Des données publiées par la Drees révèlent des évolutions contrastées dans les hospitalisations pour « geste auto-infligé » selon les tranches d’âge, avec une augmentation préoccupante chez les jeunes femmes depuis 2021 sur tout le territoire. Comment expliquer ces tendances ?

La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) vient de publier des données sur les hospitalisations pour « geste auto-infligé » – terme regroupant les tentatives de suicide et automutilations non suicidaires comme les scarifications – entre 2007 et 2022. Les données proviennent du programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie et obstétrique (PMSI-MCO) et du relevé d’information médicale en psychiatrie (RIM-P) pour la France entière.

Elles révèlent des tendances divergentes selon le sexe et la classe d’âge : tandis que le nombre de patients (hommes et femmes) de 30 à 55 ans hospitalisés pour cette raison diminue de façon continue sur la période, celui de jeunes filles et femmes âgées de 10 à 24 ans a très fortement augmenté. De ces deux mouvements opposés résulte une stabilité apparente des taux d’hospitalisation globaux pour ce type de geste.

Adolescentes et jeunes femmes : une hausse inédite depuis 2021

En 2022, 84 527 patients, dont 64 % de femmes, ont été hospitalisés au moins une fois pour un geste auto-infligé. Ce chiffre correspond à un taux de 124 patients pour 100 000 habitants, mais avec une différence très marqué entre les deux sexes : 154 pour 100 000 femmes contre 93 pour 100 000 hommes.

Le taux le plus élevé se retrouve chez les jeunes femmes de 15 à 19 ans (527 pour 100 000), avec un pic à 689 pour 100 000 chez les filles de 15 ans (en MCO). En services de psychiatrie, si les taux sont inférieurs (116 pour 100 000 femmes d’entre 15 et 19 ans), le constat est le même.

De plus, une augmentation vertigineuse est constatée depuis 2021 dans cette population (adolescentes et jeunes femmes) [v. fig. 1]. Par rapport à la moyenne de 2010 à 2019, les taux moyens d’hospitalisation en 2021 et 2022 pour geste auto-infligé ont augmenté de :

  • + 71 % en MCO et + 246 % en psychiatrie chez les filles de 10 à 14 ans ;
  • + 44 % en MCO et +163 % en psychiatrie pour les adolescentes de 15 à 19 ans ;
  • + 21 % en MCO et + 106 % en psychiatrie chez les femmes de 20 à 24 ans.

Ces hausses inédites contrastent avec, d’une part, la stabilité ou la baisse de taux d’hospitalisation pour ce type de geste chez les personnes des autres catégories d’âge et de sexe (v. fig. 1) et, d’autre part, la tendance à la baisse du nombre total de patients hospitalisés en psychiatrie.

Les intoxications médicamenteuses volontaires représentent la majorité des gestes auto-infligés. Elles sont en cause dans près des trois quarts de ces hospitalisations depuis 2014, et ontaugmenté de 40 % en 2021 et 2022 par rapport à la moyenne des années 2015 à 2019. Néanmoins, les hausses citées ci-dessus concernent tous les types de gestes : autres auto-intoxications, par exemple avec du gaz ou des produits chimiques ; lésions avec objets tranchants (incluant les scarifications, non suicidaires), qui ont augmenté de 64 % ; autres lésions violentes (+ 36 %) [v. fig. 2].

La hausse concerne tout le territoire, mais avec des disparités

Si la hausse de ces hospitalisations d’adolescentes et de jeunes femmes est généralisée sur tout le territoire, d’importantes variations régionales sont constatées : de + 16 % à La Réunion à + 80 % en Occitanie en 2021–2022 par rapport à la moyenne 2012–2019. 

Tous les types de communes sont concernées : une hausse de + 34 % est observée chez les patientes issues de communes rurales, + 47 % chez celles issues de villes-centres et + 45 % chez celles vivant dans les communes de banlieue et de villes isolées.

Enfin, les hospitalisations pour geste auto-infligé sont plus fréquentes dans les communes défavorisées si on considère toute la population : selon les classes d’âge, les personnes habitant dans les communes appartenant au 5e quintile de défavorisation (c’est-à-dire les 20 % des habitants résidant dans les communes les plus défavorisées) sont 1,2 à 2,2 fois plus nombreux à avoir été hospitalisés pour geste auto-infligé que les 20 % résidant dans les communes les plus aisées en 2022. De plus, les personnes bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire sont sur-représentées (un quart des patients hos­pitalisés pour cette raison, contre 11 % de l’ensemble des personnes ayant consommé des soins en 2022). 

Toutefois, la hausse des hospitalisations des adolescentes et jeunes femmes a été plus importante dans les communes les plus favorisées : entre 2019 et 2022, la hausse a été de + 63 % dans les communes comptant 20 % de la population la plus aisée contre + 28 % dans les communes les plus défavorisées.

Comment interpréter ces chiffres ?

Les auteurs notent tout d’abord que la progression continue des hospitalisations pour geste auto-infligé chez les adolescentes et les jeunes femmes est probablement liée, en partie, à une améliora­tion du codage statistique des gestes sans intention suicidaire. Ils avertissent que cette amélioration statistique va certainement perdurer et être partiellement responsable d’une augmentation des hospitalisations codées avec un geste auto-infligé. 

Il est probable aussi que les recommandations de bonnes pratiques sur les idées et conduites suicidaires chez les enfants et ado­lescents publiées par la HAS en 2021 aient été suivies d’une augmentation de leur repérage et leur prise en charge. Si ces deux phénomènes pourraient expliquer ces données en partie, comment justifier le décalage de genre observé dans les der­nières évolutions ? Les auteurs invoquent plusieurs hypothèses.

Il est possible que la santé mentale des garçons ne se soit pas autant dégradée que celle des filles et des femmes du même âge. Les enquêtes épidémio­logiques confortent cette hypothèse : elles montrent que la hausse des syndromes dépressifs chez les 15 - 24 ans entre 2014 et 2021 a beaucoup plus concerné les femmes. Une forte hausse des recours déclarés aux professionnels de santé pour motifs psycholo­giques ainsi qu’une progression de la prise de psychotropes ont également été constatées dans cette population au décours de la crise sanitaire.

Les femmes auraient été davantage affectées sur le plan psychologique par les évolutions sociétales des années 2015 à 2021 (usage des réseaux sociaux, par exemple) et la crise sanitaire pourrait avoir accéléré ces tendances préexistantes  ; c’est particulièrement observé dans les services de psychiatrie, où le taux d’hospitalisations pour geste auto-infligé des filles âgées de 10 à 19 ans a doublé entre 2012 et 2020 puis a doublé de nouveau entre 2020 et 2022.

Cependant, les différences cliniques d’expression du mal-être psychique selon les sexes sont reconnues. Chez les hommes, l’expression est plus « externalisée » (addictions, comportements violents ou à risque…) alors que les formes dites « intériorisées » sont plus répandues chez les femmes (dépressions, angoisses…). Il serait donc possible que la santé mentale des adolescents et des jeunes hommes se soit en moyenne tout autant dégradée que celles des adolescentes et jeunes femmes, mais sous une expression différente.

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