Une équipe française a montré, dans une grande étude nationale fondée sur les données de l’Insee, une augmentation de la mortalité infantile dans notre pays depuis 2012. Cette hausse est-elle une spécificité française ? Quelles sont les raisons ? L’analyse du Dr Jean-David Zeitoun, médecin, docteur en épidémiologie clinique.
Les enfants ont été les premiers à bénéficier de l’amélioration de la santé et de l’espérance de vie humaines : la mortalité infantile est le premier indicateur épidémiologique qui a historiquement progressé. C’était entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle dans les pays occidentaux. Elle avait jusque-là toujours été très élevée même si très variable. Les historiens et les démographes ont souvent estimé qu’entre 1 enfant sur 5 et 1 enfant sur 2 mourait avant l’âge de 10 ans. Comme la moyenne est un concept mathématique très influencé par les valeurs extrêmes (contrairement à la médiane), l’espérance de vie était très affectée par cette mortalité infantile.
Ainsi, dès que cette dernière a baissé, la longévité moyenne a augmenté significativement et durablement.1 On pense que 4 causes principales ont largement contribué à cette diminution de la mortalité infantile : la désinfection des villes par l’assainissement, c’est-à-dire le traitement des déchets, l’eau potable, une meilleure alimentation et la vaccination contre la variole (1796).
Au XXe siècle, les pays les moins développés ont rattrapé leur retard sur les pays occidentaux et c’est la mortalité infantile mondiale qui a baissé. Ils l’ont fait avec les mêmes mécanismes que les pays développés deux siècles plus tôt. Cet écrasement de la mortalité infantile mondiale a produit une inversion de l’âge de la mort. Aujourd’hui, la plupart des humains peuvent s’attendre à mourir entre 65 ans et 90 ans.
Mais cet acquis n’est pas irréversible. La mortalité infantile continue de baisser dans certains pays du monde, notamment au Japon, en Slovénie ou en Islande, mais elle stagne ou remonte dans certains pays.
Une équipe française vient de publier une étude observationnelle montrant une augmentation de la mortalité infantile dans notre pays.2 Les chercheurs ont travaillé sur les données de l’Insee entre 2001 et 2019 pour évaluer la mortalité au cours de la première année de vie sur cette longue période, ce qui en fait la plus grande étude nationale récente de ce type. La méthodologie était sophistiquée pour corriger les effets de biais potentiels. Au total, 53 077 décès infantiles ont été recensés dans l’étude.
Le taux de mortalité infantile s’élevait à 3,63/1 000 (4/1 000 pour les garçons et 3,25/1 000 pour les filles, ce qui rappelle une constante historique du XXe siècle concernant la meilleure santé du sexe féminin, qui tient partiellement à des différences biologiques et pas seulement sociales.3
En simplifiant, un quart des décès survenaient les premiers jours de vie et une moitié au cours de la période néonatale précoce. De 2001 à 2005, le taux de mortalité infantile baissait nettement. De 2005 à 2012, il baissait mais bien plus lentement. Ensuite, le taux de mortalité infantile a augmenté, surtout à cause de la mortalité néonatale précoce.
Cette hausse de la mortalité infantile précoce n’est pas une spécificité française. Elle a déjà été rapportée au Royaume-Uni, par exemple, où elle aurait commencé en 2014.4 On sait que, là-bas, elle est statistiquement associée aux inégalités sociales et économiques, mais cette information est lacunaire en France car les données précises ne sont pas disponibles. On sait, par ailleurs, grâce à la littérature scientifique en général, que la mortalité néonatale précoce est souvent liée à la prématurité et aux anomalies congénitales, elles-mêmes liées à la santé de la maman pendant mais aussi avant la grossesse. Cela nous renvoie au capital social et économique, puisque ce sont des déterminants fondamentaux de la santé. On sait aussi qu’en France le profil des femmes enceintes a changé : elles sont plus âgées, leur IMC est plus élevé et elles fument plus souvent.
Au total, une histoire possible se dessine partiellement, qui raconte que certaines données du capital social détériorent la santé des femmes en France, qui peuvent ensuite s’attendre à un risque plus élevé de perdre leur enfant dans les jours qui suivent la naissance. Il manque encore des pièces importantes du puzzle. Une investigation et une action semblent urgentes. Il est notamment critique de pouvoir connaître l’âge gestationnel, le poids des bébés décédés, ainsi que l’existence de malformations ou anomalies, autant de données qui ne sont pas répertoriées de façon systématique aujourd’hui par l’Insee concernant la mortalité infantile.
Dans tous les cas, il n’y a pas de doute à avoir. L’augmentation de la mortalité infantile en France depuis 10 ans maintenant (les données per-pandémiques ne sont pas bien connues) est une mauvaise nouvelle de plus dans le paysage épidémiologique national.
1. Zeitoun JD. La Grande Extension, histoire de la santé humaine. Paris: Denoël, 2021.
2. Trin NTH, de Visme S, Cohen JF, et al. Recent historic increase of infant mortality in France: A time-series analysis, 2001 to 2019. Lancet Reg Health Eur 2022;16:100339.
3. Zeitoun JD. Pourquoi les hommes meurent-ils plus jeunes que les femmes ? Rev Prat (en ligne) 16 novembre 2021.
4. Hiam L, Dorling D, McKee M. Things Fall Apart: the British Health Crisis 2010-2020. Br Med Bull 2020;15;133(1):4-15.