Les troubles du spectre de l’autisme sont d’origine multifactorielle. La composante génétique est aujourd’hui confirmée, mais outre les antécédents familiaux, les seuls facteurs de risque identifiés avec certitude sont la naissance prématurée et le sexe masculin. De nombreux facteurs environnementaux (inflammation, virus, toxiques…) sont à l’étude, sans qu’il existe des preuves définitives à ce jour. Une nouvelle étude danoise incrimine l’exposition prénatale au lithium présent dans l’eau potable…

La compréhension des troubles du spectre de l’autisme (TSA) a fait des progrès spectaculaires depuis les premières descriptions dans les années 1940. Aujourd’hui, les anomalies du développement et du fonctionnement de réseaux nerveux impliqués dans les ajustements réciproques et la communication sont mieux comprises. Ainsi, le modèle explicatif initial, principalement psychogénique, a cédé sa place à une compréhension neurobiologique qui met en cause des anomalies, très probablement anténatales, du développement et du fonctionnement de base de ces réseaux nerveux dits du « cerveau social ». Toutefois, les mécanismes moléculaires sous-jacents doivent encore être élucidés. Enfin, s’il existe une forte composante génétique, et le rôle de facteurs de risque tels que la prématurité est reconnu, certains facteurs environnementaux (des expositions in utero) sont aussi investigués.

Pour la première fois, une équipe internationale de chercheurs s’est intéressée à l’association entre l’exposition des mères pendant la grossesse au lithium présent dans l’eau et le risque que leurs enfants aient un TSA. Leurs résultats viennent d’être publiés dans le JAMA Pediatrics.

Si les effets tératogènes – principalement cardiaques – du lithium à doses thérapeutiques sont connus, aucune donnée publiée à ce jour n’a rapporté d’effets sur le plan neurodéveloppemental chez les enfants exposés in utero, selon le CRAT. Toutefois, étant donné que cet élément est capable de traverser le placenta et la barrière hémato-encéphalique du fœtus, des conséquences sur le développement cérébral de ce dernier ne peuvent pas être exclues – d’autant plus que son action modulatrice sur la voie de signalisation Wnt/β-caténine (impliquée dans le neurodéveloppement) a été montrée. Par ailleurs, les effets de l’exposition prénatale au lithium à de plus faibles doses, comme celles retrouvées naturellement dans l’eau, ont été peu étudiés jusqu’à présent.

Un sur-risque pouvant aller jusqu’à 46 % selon les concentrations de lithium

Dans cette étude basée sur des registres médicaux de la population danoise, 8 842 enfants ayant un diagnostic de TSA (nés entre 1997 et 2013) ont été comparés à 43 864 contrôles, appariés par sexe et année de naissance. 

L’exposition au lithium in utero a été mesurée en confrontant les adresses du lieu de vie des mères pendant la grossesse aux données sur la teneur en lithium de l’eau du robinet, connues grâce à l’analyse d’échantillons du réseau public de distribution de l’eau. Le lithium est, en effet, naturellement présent dans l’eau potable à de faibles concentrations, en raison de la dégradation des roches et des minéraux du sous-sol (le traitement des eaux ne l’éliminant pas). Bien que l’étude n’ait pas recueilli d’informations sur l’alimentation des mères, les Danois consomment essentiellement de l’eau du robinet dans les foyers (consommation très faible d’eau en bouteille).

Les concentrations de lithium dans l’eau du robinet allaient de 0,6 à 30,7 µg/L et ont été divisées en quartiles pour l’étude. Pour comparaison, en France, selon des données d’Eaufrance, les concentrations seraient en moyenne de 4,6 µg/L dans les eaux de surface et de 5,4 µg/L dans les eaux souterraines. 

Résultats : après ajustement pour les données sociodémographiques, l’âge maternel, le tabagisme et l’exposition à la pollution atmosphérique des mères durant la grossesse (NOet particules fines PM2,5), les résultats ont montré une augmentation de 23 % du risque de diagnostic de TSA pour l’enfant lorsque la concentration de lithium dans l’eau augmentait de 9,4 µg/L (correspondant à l’écart interquartile). Cette association était légèrement plus forte pour les mères résidant en aire urbaine (28 %).

Plus précisément, une exposition à des concentrations de lithium allant de 7,4 à 16,8 µg/L (deuxième et troisième quartiles) était associée à une augmentation de 24 à 26 % du risque par rapport au premier quartile (< 7,4 µg/L) pris comme référence. Une exposition à des concentrations > 16,8 µg/L (dernier quartile) était, quant à elle, associée à un risque accru de 46 % par rapport à la référence.

D’autres études en cours

Ces résultats suggèrent donc que l’exposition in utero au lithium naturellement présent dans l’eau pourrait être un facteur de risque environnemental de développement d’un TSA.

Néanmoins, d’autres études épidémiologiques sont nécessaires pour mieux évaluer ce risque, en particulier de potentiels effets dose-réponse et de l’exposition en fonction de l’âge gestationnel.

En France, une vaste étude a récemment été lancée afin de comprendre le rôle des facteurs environnementaux sur le développement des TSA et, plus largement, des troubles du neurodéveloppement (TND). Intitulée « Marianne », elle sera constituée d’une cohorte familiale, avec le recrutement de 1 200 femmes enceintes à risque d’avoir un enfant avec TSA-TND (car ayant déjà un enfant atteint de TSA ou TND) et de 500 femmes enceintes issues de la population générale. Ces familles seront suivies pendant 10 ans, avec des prélèvements biologiques, des observations en pédiatrie et un suivi des problèmes de santé et sociaux.

Pour en savoir plus 
Liew Z, Meng Q, Yan Q, et al. Association Between Estimated Geocoded Residential Maternal Exposure to Lithium in Drinking Water and Risk for Autism Spectrum Disorder in Offspring in Denmark. JAMA Pediatr. 3 avril 2023.
À lire aussi
Dossier – Autisme, élaboré selon les conseils scientifiques du Pr Catherine Barthélémy. Rev Prat 2019;69(7):737-58.
Jay A, Oreve MJ, Geoffray MM, et al. Troubles du spectre de l’autisme. Des approches efficaces dès 12 mois ! Rev Prat Med Gen 2019;33(1031):831-6.
Vantalon V, Delorme R. Autisme : repérer les signes précoces.  Rev Prat Med Gen 2020;34(1038);242-4.
Martin Agudelo. Troubles du spectre autistique : un nouveau mécanisme moléculaire découvert. Rev Prat (en ligne), décembre 2022.

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