lumière (lors de nos interventions de nuit, nous sommes parfois juste éclairés par de petites lampes ou les lumières des camions). Au travers de son objectif, il a su capter et exacerber nos ressentis. Que ce soit la tension palpable sur le visage d’une collègue que l’on voit en train d’intuber ; ou les rires entre deux interventions pour décompresser ; les échanges de regards… « C’est important de voir que nous ne sommes pas que des machines ! ».
En voyant ces photos on s’est tous dit : « C’est fort ce que l’on fait, c’est dur ! ».
Ces photos ont-elles apporté un autre regard sur votre travail ?
Oui. Clairement. Ces photos mettent vraiment en valeur ce que nous faisons ; la précision des gestes, le travail d’équipe ; et puis, bien sûr, elles permettent un retour en images sur des situations parfois particulièrement difficiles. Je pense en particulier à cette situation d’urgence extrême, face à un arrêt cardiorespiratoire sur la voie publique, immortalisée par Vincent. À l’heure où je vous parle, ce patient va parfaitement bien. Nous voir ainsi dans l’action avec du recul, lorsqu’on a pu sauver des vies, nous renvoie une grande fierté de ce que l’on fait au quotidien. Et c’est important pour nous, dans cette période de polémiques où la qualité de notre travail est parfois remise en cause.
On parle peu du stress post-traumatique des équipes du Samu. Est-ce une réalité ?
Oui. C’est un sujet dont on parle peu. Certaines interventions sont plus difficiles émotionnellement que d’autres. Nous « débriefons » à longueur de temps, entre chaque intervention, de manière informelle. Nous nous parlons beaucoup entre nous ! il n’y a aucune hiérarchie dans nos équipes ; un médecin plus aguerri peut aller parler à un ambulancier ; personne ne doit être oublié... « Ces moments pris parfois pour des moments de détente sont des moments précieux pour se parler ».
Bien sûr nous avons aussi des moments de « débriefing » plus techniques, sur notre prise en charge médicale, gestuelle, du patient, mais aussi et surtout de « débriefing psychologique » car la charge émotionnelle est très lourde, quoi qu’en disent certains…
Envisagez-vous de montrer ce reportage autour de vous ?
À mes proches certainement. C’est aussi une manière de leur montrer ce qu’on fait au quotidien et qu’il n’est pas toujours facile de simplement verbaliser. Mais aussi à nos collègues soignants des autres Smur ; certains de nos anciens externes sont maintenant à la tête de Samu en province. Quelques collègues de l’équipe, partis depuis le reportage photo de Vincent, ont fait des albums souvenirs avec les photos prises par Vincent. C’est un joli cadeau qu’il nous laisse là !
Alexandra Karsenty - La Revue du Praticien
M.-L. Fievet déclare n'avoir aucun lien d'intérêts.