Santé au travail. Le médecin du travail n’est pas isolé et œuvre au sein d’une équipe. Il se doit de communiquer avec d’autres professionnels de santé mais aussi avec les employeurs et les instances représentatives du personnel.
C’est au salarié de dé- cider ce qu’il confie au médecin du travail. Une relation de confiance peut s’instaurer au fil des ans permettant au médecin du travail de mieux connaître le salarié.1 Il existe deux attitudes complexes : soit le salarié cache des antécédents de peur que cela entraîne une restriction voire une inaptitude, soit le salarié revendique ses difficultés et fournit des documents pour obtenir un aménagement de poste, une inaptitude à une activité, par exemple le travail de nuit ou le port de charges lourdes.
Un salarié n’est pas obligé de révéler sa qualité de travailleur handicapé à son employeur. La Cour de cassation a considéré qu’un salarié n’a commis aucune faute en ne révélant pas sa qualité de travailleur handicapé avant la notification de son licenciement.2
Communication avec les médecins soignants
Prévu par le législateur,3 le secret partagé4 permet la communication entre professionnels intervenants auprès d’une même personne, qu’ils soient professionnels de santé ou pas : « Un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu’ils participent tous à sa prise en charge et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social. » Cependant le médecin du travail n’est pas considéré comme prenant en charge le patient au sens du soin.
Lorsque ces professionnels appartiennent « à la même équipe de soins »,5 les informations sont réputées confiées à l’ensemble de l’équipe. Le médecin du travail et les médecins soignants ne font pas partie de la même équipe de soins, au sens de l’article L.1110-12 du code de la santé publique. Selon cet article, l’équipe de soins « est un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coor- dination de plusieurs de ces actes », puis suivent des conditions d’exercice collectif ou de reconnaissance de la qualité de membre de l’équipe de soins par le patient.
Le partage d’informations nécessaires à la prise en charge d’une personne entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée. Le décret n° 2016-1349 du 10 octobre 2016 est venu compléter le dispositif et prévoit que, lorsqu’une personne est prise en charge par un professionnel, ce dernier recueille le consentement de la personne par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, pour partager ces données après l’avoir dûment informée.6 L’information préalable de la personne est attestée par la remise à celle-ci, par le professionnel qui a recueilli son consentement, d’un support écrit, qui peut être un écrit sous forme électronique, reprenant cette information.7 Ce consentement est valable tant qu’il n’a pas été retiré par tout moyen, y compris sous forme dématérialisée. Il est strictement limité à la durée de la prise en charge de la personne.8
En pratique, les modalités diffèrent selon que c’est le médecin du travail ou le médecin soignant qui veut communiquer. Le médecin du travail peut plus facilement communiquer des informations au médecin traitant, par exemple s’il dépiste ou suspecte une pathologie. Ce partage d’infor- mation doit être justifié par l’état de santé du patient et la nécessité d’assurer un suivi coordonné de sa prise en charge. En effet, le médecin du travail ne peut pas exercer de soins hors de l’urgence car le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif.9 Pour autant, le médecin du travail ne peut communiquer aux médecins soignants que les infor- mations se rattachant au problème ponctuel auquel il est confronté. De plus, le médecin du travail reste soumis au secret de fabrication.10
En revanche, le médecin traitant ne peut pas communiquer des infor- mations médicales directement au médecin du travail car il prend le risque de poursuites ordinales, qui pourraient aboutir, pour violation du secret médical si le salarié s’avérait finalement mécontent de cette transmission. La prudence incite donc le médecin soignant à remettre les informations médicales directement au patient qui les fournira, ou pas, au médecin du travail. Cela était préconisé par le Conseil national de l’Ordre des médecins pour s’assurer de l’accord du salarié dans un rapport du 30 mars 1998. Cette nécessité s’explique car les informations médicales portées à la connaissance du médecin du travail pourront parfois l’amener à constater une inaptitude. Dans ce cas, si le patient décide de porter plainte, le médecin traitant est passible de sanctions devant la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre. Toute liaison entre le médecin du travail et le médecin traitant nécessite l’information et le consentement du salarié.
Communication avec les autres membres du service de santé au travail
En accord avec le principe du secret partagé, le médecin du travail peut communiquer et échanger des informations avec les autres professionnels de santé qui composent l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail (collaborateur médecin11, interne en médecine du travail12, infirmier…).
Le personnel non professionnel de santé, comme les secrétaires et assistants de service de santé au travail,13 peut aussi avoir communication de certaines informations couvertes par le secret professionnel. En effet, les secrétaires médicales qui doivent taper les courriers et ranger les dossiers ont accès à des données médicales. Mais ces personnes sont aussi soumises au secret médical5 et le médecin du travail doit y veiller.14 C’est le médecin du travail qui apprécie le partage d’informations qu’il peut avoir avec ses collaborateurs directs, informés par lui-même de leurs obligations en matière de secret. Il ne doit pas donner d’informations médicales aux secrétaires administratives de l’entreprise, qui ne font que gérer les convocations aux visites médicales, par exemple.
Dans le cadre du service de santé au travail, le médecin du travail ne doit pas fournir d’informations sur des données personnelles de santé individuelles à la direction et au personnel administratif du service de santé au travail.
Communication avec les intervenants en prévention des risques professionnels des services de santé au travail interentreprises
Les services de santé au travail peu- vent faire appel à des compétences spécifiques pour une approche globale et pluridisciplinaire (ergonomie, toxicologie, hygiène industrielle, organisation du travail) dans la conduite d’actions de prévention. L’intervenant en prévention des risques professionnels participe, dans un objectif exclusif de prévention, à la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs et à l’amélioration des conditions de travail. Dans ce cadre, il assure des missions de diagnostic, de conseil, d’accompagnement et d’appui, et communique les résultats des études au médecin du travail.
Le médecin du travail n’a pas d’obligation de communiquer des infor- mations couvertes par le secret médical aux intervenants en prévention des risques professionnels.15
Dans tous les cas, le médecin du travail peut transmettre de façon globale à ces intervenants des informations relatives aux risques existants pour la santé et la sécurité des salariés.
Même lorsque ces intervenants sont des professionnels de santé, il appartient au médecin du travail de décider quelles informations, nécessaires à l’effectivité de leur mission, peuvent leur être transmises. Il vaut mieux communiquer en termes de restriction de capacités fonctionnelles plutôt qu’en termes de pathologie.16
Sur le site AtouSanté,17 il est noté que lorsque les intervenants en prévention des risques professionnels « ne sont pas des professionnels de santé, le médecin du travail ne pourra pas leur communiquer d’informations sur des données personnelles de santé d’un salarié sans violer le secret médical ».
Nous pensons que le médecin du travail et l’intervenant en prévention des risques professionnels, qu’il soit professionnel de santé ou non, peu- vent partager certaines informations si cela concerne directement un salarié, dans le cadre de l’amélioration de ses conditions de travail, et sans que ce dernier ne s’y soit opposé.
Dans les services de santé au travail interentreprises, l’équipe pluridisciplinaire a accès à tous les documents non nominatifs rendus obligatoires par la partie du code du travail consacrée à la santé et la sécurité au travail.18 Chacun doit respecter le caractère confidentiel des données ainsi que la protection des secrets de fabrication.
Communication avec l’employeur
Vis-à-vis de l’employeur, le médecin du travail est tenu de respecter rigoureusement le secret médical. Il ne peut lui communiquer aucune information médicale, qu’importent les sollicitations éventuelles de l’employeur.
De même, l’employeur n’a pas accès aux dossiers médicaux de santé au travail. La Cour de cassation le réaffirme en 2002,19« le dossier médical d’un salarié, couvert par le secret médical qui s’impose au médecin qui le tient, ne peut en aucun cas être communiqué à son employeur ».
Par ailleurs, lorsque le médecin du travail décide d’alerter ou d’informer l’employeur de la situation de santé des salariés ainsi que de leur sécurité et leurs conditions de travail, il ne doit pas se baser sur des données nominatives médicales. Il doit veiller à ne communiquer que des informations suffisamment anonymisées pour qu’on ne puisse pas, par déduction, reconnaître l’identité du salarié. Par exemple, dans un atelier où travaillent une dizaine de personnes, indiquer le sexe et l’âge permet d’identifier chaque salarié.
Dans les grandes entreprises, il est possible d’alerter collectivement sur l’augmentation de telle pathologie dans un secteur (par exemple des surdités professionnelles ou des troubles musculo-squelettiques) mais plus l’effectif est limité, plus c’est difficile de respecter le secret sur la santé de chaque salarié.
En pratique, la jurisprudence énonce que le médecin du travail ne peut se borner qu’à des « éléments de fait » pour informer l’employeur et lui permettre de prendre une décision.20
Il existe très peu de condamnations pénales de médecins du travail pour violation du secret (v. encadré).
Lorsque le médecin du travail communique un avis d’(in)aptitude à l’employeur, il ne doit jamais argumenter sa décision en s’appuyant sur des informations médicales. Il existe pour autant une nuance dans les cas d’aptitude avec réserves ou de restriction d’aptitude. Ici le médecin du travail doit être suffisamment explicite pour permettre à l’employeur d’adapter le poste de travail de son salarié. En effet, un employeur peu informé sur l’aptitude d’un salarié à son poste de travail pourrait imposer à ce dernier des travaux incompatibles avec son état de santé. Mais, là encore, le médecin du travail est limité en ce qu’il ne peut pas fournir d’informations médicales. La fiche d’(in)aptitude ne peut donc contenir aucun élément sur la nature des affections dont le patient est atteint. Le médecin doit se borner à mentionner les aménagements de poste nécessaires, les contre-indications et les recommandations au regard des capacités du salarié. Le médecin du travail peut noter de limiter les mouvements des épaules au-dessus de l’horizontale ou le port de charges lourdes sans indiquer de pathologie, même si l’employeur comprendra que le salarié souffre des épaules ou de lombalgie. C’est un exercice d’équilibriste. Le médecin du travail doit justifier les aménagements de poste préconisés ou indiquer des restrictions sur les avis d’aptitude par des éléments de faits objectifs sans donner d’informations sur l’état de santé. Dans les petites entreprises, les salariés, au quotidien auprès de leur employeur, confient facilement des informations concernant leur santé. La relation triangulaire salarié, employeur, médecin du travail devient difficile lorsque l’information circule mais que le médecin du travail ne peut rien confirmer ou infirmer auprès de l’employeur.
Au titre du secret médical, le médecin du travail ne peut fournir à un employeur, dans le cadre d’un contentieux avec un salarié, des infor- mations médicales concernant ledit salarié. La Cour de cassation condamne ainsi un employeur qui avait fait établir une attestation par le médecin du travail contenant des informations tirées du dossier médical de santé au travail d’un salarié.21 Un employeur, dans le cadre d’un procès prud’homal, a produit une attestation établie par le médecin du travail contenant des informations médicales.
L’employeur peut, dans ce cas, être poursuivi au titre de l’infraction de « recel de violation du secret professionnel »22 et le médecin peut voir engager sa responsabilité pour violation du secret médical. En outre, l’employeur qui tenterait d’accéder aux informations contenues dans le dossier médical en santé au travail de son salarié peut voir sa responsabilité engagée.5
En pratique, le respect du secret médical du médecin du travail peut se révéler complexe à articuler avec son rôle de conseiller de l’employeur.23 Le médecin du travail, s’il entend respecter le secret, se tournera plus facilement vers des préconisations collectives sans cibler sur les diffi- cultés d’un salarié en particulier.
Documents d’informations et d’alerte du médecin du travail
Si le médecin du travail reste tenu par le secret médical, il peut tout de même émettre des documents et écrits visant à informer et alerter les différents acteurs d’une entreprise (employeur, instances représentatives du personnel) sur la sécurité et les conditions de travail des salariés. Pour exercer ce devoir d’information et ce droit d’alerte, sans pour autant violer le secret médical ou mentionner des informations nominatives, le médecin du travail dispose de plusieurs outils.
Le comité social et économique (CSE) résulte de la décision du gouver- nement de fusionner les instances représentatives du personnel, à savoir le comité d’entreprise (CE), les délégués du personnel (DP) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).24-26 Les ordonnances réformant le code du travail ont été publiées au Journal officiel le 23 septembre 2017 et la mise en œuvre devra suivre rapidement.
La fiche d’entreprise
Le médecin du travail, ou l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail interentreprises, doit établir et mettre à jour une fiche d’entreprise ou d’établissement où il est fait mention des risques professionnels et des effectifs de salariés qui y sont exposés.27 La fiche d’entreprise permet ainsi d’alerter l’employeur28 sur une situation et de déterminer des actions de prévention nécessaires. Elle est mise à jour dès qu’un changement ou un fait nouveau survient dans les conditions de travail de l’entreprise.
Le médecin du travail doit la rendre la plus complète et objective possible.17 Afin de mettre en exergue certains risques spécifiques à l’entreprise, il peut appuyer son argumentaire en y faisant figurer le nombre de visites médicales, le nombre d’aptitudes avec restriction. La fiche d’entreprise doit être construite sur des constats, mais le médecin du travail ne doit pas faire référence à des données personnelles individuelles. Il doit aussi veiller à ne pas employer de termes relevant de l’infraction pénale lorsqu’il expose une situation, cette possibilité de qualification appartenant au juge. Le médecin du travail n’a pas le pouvoir d’établir un procès-verbal d’infraction. En plus d’être transmise à l’employeur, la fiche d’entreprise est présentée au comité social et économique lors de la présentation du bilan annuel.28 Par ailleurs, peuvent y avoir accès le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) ainsi que le médecin inspecteur du travail.29 En outre, la fiche d’entreprise est mise à la disposition de l’inspecteur du travail à sa demande.30
Le courrier à l’employeur
Le médecin du travail peut rédiger un courrier adressé à l’employeur en cas d’urgence ou de risque particulier.10 Ce courrier permettra ainsi au médecin d’attirer l’attention de l’employeur sur une situation qui peut être dangereuse et pour laquelle les risques ne sont pas suffisamment maîtrisés. Si l’employeur refuse de donner suite au courrier du médecin, il doit le motiver par écrit.
Les propositions et les préconisations du médecin du travail et la réponse de l’employeur, c’est-à-dire leurs échanges en matière de prévention et de sécurité dans les conditions de travail, sont transmises au comité social et économique, ainsi qu’à l’inspecteur du travail et au médecin inspecteur régional du travail.
Le rapport annuel d’activité du médecin du travail
Chaque année, le médecin du travail établit un rapport annuel d’activité.31 Pour réaliser ce rapport, le médecin s’appuie sur l’état et les besoins de santé des salariés et les risques présents dans l’entreprise.
Le médecin du travail remet le rapport d’activité aux instances représentatives du personnel au plus tard quatre mois après l’année pour laquelle le rapport a été établi.32 Ce plan est ensuite transmis, par l’employeur ou le président du service de santé au travail, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi et au médecin inspecteur du travail.33
Communication avec le médecin inspecteur régional du travail
Le médecin du travail et le médecin inspecteur du travail (MIT) ont pour même mission de protéger la santé des salariés. Il est donc nécessaire qu’ils puissent échanger des informations pour accomplir leurs activités.
En cas de difficultés, le médecin du travail a la faculté de consulter ou d’alerter le médecin inspecteur et ce sans déroger à ses obligations, notamment à l’égard du secret médical.
Au-delà de sa possibilité d’accéder aux dossiers médicaux en santé au travail des salariés, le médecin inspecteur dispose des mêmes pouvoirs de contrôle et d’inspection que les inspecteurs du travail.34 Il a donc la possibilité de se rendre sur les lieux de l’entreprise afin de garantir les meilleures conditions de travail pour les salariés. Le médecin inspecteur régional du travail a toujours la possibilité de solliciter l’inspecteur du travail sur les questions de prévention des risques et conditions de travail dans l’entreprise.
Communication avec l’inspection du travail
En application du secret médical, le médecin du travail ne peut communiquer aucune information concernant un salarié (même si ce dernier y a consenti) à un inspecteur du travail.
Le secret couvre également les informations venues à la connaissance du médecin lors de l’action en milieu de travail.35 Toutefois, l’inspecteur du travail a accès à certains documents établis par le médecin du travail, notamment sur les conditions de travail et les risques dans l’entreprise. Cette communication se fait essentiellement au travers de la fiche d’entreprise et du rapport annuel d’activité.
Les inspecteurs du travail ont notamment la possibilité de se faire communiquer tout document ou tout élément d’information utile à la constatation de faits susceptibles de vérifier le respect de l’application des dispositions relatives à la santé et la sécurité au travail.30
Par ses écrits, le médecin du travail peut alerter l’inspection du travail qui ensuite pourra faire son enquête au sein de l’entreprise.
En ce qui concerne les certificats des salariés déclarant être en souffrance au travail, voir l’encadré p. 262.
Un exemple de condamnation
Un médecin du travail a examiné une salariée victime d’une irritation oculaire et bronchique à la suite d’une exposition accidentelle à un solvant. À la demande de l’épouse de l’employeur, le médecin du travail lui a fourni un certificat précisant l’absence d’antécédents lors des visites annuelles. À la suite d’une plainte de la salariée, le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence a condamné, le 29 octobre 2001, le médecin du travail pour violation du secret à une amende de 725 € et à verser des dommages et intérêts symboliques de 1 €. L’employeur et son épouse, également poursuivis, ont été relaxés.
Souffrance au travail et secret médical
Selon l’article 222-33-2 du code pénal, « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende ». L’infraction de harcèlement moral au travail est difficile à prouver et finalement peu retenue par les juridictions pénales. En revanche, le harcèlement est souvent évoqué devant les juridictions prud’homales. Les écrits du médecin du travail sont alors instrumentalisés par les parties. En effet, il est important de préciser que les différents écrits du médecin du travail (certificats, avis d’[in]aptitude, etc.) seront souvent utilisés par l’employeur ou le salarié devant les juridictions en cas de litige.
Ce que le médecin du travail peut écrire ou non
Le médecin du travail ne doit pas retranscrire des situations en les qualifiant juridiquement, cette possibilité ne revenant qu’aux juridictions compétentes. Ce n’est pas au médecin de dire le droit. La situation est délicate pour le médecin délivrant des certificats faisant le lien entre une souffrance psychologique et les conditions de travail. On lui reproche souvent de ne pas avoir constaté les faits de souffrance au travail lui-même. Pourtant le médecin du travail, qui reçoit l’ensemble des salariés d’une entreprise, est le mieux placé pour recouper les informations, d’autant plus qu’il a accès au milieu de travail, contrairement aux psychiatres et médecins généralistes qui suivent les patients en souffrance au travail. Autant pour le généraliste, le psychiatre, ou même le médecin de consultation de souffrance au travail dans le cadre d’un service de pathologie professionnelle hospitalier, qui n’entend que la voix du salarié/patient et jamais celle de l’employeur, nous pensons qu’il faut être prudent et ne jamais affirmer un lien entre une souffrance et le comportement de l’employeur, autant pour le médecin du travail de l’entreprise, c’est différent. Il est le seul à entendre à la fois l’employeur et le salarié, et même les collègues de travail, et a accès aux conflits éventuels antérieurs. Il est le seul, à notre avis, à pouvoir évoquer, mais sans l’affirmer, un lien de causalité entre une souffrance individuelle et les conditions de travail, tout en restant objectif. S’il doit éviter de parler de « dépression professionnelle » ou encore de « harcèlement moral au travail », le médecin du travail peut attester d’un « syndrome anxiodépressif », ou établir que l’état de santé du salarié « n’est pas compatible avec une reprise du travail tel qu’exercé habituellement ». Si cela est avéré, il peut être évoqué une forte probabilité de lien entre le syndrome anxiodépressif et les conditions de travail.
Les risques de la qualification « harcèlement au travail »
Lorsque le médecin du travail note dans ses écrits « harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique », cela peut être assimilé à une tentative de substitution à la justice. Le médecin pourra alors être considéré comme ayant tenu des propos diffamatoires. En outre, il lui est interdit de rédiger des certificats de complaisance.36 En principe, le médecin du travail ne peut se fonder que sur des constatations médicales objectives qu’il a été en mesure de faire pour établir ses certificats. Il peut attester des consultations effectuées, de l’état psychique du patient, d’informations issues de l’étude de poste.
L’employeur mécontent d’avoir « subi » une procédure prud’homale, voire pénale, peut être tenté de mettre en cause le médecin du travail devant la juridiction ordinale, ce qui semble se produire de plus en plus fréquemment. Les employeurs décident de poursuivre les médecins après que les salariés utilisent leurs certificats attestant de situations de harcèlement comme élément de preuve et les produisent devant le conseil des prud’hommes pour arguer de leur souffrance au travail.
En qualifiant des situations de « harcèlement au travail », le médecin engage sa responsabilité devant l’employeur qui conserve la possibilité de déposer plainte à son encontre devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins territorialement compétent.37 Parfois la procédure s’interrompt dès la phase de conciliation, si le médecin du travail accepte de retirer de son courrier les termes litigieux. À défaut de conciliation, le médecin du travail devra s’expliquer devant ses pairs et le magistrat qui préside la chambre disciplinaire de première instance au conseil régional de l’Ordre, ce qui est éprouvant et déstabilisant. Les instances disciplinaires doivent veiller au respect de la déontologie par les médecins du travail mais doivent aussi intégrer le rôle propre du médecin du travail imposé par le code du travail dont ils ne sont pas familiers.38 Très peu de médecins du travail sont conseillers ordinaux et il est parfois difficile pour le médecin mis en cause de pouvoir bien faire comprendre toutes les subtilités du rôle du médecin du travail. Le code du travail n’est pas connu des juridictions ordinales, qui se fondent sur la déontologie médicale intégrée au code de la santé publique.
Plusieurs médecins décrivant dans leurs certificats un harcèlement au travail et mettant en cause directement l’employeur (ou les collègues de travail) se sont vu sanctionnés par des chambres disciplinaires de l’Ordre des médecins, notamment avec des avertissements ou des blâmes, voire des interdictions temporaires d’exercice avec ou sans sursis. Cependant, même si les procédures sont médiatisées, selon l’Ordre, les plaintes d’employeurs restent peu fréquentes vis-à-vis des médecins du travail.39
Ainsi la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a condamné un médecin « [qui] ne s’est pas borné aux constatations médicales qu’il était en mesure de faire […], à décrire l’état de sa patiente, et à rapporter ses dires, mais a fait état de ‘’harcèlements au travail’’ dont il n’avait pas été témoin et dont il n’avait pas pu contrôler la véracité ».40 L’Ordre rappelle régulièrement cette obligation pour le médecin de se borner à des constatations médicales et de ne pas faire de référence à des qualifications juridiques.41
En novembre 2016, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a confirmé un avertissement à l’encontre de deux médecins du travail pour avoir fait un lien entre une pathologie et les conditions de travail d’un salarié. Un médecin du travail avait noté une « pathologie anxiodépressive » liée à un vécu de « maltraitance professionnelle » et l’autre une « maltraitance managériale ».
Un médecin s’est vu infliger par la chambre disciplinaire de première instance d’Île- de-France une interdiction d’exercice de la médecine durant huit jours avec sursis pour avoir mentionné dans un écrit une « dépression réactionnelle suite à harcèlement moral professionnel ».42 L’appel du médecin a été rejeté par la décision n° 1042 du 13 janvier 2010 de la chambre.
Cette judiciarisation génère de la peur chez les médecins qui, pour certains, refusent désormais d’établir tout certificat, au détriment des salariés. Ainsi, le médecin doit faire preuve de prudence dans la rédaction des certificats, d’abord au regard du respect du secret médical mais aussi, dans de telles situations, souvent délicates, afin de ne pas empiéter sur un domaine qui n’est pas le sien en qualifiant juridiquement les situations de travail de l’état de santé de son patient.43
L’employeur n’a aucun intérêt financier à poursuivre un médecin du travail devant une juridiction ordinale, il peut seulement obtenir l’indemnisation des frais de procédure et une sanction ordinale du médecin, à savoir le plus souvent un avertissement ou un blâme. Ces procédures peuvent être assimilées à des tentatives d’intimidation des médecins du travail qui doivent redoubler de vigilance mais ne pas s’autocensurer au point de ne plus exercer leur mission qui est d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail.38
1. Fantoni-Quinton S. Un salarié a-t-il le droit de mentir sur sa santé lors de la visite médicale ? Rev Prat 2017;67:255-6.
2. Cour de cassation, chambre sociale, 18 septembre 2013, n° 12-17159.
3. Article L.1110-4 du code de la santé publique.
4. Manaouil C. Le secret partagé entre professionnels depuis la loi santé du 26 janvier 2016. RGDM 2016;61:53-63.
5. Article L.1110-4 du code de la santé publique.
6. Article D.1110-3-1 du code de la santé publique.
7. Article D.1110-3-2 du code de la santé publique.
8. Article D.1110-3-3 du code de la santé publique.
9. Article L.4622-3 du code du travail.
10. Article R.4624-9 du code du travail.
11. Article R.4623-25 du code du travail.
12. Article R.4623-27 du code du travail.
13. Article R.4623-40 du code du travail.
14. Article R.4127-72 du code de la santé publique.
15. Article R.4623-37 du code du travail.
16. Fantoni Quinton S, Gaslain de Winter F. Le dossier médical en santé au travail et l’équipe pluridisciplinaire : conduite à tenir. Arch Mal Prof Env 2014;75:590-3.
17. Giorgi MT. Secret professionnel : médical, de fabrication. AtouSanté, 23 novembre 2013. https://www.atousante.com/
18. Article R.4624-5 du code du travail.
19. Chambre sociale de la Cour de cassation, arrêt du 10 juillet 2002, pourvoi n° 00-40209.
20. Chambre criminelle de la Cour de cassation, arrêt du 6 juin 1972, pourvoi n° 70-90271.
21. Chambre sociale de la Cour de cassation, arrêt du 30 juin 2015, pourvoi n° 13-28201.
22. Article 321-1 du code pénal.
23. Article R.4623-1 du code du travail.
24. Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.
25. Ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.
26. Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.
27. Article R.4624-46 du code du travail.
28. Article R.4624-48 du code du travail.
29. Article R.4624-49 du code du travail.
30. Article L.8113-5 du code du travail.
31. Article R.4624-51 du code du travail.
32. Article R.4624-52 du code du travail.
33. Article R4624-53 du code du travail.
34. Article L8123-2 du code du travail.
35. Conseil national de l’Ordre des médecins. À propos de la circulaire DRT n° 03 du 7 avril 2005 relative à la réforme de la médecine du travail. CNOM, note du 17 juin 2005.
36. Article R.4127-28 du code de la santé publique.
37. Article L.4123-2 du code de la santé publique.
38. Fantoni-Quinton S, Frimat P, Choudat D. Plainte ordinale après déclaration d’une maladie professionnelle par le médecin du travail. Une tentative d’intimidation de la part des employeurs ou des erreurs de rédaction ? Arch Mal Prof Env 2014;75:59-62.
39. Communiqué de l’Ordre des médecins du 16 mai 2013.
40. Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, décision du 4 mai 2009, n° 10033.
41. Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, décision du 3 décembre 2003, n° 8677 et décision du 4 septembre 2006, n° 9377.
42. Chambre disciplinaire de première instance d’Île-de-France, 31 mars 2009.
43. Manaouil C, Fantoni-Quinton S, Montpellier D. Doit-on craindre les poursuites ordinales déclenchées par les employeurs dans le cadre de la souffrance au travail ? Responsabilité 2014;55:11-4.
Dans cet article
- Communication avec les médecins soignants
- Communication avec les autres membres du service de santé au travail
- Communication avec les intervenants en prévention des risques professionnels des services de santé au travail interentreprises
- Communication avec l’employeur
- Documents d’informations et d’alerte du médecin du travail
- Communication avec le médecin inspecteur régional du travail