Plusieurs études ont suggéré que les personnes ayant un TSA ont une espérance de vie considérablement diminuée par rapport à la population générale – jusqu’à 16 années de vie en moins en moyenne, selon les données le plus souvent citées. Néanmoins, ce chiffre est probablement une surestimation : il est extrapolé à partir de la différence moyenne de l’âge de décès observée entre des personnes autistes et des témoins non autistes dans une étude suédoise (2016) où la taille de l’échantillon atteint d’autisme et/ou décédé était très petite. D’autres travaux, ayant des méthodes plus précises, donnent des estimations plus basses (6 à 12 ans d’espérance de vie en moins), mais sont vieux de plusieurs décennies. Il devenait donc nécessaire d’actualiser et de préciser ces données : des chercheurs britanniques s’y sont attelés, dans une large étude de cohorte rétrospective représentative de la population nationale. Leurs résultats viennent de paraître dans le Lancet.
Environ 6 ans d’espérance de vie en moins
Des bases de données électroniques provenant des services de soins primaires du National Health Service sur près de 10 millions de personnes ont été scrutées afin de suivre les personnes avec un diagnostic d’autisme et des témoins appariés sur une période de 30 ans (janvier 1989 à janvier 2019).
Les auteurs ont identifié 17 130 personnes ayant un diagnostic de TSA sans déficience intellectuelle (DI) associée et 6 450 personnes ayant un diagnostic de TSA avec DI associée. Chaque participant a été apparié à 10 témoins de même sexe et âge sans TSA ni DI (le premier groupe était donc apparié à un groupe comparatif de 171 300 personnes et le second à un groupe de 64 500 personnes), ce qui a permis d’estimer et comparer des taux de mortalité ajustés sur l’âge, d’estimer l’espérance de vie à 18 ans et les années de vie perdues.
Durant le suivi, 0,58 % des participants ayant un TSA sont décédées contre 0,45 % du groupe témoin. Ces proportions étaient respectivement de 1,98 % et 0,79 % pour les participants TSA + DI et leurs témoins (mortalité toutes causes). Ainsi, les auteurs ont estimé que :
- les personnes atteintes d’un TSA avaient un taux de mortalité 1,71 fois supérieur à leurs pairs sans TSA ; celui-ci était 2,83 supérieur pour les personnes atteintes de TSA et DI par rapport à leurs pairs sans TSA ni DI ; après ajustement pour certaines comorbidités plus prévalentes dans le groupe TSA et pouvant causer un excès de mortalité (épilepsie, TDAH, handicaps visuels, auditifs ou moteurs…), ces chiffres demeuraient tout de même à 1,34 (hommes) et 1,78 (femmes) dans le premier cas et 1,91 (H) et 3,65 (F) dans le second ;
- l’espérance de vie des participants ayant un TSA était réduite de 6,14 ans pour les hommes et 6,45 ans pour les femmes, par rapport à leurs pairs sans TSA ; cette réduction grimpait à 7,28 ans en moins pour les hommes ayant un TSA avec DI associée et 14,59 ans en moins pour les femmes de cette catégorie.
Ces résultats donnent donc des estimations plus basses que celles trouvées auparavant sur le nombre d’années d’espérance de vie perdue pour les personnes autistes. Les auteurs soulignent toutefois que cette étude a elle-même des limites, notamment un possible biais de catégorisation : le nombre de participants ayant un diagnostic de TSA dans cette cohorte (environ 1 pour 450) sous-estime probablement le nombre réel de personnes atteintes. Beaucoup d’adultes sont en effet sous-diagnostiqués : en Angleterre, selon des estimations récentes, jusqu’à 9 personnes de plus de 50 ans sur 10 ayant un TSA aujourd’hui n’auraient pas reçu de diagnostic. Ce biais conduirait à une surestimation des années d’espérance de vie perdues dans cette population, d’autant plus que les personnes ayant reçu un diagnostic sont peut-être celles ayant des formes plus sévères et/ou davantage de comorbidités les exposant à une mortalité accrue.
Par ailleurs, la différence importante constatée entre la réduction de l’espérance de vie des femmes ayant un TSA avec DI et celles des hommes (- 15 ans vs - 7 ans) reflète en partie le sous-diagnostic disproportionné de ces troubles dans la population féminine.
Des raisons à élucider
Si, en raison de ces limites, les résultats de l’étude ne sont pas forcément généralisables à toute la population ayant des TSA, ils soulignent tout de même l’importance de mieux comprendre les raisons de ce risque accru de mortalité, et d’en préciser l’étendue.
Parmi les hypothèses évoquées par les auteurs, outre les comorbidités : une moindre insertion socioprofessionnelle des personnes ayant un TSA, associée elle-même à une moins bonne qualité de vie et une santé mentale dégradée ; cette marginalisation peut aussi avoir pour conséquence un risque accru de comportements sédentaires entraînant la majoration de facteurs de risque métaboliques tels qu’obésité, diabète, HTA…