L’automédication* est une réalité en France : 1 adulte sur 8 serait concerné, notamment en présence de symptômes pseudogrippaux.1 Qu’en est-il chez les enfants « automédiqués » par leurs parents ? Et comment caractériser cette pratique dans les départements et régions françaises d’outre-mer en particulier ? Nous avons mené une étude observationnelle transversale de juillet 2020 à février 2021 en Guadeloupe, à partir d’un échantillon de 250 parents issus des listes scolaires. Située à 6 700 km de la France métropolitaine, ce petit archipel des Caraïbes d’environ 390 000 habitants, regroupant six îles habitées, est une région et un département français nourri par un important métissage et perpétuant des us et coutumes qui lui sont propres, telle une automédication où se mêlent volontiers médecines moderne et traditionnelle.
Ce travail a permis de préciser les habitudes de familles guadeloupéennes en matière d’automédication infantile (niveau d’implication des parents lorsque l’enfant est malade, fréquence et âge de début de l’automédication, principaux symptômes menant à l’automédication et type de médecine utilisée). Ses résultats permettent aux professionnels de santé qui prodiguent les soins primaires pédiatriques – et ont donc un rôle à jouer dans l’éducation à cette automédication – d’encadrer et sécuriser cette pratique.

Automédication, une tendance actuelle forte

Le niveau d’éducation et les connaissances en santé de la population française augmentent ;2 le malade devient acteur de ses soins et est soucieux de pouvoir se soigner sans avoir besoin de l’intervention d’un tiers.3 Les quelques données publiées sur ce sujet font état de taux d’automédication en pédiatrie supérieurs à 83 %.4
Sur l’île de la Guadeloupe, l’automédication se perpétue en mêlant médecine moderne et médecine traditionnelle. Cela suggère une certaine connaissance pour repérer les symptômes et savoir comment et avec quels médicaments – au sens large – les traiter.

Importance du niveau d’études dans l’automédication ?

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), 67,8 % des Français (hors Mayotte) de 25-45 ans ­–chiffre en augmentation au fil des générations – avaient un niveau scolaire supérieur ou égal au baccalauréat en 2019.2
Dans l’échantillon de parents étudiés, 67 % indiquaient avoir un niveau scolaire supérieur ou égal au baccalauréat, ce qui est proche de la statistique nationale.

Famille matrifocale élargie, la structure de référence

D’une façon générale et dans notre étude, le parent le plus impliqué dans la prise en charge de l’enfant lorsqu’il est malade, tout comme dans le suivi médical, est la mère (avec ou sans le père) [tableau 1].4 En France, en 2018, 4 millions d’enfants vivaient dans une famille monoparentale. Toutefois, la « famille nucléaire », composée de deux adultes et de leurs enfants, demeure majoritaire, et la plupart des enfants mineurs se retrouvent dans ce modèle.
En Guadeloupe, la structure prépondérante est la famille monoparentale. Le modèle de familles matrifocales élargies est prééminent aux Antilles françaises, contrairement à la France métro­politaine. Dans ce schéma, les femmes jouent un rôle dominant sur plusieurs générations. Les pères gravitent, quant à eux, à la périphérie de la famille : leur présence au domicile est intermittente, mais reste prévisible, régulière et rassurante pour l’enfant, auquel ils accordent leur attention lors de ces moments. En plus de la mère, la figure d’autorité peut s’exercer par le père mais également par tout adulte de l’entourage (grand-père, grand-mère, oncle, tante, voisin, voisine, etc.). De ce fait, et malgré les apparences, la famille matri­focale caribéenne n’est pas monoparentale stricto sensu, bien qu’elle apparaisse comme telle dans de nombreuses analyses, notamment dans les recensements de population.5

Quelle automédication en fonction des symptômes ?

L’automédication, qui n’est pas un acte anodin, est très pratiquée en Guadeloupe, notamment chez l’enfant, avec un âge de début se situant majoritairement entre 2 et 6 ans (tableau 2). Ce constat pourrait s’expliquer par la récurrence des symptômes tels que la fièvre, la toux et la diarrhée dans cette tranche d’âge.

À l’aise avec la fièvre

Seule une très faible proportion des parents ont déclaré consulter quand leur enfant a de la fièvre (tableau 3) : ils sont donc sereins face à ce symptôme, très fréquent dans l’enfance. 78 % des parents automédiquent leur enfant par des thérapeutiques modernes en première intention (paracétamol et ibuprofène), 4,4 % par la médecine traditionnelle (tisane à base de colquhounia ou de plectranthus, connues toutes deux sous le nom de « plantes doliprane ») et 15 % associent les deux.
 

En première intention : le paracétamol

Selon les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2016, le paracétamol doit être utilisé en première intention et en monothérapie face à une fièvre. Une contre-­indication au paracétamol oriente vers les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). En revanche, le bain frais est à proscrire, car l’effet modeste et transitoire peut majorer l’inconfort de l’enfant.7
 

Quelle « plante doliprane » ?

Il est difficile de savoir à quelle plante les parents font allusion lorsqu’ils évoquent la « plante doliprane » pour soigner la fièvre de leur enfant : est-ce Colquhounia coccinea ou Plectranthus amboinicus ? Ces deux plantes, à l’aspect très proche, ont plusieurs noms vernaculaires, dont celui de « doliprane » ; seuls les noms scientifiques, peu connus de la population, permettent de les différencier.

Lavage de nez contre la rhinite

Face à un écoulement nasal, la Société française de pédiatrie insiste sur les règles hygiénodiététiques telles que la désobstruction rhinopharyngée pluriquotidienne au sérum physio­logique chez les tout-petits et le mouchage chez les plus grands, l’éviction de l’exposition au tabac et l’hydratation régulière.8
Peu de parents ont déclaré consulter lorsque leur enfant a un écoulement nasal et/ou une toux (6,2 % [tableau 3]). À l’aise face à ce symptôme récurrent dans l’enfance, ils favorisent l’automédication, avec en premier lieu la médecine moderne, notamment pour la désobstruction rhinopharyngée, au sérum physiologique ou avec des solutions nasales, à 41 %.
La médecine traditionnelle est plébiscitée par 19 % des parents (tisane à base de feuille de citronnelle, sirop d’oignon, bain de mer, association citron-miel), parfois complétée par la désobstruction rhinopharyngée.9
La citronnelle est utilisée contre la fièvre, mais surtout contre la rhinite. Il s’agit d’une herbacée pérenne, dressée, de 1 à 2 m, formant des touffes denses (figure). Son nom scientifique est Cymbopogon citratus et son nom vernaculaire est fever grass (« herbe de fièvre ») à Antigua, la Barbade, Saint-Vincent et Trinité-­et-Tobago.
Le citron et l’oignon sont également utilisés contre la rhinite, et plus largement contre les symptômes grippaux.
L’eau de mer est, quant à elle, réputée pour ses multiples bienfaits depuis très longtemps – les Égyptiens étant les premiers à reconnaître ses vertus. En effet, les lavages rhinopharyngés lors de la baignade, à faible pression, semblent être le protocole le plus efficace dans le traitement des rhumes, rhinites et rhino­pharyngites.10

Hausse des consultations en cas de diarrhée

Les parents semblent beaucoup plus inquiets face à la diarrhée, puisque 49 % d’entre eux préfèrent consulter directement un médecin lorsque leur enfant en souffre (tableau 3). La quasi-totalité des parents interrogés connaissaient toutefois l’importance d’augmenter les apports hydriques avant toute consultation.
 

Réhydrater d’abord !

La principale complication de la diarrhée aiguë est la déshydratation. Selon les recommandations de la Société française de pédiatrie, la prévention de la déshydratation repose sur l’administration de solutions de réhydratation orale (SRO).
En cas de pénurie, la Société française de pédiatrie propose de prioriser les sachets de SRO disponibles en officines de ville pour les nourrissons de moins de 1 an.11 Après 1 an, l’alternative la plus simple et ayant fait l’objet de publications est l’utilisation de jus de pomme dilué de moitié ou encore la boisson préférée de l’enfant.
Les médicaments antidiarrhéiques sont à considérer comme des adjuvants aux conseils de surveillance et aux SRO. Ils peuvent réduire la durée de la diarrhée, le débit de selles ou leur nombre. La réalimentation précoce (4 heures après le début du traitement par réhydratation per os ou intraveineux) est l’un des piliers du traitement de la réhydratation.
 

Garder le régime habituel

Néanmoins, les « mythes » alimentaires persistent (eau de riz, carottes ou éviction temporaire des produits laitiers) : ils doivent être proscrits en faveur du régime habituel, bien qu’il soit déconseillé de consommer des aliments trop gras et trop riches en fibres. Les sodas, hyper­osmolaires, pauvres en sodium et dépourvus de potassium, sont à exclure chez le nourrisson et l’enfant. L’allaitement maternel doit être poursuivi. Le but de cette réalimentation est, en premier lieu, d’éviter la dénutrition.12
 

Automédication malgré tout…

Parmi les parents interrogés, ceux qui persistent dans l’automédication le font en majorité par la médecine moderne avec la diosmectite, le racécadotril et les solutions de réhydratation orale, puis, dans une moindre mesure, par la médecine traditionnelle (riz, eau de riz, tisane à base de feuille de goyavier, carottes et Coca-Cola à température ambiante), ou en associant les deux.
Le goyavier – de son nom scientifique Psidium guajava – est également utilisé pour limiter la diarrhée. Il s’agit d’un arbre pouvant atteindre 10 m de haut, à l’écorce squameuse et dont le fruit, la goyave, est comestible, arrondi ou piriforme, jaune, de 3 à 6 cm de diamètre.

Qu’en conclure ?

L’automédication est une réalité : 84 % des parents de l’étude ont déjà auto­médiqué au moins une fois leur enfant. Les professionnels de santé, prodiguant les soins primaires aux enfants, ont donc un rôle à jouer dans l’éducation à cette auto­médication. Le réseau Tramil – programme de recherche appliquée à l’usage populaire des plantes médicinales dans la Caraïbe – est également un outil permettant d’encadrer et de sécuriser l’automédication traditionnelle (encadré).
La Guadeloupe conserve des coutumes et traditions très ancrées, notamment dans le domaine de la santé, avec ses remèdes à base de plantes (dits rimèd razié en langue créole, ou « remèdes de halliers »). La médecine traditionnelle, principalement fondée sur cette phytothérapie dite « créole », est surtout transmise par les aînés, au risque de disparaître au fil des générations.

* Définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme la capacité d’un individu à reconnaître ses symptômes, diagnostiquer sa maladie, choisir et utiliser des médicaments pour se soigner. Ici, le terme « médicament » est à prendre au sens large, puisque sont également concernés les herbes et remèdes traditionnels.

Encadre

Réseau Tramil pour encadrer et sécuriser l’automédication traditionnelle

La pharmacopée végétale de la Guadeloupe est riche. Le réseau Tramil (programme de recherche appliquée à l’usage populaire des plantes médicinales dans la Caraïbe), créé dans les années 1980, valorise la pharmacopée traditionnelle en recensant les usages des plantes les plus fréquents à des fins médicinales (utilisation supérieure ou égale à 20 % dans la population) par des enquêtes ethno-pharmacologiques.6 Il vise à « améliorer et à rationaliser les pratiques médicinales traditionnelles populaires » s’appuyant essentiellement sur les plantes. Ce réseau est un outil de formation pour les professionnels de santé (pharmaciens, médecins…) auquel participent les chercheurs (biologistes, chimistes et statisticiens) mais aussi, et surtout, les communautés.

Bien documenté, le Tramil détaille les plantes à utiliser et leur posologie en fonction du symptôme rencontré, tout en précisant les mises en garde pour les populations fragiles (enfants en bas âge, femmes enceintes ou allaitantes).

Références

1. Ipsos. Les Français et l’auto­médication en premier recours : quelle place pour le professionnel de santé ? (en ligne) Février 2017. https://bit.ly/3rirBjk
2. Insee Références. Fiches – Qualité de vie. Niveau d’éducation de la population. In: France, portrait social, 2016.
3. « Les Français et l’automédication », une enquête exclusive réalisée pour la Mutualité française à l’occasion du colloque « L’auto­médication : recul ou progrès ? ». La Mutualité française, 21 mars 2007. https://bit.ly/38HwEDI
4. Escourrou B, Bouville B, Bismuth M, et al. Automédication des enfants par leurs parents : un vrai risque? Suppl Rev Prat 2010;60:27-34.
5. Brunod R, Cook-Darzens S. Men’s Role and Fatherhood in French Caribbean Families: A Multi-Systemic “Resource” Approach. Clin Child Psychol Psychiatry 2002;7(4):559‑69.
6. Tramil – Programme de recherche appliquée à l’usage populaire des plantes médicinales dans la Caraïbe. http://www.tramil.net/fr
7. HAS. Prise en charge de la fièvre chez l’enfant. Recommandation de bonne pratique. Octobre 2016.
8. Fleurence E. Toux fébrile. Société française de pédiatrie (en ligne). Mai 2017. https://bit.ly/37anK11
9. Balas F. Les propriétés théra­peutiques du miel et leurs domaines d’application en médecine générale : revue de la littérature. Thèse de médecine. Université de Nice Sophia-Antipolis 2015;85 p.
10. Bastier PL, Lechot A, Bordenave L, et al. Les lavages de nez : de l’empirisme à la médecine par les preuves. Revue de la littérature. Annales françaises d’ORL et pathologie cervico-­faciale 2015;132(5):259-64.
11. Avis de la Société française de pédiatrie du 21 février 2022. Soluté de réhydratation par voie orale (SRO) : tensions d’approvisionnement en France au 1er trimestre 2022. https://www.sfpediatrie.com/sites/www.sfpediatrie.com/files/medias/documents/avis_sfp_22_fev_2022_.pdf
12. Catala I. Diarrhées de l’enfant : en finir avec le Coca-Cola, l’eau de riz et les carottes. Medscape (en ligne), 26 juin 2018.

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essentiel

L’automédication est souvent privilégiée en cas de fièvre et d’écoulement nasal chez l’enfant dans les familles guadeloupéennes.

Elle repose volontiers sur la médecine moderne seule ou en association avec la médecine traditionnelle.

La diarrhée de l’enfant motive davantage une consultation chez le professionnel de santé ; elle est précédée, dans la majorité des cas, d’une augmentation des apports hydriques.

Le réseau Tramil permet de recenser les usages de plantes à des fins médicinales par des enquêtes ethno-pharmacologiques s’adressant à la population caribéenne.