C’est la souffrance psychique qui légitime l’intervention des professionnels de la psyché auprès des patients ayant des troubles du développement et/ou de la personnalité. Mais d’où vient-elle véritablement ?
Est-elle endogène et directement liée aux affections psychopathologiques et à leurs répercussions sur le fonctionnement des patients, ou émane-t-elle surtout du regard de l’environnement et de la société sur les sujets porteurs des anomalies, maladies mentales ou handicaps ?
La réponse est probablement complexe et mixte, mais la réflexion se trouve aujourd’hui relancée par l’apparition d’un nouveau rapport à la différence exprimé par un certain nombre de parents.
L’autisme dont on parle tant actuellement nous servira d’exemple paradigmatique, mais les enfants sourds et ceux ayant une ambiguïté sexuelle sont également concernés, même si le rapprochement de ces trois entités peut paraître insolite.
Est-elle endogène et directement liée aux affections psychopathologiques et à leurs répercussions sur le fonctionnement des patients, ou émane-t-elle surtout du regard de l’environnement et de la société sur les sujets porteurs des anomalies, maladies mentales ou handicaps ?
La réponse est probablement complexe et mixte, mais la réflexion se trouve aujourd’hui relancée par l’apparition d’un nouveau rapport à la différence exprimé par un certain nombre de parents.
L’autisme dont on parle tant actuellement nous servira d’exemple paradigmatique, mais les enfants sourds et ceux ayant une ambiguïté sexuelle sont également concernés, même si le rapprochement de ces trois entités peut paraître insolite.
Avoir un handicap ou être handicapé
Selon Canguilhem, « un bossu est un homme normal plus une bosse ». Peut-on penser de la même manière qu’un enfant autiste est un enfant normal plus un autisme ?
Évidemment non à notre sens, car la pathologie autistique (il s’agit bien d’une pathologie) entrave précisément le développement de l’enfant, ne lui permettant pas d’accéder facilement à un fonctionnement habituel.
Le terme de « personne avec autisme », actuellement très prisé, cherche en fait subrepticement à la fois à renouer avec cette parabole du bossu (l’autiste serait bien un enfant normal plus un autisme) et à diluer la question du sujet, c’est-à-dire de la personne.
Le terme de « personne » est, en effet, assez ambigu. Étymologiquement, il désigne ce qui sonne, ce qui résonne de l’être à travers le paraître (per-sonare), ce qui transparaît du vrai soi à travers l’apparence. On voit bien de quoi il s’agit, mais est-on jamais sûr d’être réellement au contact avec la vérité de l’autre ?
Quoi qu’il en soit, ce noyau d’authenticité a parfois quelque chose d’intangible, d’inatteignable, et il n’est pas anodin de constater que le même signifiant – personne – puisse désigner tout à la fois la présence (une personne) et l’absence de quelqu’un (il n’y a personne) comme si le sujet, tel l’horizon, s’éloignait à mesure qu’on tente de l’atteindre...
Aujourd’hui, on parle de moins en moins du sujet, beaucoup moins en tout cas que dans les suites du structuralisme. Sauf pour le nourrisson (Le bébé est une personne de Bernard Martino) alors même qu’il est seulement une personne en devenir, et aussi à propos des personnes avec autisme.
Bien entendu, ces patients doivent être considérés comme des sujets avec tous les droits qui en découlent et notamment le droit au respect et à la dignité, mais il n’en demeure pas moins que l’organisation autistique de leur fonctionnement psychique les gêne pour se percevoir eux-mêmes comme des sujets à part entière.
C’est la question de leur réflexivité qui se trouve ici posée, et cela n’a rien à voir avec le soi-disant refus des psychanalystes de les considérer comme des sujets. La différence est de taille et elle ne devrait pas faire polémique. Être un sujet ou se sentir un sujet, qu’on le veuille ou non, sont deux choses différentes, car toute la question est de savoir à partir de quelle place on s’exprime, celle de l’observateur ou celle du patient.
Évidemment non à notre sens, car la pathologie autistique (il s’agit bien d’une pathologie) entrave précisément le développement de l’enfant, ne lui permettant pas d’accéder facilement à un fonctionnement habituel.
Le terme de « personne avec autisme », actuellement très prisé, cherche en fait subrepticement à la fois à renouer avec cette parabole du bossu (l’autiste serait bien un enfant normal plus un autisme) et à diluer la question du sujet, c’est-à-dire de la personne.
Le terme de « personne » est, en effet, assez ambigu. Étymologiquement, il désigne ce qui sonne, ce qui résonne de l’être à travers le paraître (per-sonare), ce qui transparaît du vrai soi à travers l’apparence. On voit bien de quoi il s’agit, mais est-on jamais sûr d’être réellement au contact avec la vérité de l’autre ?
Quoi qu’il en soit, ce noyau d’authenticité a parfois quelque chose d’intangible, d’inatteignable, et il n’est pas anodin de constater que le même signifiant – personne – puisse désigner tout à la fois la présence (une personne) et l’absence de quelqu’un (il n’y a personne) comme si le sujet, tel l’horizon, s’éloignait à mesure qu’on tente de l’atteindre...
Aujourd’hui, on parle de moins en moins du sujet, beaucoup moins en tout cas que dans les suites du structuralisme. Sauf pour le nourrisson (Le bébé est une personne de Bernard Martino) alors même qu’il est seulement une personne en devenir, et aussi à propos des personnes avec autisme.
Bien entendu, ces patients doivent être considérés comme des sujets avec tous les droits qui en découlent et notamment le droit au respect et à la dignité, mais il n’en demeure pas moins que l’organisation autistique de leur fonctionnement psychique les gêne pour se percevoir eux-mêmes comme des sujets à part entière.
C’est la question de leur réflexivité qui se trouve ici posée, et cela n’a rien à voir avec le soi-disant refus des psychanalystes de les considérer comme des sujets. La différence est de taille et elle ne devrait pas faire polémique. Être un sujet ou se sentir un sujet, qu’on le veuille ou non, sont deux choses différentes, car toute la question est de savoir à partir de quelle place on s’exprime, celle de l’observateur ou celle du patient.
L’autisme : handicap ou spécificité ?
Laurent Mottron souligne la notion d’intelligence particulière à propos du fonctionnement autistique, certains témoignages d’anciens autistes tels que Temple Grandin (Ma vie d’autiste, Odile Jacob, Paris, 1986) vont également dans ce sens.
Ce point de vue peut apparaître quelque peu lénifiant quand on pense à la souffrance de la majorité des enfants autistes, dont le développement se voit gravement entravé de manière quantitative et pas seulement qualitative !
Les médias se focalisent souvent sur ceux dits de haut niveau et sur les syndromes d’Asperger avec d’ailleurs une certaine instrumentalisation de ces deux catégories très particulières de patients.
Quoi qu’il en soit, Josef Schovanec, se présentant comme autiste, a développé le concept de « syndrome non autistique » qui montre bien que la banalisation outrancière actuelle du diagnostic d’autisme débouche sur deux perspectives d’intervention différentes pour ne pas dire diamétralement opposées : faut-il tenter de modifier le fonctionnement autistique pour atténuer la souffrance interne des patients et leur permettre de reprendre le cours de leur développement psychique, ou doit-on changer le monde et le regard porté sur eux pour qu’ils s’y sentent mieux en dépit de leurs différences ?
Ce point de vue peut apparaître quelque peu lénifiant quand on pense à la souffrance de la majorité des enfants autistes, dont le développement se voit gravement entravé de manière quantitative et pas seulement qualitative !
Les médias se focalisent souvent sur ceux dits de haut niveau et sur les syndromes d’Asperger avec d’ailleurs une certaine instrumentalisation de ces deux catégories très particulières de patients.
Quoi qu’il en soit, Josef Schovanec, se présentant comme autiste, a développé le concept de « syndrome non autistique » qui montre bien que la banalisation outrancière actuelle du diagnostic d’autisme débouche sur deux perspectives d’intervention différentes pour ne pas dire diamétralement opposées : faut-il tenter de modifier le fonctionnement autistique pour atténuer la souffrance interne des patients et leur permettre de reprendre le cours de leur développement psychique, ou doit-on changer le monde et le regard porté sur eux pour qu’ils s’y sentent mieux en dépit de leurs différences ?
Surdité congénitale et ambiguïtés sexuelles
Ce type de questionnement se développe aussi à propos de la surdité et des troubles du genre : faut-il appareiller les enfants sourds ou respecter leur différence, traiter les ambiguïtés sexuelles ou admettre l’existence d’un troisième genre qui ne soit ni masculin ni féminin ? Des interventions correctrices précoces ont même été qualifiées de « génocide » du troisième genre... On voit bien que c’est la manière d’être-au-monde qui est ici interrogée.
Être sourd ou être ni-garçon-ni-fille serait un mode d’être particulier et vouloir coûte que coûte que les sourds entendent ou que les ambigus sexuels soient transformés ne serait, pour certains parents, que le reflet de notre intolérance à la différence et le fruit de notre tendance permanente à l’auto- référence ou l’autocentration. Selon eux, il n’y aurait pas qu’une seule manière d’être normal. L’hypothèse est séduisante car elle est culpabilisante pour les professionnels accusés de vouloir « normaliser » ces enfants ! En réalité, l’origine de la souffrance psychique peut difficilement être envisagée de manière aussi simpliste.
Être sourd ou être ni-garçon-ni-fille serait un mode d’être particulier et vouloir coûte que coûte que les sourds entendent ou que les ambigus sexuels soient transformés ne serait, pour certains parents, que le reflet de notre intolérance à la différence et le fruit de notre tendance permanente à l’auto- référence ou l’autocentration. Selon eux, il n’y aurait pas qu’une seule manière d’être normal. L’hypothèse est séduisante car elle est culpabilisante pour les professionnels accusés de vouloir « normaliser » ces enfants ! En réalité, l’origine de la souffrance psychique peut difficilement être envisagée de manière aussi simpliste.
Une piste de réflexion
On peut penser que ces nouvelles postures visent au fond à dénier la souffrance des patients considérés en faisant l’hypothèse que, si elle existe, elle ne serait due qu’au regard porté sur eux par la société. Cela peut soulager certains parents qui préfèrent oublier que leur enfant souffre de façon endogène et non pas seulement réactionnelle aux postures de l’environnement.
En matière d’autisme, en tout cas, cette position peut sembler très superficielle et faire fi des profondes angoisses archaïques que vivent les enfants autistes, difficiles à nier dès lors qu’on se trouve engagé avec eux dans une authentique démarche de soin...
Penser que l’autisme n’est qu’une manière d’être-au-monde parmi d’autres, qu’une simple spécificité de la vie psychique, suggérer que la surdité et les ambiguïtés sexuelles ne sont que des formes d’existence dénuées de problème en soi, n’est-ce pas finalement rendre le socius responsable de toute la souffrance de ces patients et chercher en quelque sorte à s’en dédouaner personnellement ?
En matière d’autisme, en tout cas, cette position peut sembler très superficielle et faire fi des profondes angoisses archaïques que vivent les enfants autistes, difficiles à nier dès lors qu’on se trouve engagé avec eux dans une authentique démarche de soin...
Penser que l’autisme n’est qu’une manière d’être-au-monde parmi d’autres, qu’une simple spécificité de la vie psychique, suggérer que la surdité et les ambiguïtés sexuelles ne sont que des formes d’existence dénuées de problème en soi, n’est-ce pas finalement rendre le socius responsable de toute la souffrance de ces patients et chercher en quelque sorte à s’en dédouaner personnellement ?
Pour en savoir plus
– Canguilhem G. Le normal et le pathologique. Paris: PUF; 1975.
– Mottron L. L’autisme : une autre intelligence. Bruxelles: Mardaga; 2004.
– Martino B. Le bébé est une personne. Paris: Balland; 1985.
– Grandin T. Ma vie d’autiste. Paris: Odile Jacob; 1994.
– Schovanec J. Je suis à l’est ! Savant et autiste : un témoignage unique. Paris: Pocket; 2013.
– Mottron L. L’autisme : une autre intelligence. Bruxelles: Mardaga; 2004.
– Martino B. Le bébé est une personne. Paris: Balland; 1985.
– Grandin T. Ma vie d’autiste. Paris: Odile Jacob; 1994.
– Schovanec J. Je suis à l’est ! Savant et autiste : un témoignage unique. Paris: Pocket; 2013.