Les complications cardiovasculaires sont fréquentes et souvent sévères chez les patients diabétiques. Le suivi de ces patients inclut un bilan cardiovasculaire complet. Mais, s’il rassure le médecin, le dépistage de ces complications a-t-il montré un bénéfice pour le patient ?
Le diabète est un facteur de risque cardiovasculaire majeur qui multiplie par 2 ou 3 le risque de survenue d’un événement cardiovasculaire (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral [AVC], artériopathie oblitérante des membres inférieurs). Malgré de nombreux progrès dans la prévention et le traitement de ces pathologies ces dernières décennies, le pronostic du diabète est encore très largement dominé par le risque cardiovasculaire.
Une des particularités de la maladie coronarienne chez le diabétique est son caractère souvent asymptomatique entraînant parfois la découverte a posteriori d’un infarctus du myocarde passé inaperçu car non ressenti par le patient. De même, l’angine de poitrine n’est plus dans ce cas un signe d’alerte de sténose coronaire. Le ­caractère peu ou pas symptomatique est fréquent pour le diabète lui-même, qui peut évoluer à bas bruit pendant de nombreuses années, ainsi que pour ses complications : néphropathie, rétinopathie, mal perforant plantaire ­(souvent découvert à un stade avancé car non ressenti), et cardiopathie ischémique. Une partie de l’enjeu de la prise en charge et du suivi du patient diabétique consiste donc à dépister ces complications le plus précocement possible afin de mettre en place rapidement des mesures permettant d’éviter leur aggravation.
Il est donc indispensable chez tous les diabétiques de réaliser, au moins annuellement, un fond d’œil, une mesure de la créatinine et de l’albuminurie, et un examen des pieds (auquel s’ajoute le bilan lipidique pour le dépistage d’une dyslipidémie). Tous ces examens ont pour ­objectif une action de prévention : introduction d’un ­bloqueur du système rénine-angiotensine (inhibiteur de l’enzyme de conversion ou antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II) en cas de néphropathie, laser rétinien en cas de rétinopathie.

Quel est le bénéfice du dépistage systématique ?

Tout d’abord, il est bien montré qu’il existe une association entre la présence d’une anomalie au test de dépistage et le risque cardiovasculaire. Un patient avec un électrocardiogramme (ECG) anormal ou un test d’effort positif est plus à risque que celui dont l’examen est normal. ­Est-ce que dépister une ischémie myocardique permet de diminuer ce risque par rapport à une stratégie sans dépistage ? Le raccourci est facile mais il ne va pas de soi, il existe en effet une différence entre association (test positif = risque plus grand) et intervention (faire un test = diminuer le risque).
Prenons l’exemple d’un patient, M. X, 60 ans, ­diabétique de type 2, hypertendu et dyslipidémique. Il n’a pas de symptomatologie cardiaque et son ECG est normal. Allez-vous diminuer son risque en lui ­proposant de faire un test d’effort ?
La question de l’amélioration du pronostic cardiovasculaire par un dépistage systématique de la cardiopathie ischémique a fait l’objet de quatre études randomisés contrôlées : les essais DIAD, FACTOR-64, DADDY-D et ­DYNAMIT.1-4 La conception de ces études était à peu près similaire : des patients diabétiques non symptomatiques randomisés pour bénéficier soit d’une stratégie de dépistage systématique (scintigraphie myocardique, coroscanner ou échographie d’effort), soit d’une stratégie de suivi standard sans dépistage. Ces études montrent tout d’abord la faible rentabilité d’une stratégie de dépistage systématique. En effet, le taux de test positif était de 5 à 20 % dans le groupe dépistage ; il conduisait à la réalisation d’une coronarographie dans 6 à 12 % des cas et à un geste de ­revascularisation dans environ 4 % des cas. Mais surtout, les résultats principaux de ces essais montrent qu’après 3 à 5 ans de suivi, l’incidence des événements cardiovasculaires était similaire dans les deux groupes. Il n’est pas observé de différence dans le nombre de morts d’origine cardiaque ou d’infarctus du myocarde chez les sujets ­inclus, qu’ils aient ou non bénéficié d’un test de dépistage à l’inclusion. Il est donc clair qu’une stratégie de dépistage systématique de la coronaropathie chez les patients ­diabétiques non symptomatiques n’apporte pas de bénéfice supplémentaire en termes de survie ou de survenue d’un événement cardiovasculaire par rapport à une prise en charge standard.
La probabilité que vous rendiez service à M. X en lui prescrivant un test d’effort est donc faible, non ­significative.
Serait-il alors plus rentable et plus bénéfique de ­sélectionner en amont les patients les plus à risque, ­c’est-à-dire ceux les plus susceptibles d’avoir un test ­positif et donc de pouvoir bénéficier d’un traitement ­optimisé. C’est le choix qui guide aujourd’hui les futurs recommandation conjointes de la Société française de diabétologie (SFD) et celle de cardiologie (SFC) : dépister les patients avec un risque très élevé défini par un score calcique coronaire (CAC) à plus de 400. Les arguments rationnels pour appuyer une telle stratégie sont toutefois peu convaincants. Dans l’étude Factor 64, le taux de patients avec un CAC à plus de 100 était important (41 %) sans que la stratégie de dépistage soit plus efficace. Il n’existe actuellement aucun essai clinique ayant testé une stratégie de dépistage ciblé.

Quelles modifications thérapeutiques en cas de dépistage positif ?

L’autre question que pose le dépistage de l’ischémie myocardique est celle de la modification thérapeutique qu’elle induirait. En effet, l’objectif d’un test de dépistage est de mettre en évidence une anomalie encore non symptomatique afin de mettre en place un traitement précoce pour éviter l’aggravation ou la progression de la pathologie. Comme spécifié par l’Organisation mondiale de la santé dans sa définition d’un test de dépistage, il faut disposer d’un traitement d’efficacité démontrée. Qu’en est-il pour la cardiopathie ischémique ? Quelles sont les conséquences thérapeutiques d’une mise en évidence d’anomalies sur le test de dépistage ?
Reprenons notre patient, M. X, qui s’est vu prescrire par un confrère une scintigraphie myocardique dans la cadre de son « bilan du diabète ». La scintigraphie revient positive. Vous savez donc que M. X est plus à risque de faire un événement cardiovasculaire, mais êtes-vous capable de diminuer ce risque ? Un raisonnement de bon sens est de se dire que si M. X a une sténose sur une coronaire, sa dilatation permettra de réduire le risque de faire plus tard un infarctus du myocarde. Vous demandez donc une coronarographie qui montre une sténose significative de l’artère interventriculaire antérieure. Que faire ?
Cette question a été abordée par plusieurs études ­randomisés contrôlés, pas toutes chez des diabétiques. L’objectif de ces études était de savoir si, chez un patient ayant des lésions coronariennes stables (on ne parle pas ici d’événements aigus, infarctus du myocarde), une revascularisation (par angioplastie et stent ou pontage) était plus efficace qu’un traitement médical bien conduit ­(anti-agrégants, contrôle lipidique et tensionnel).
La première de ces études, COURAGE, a été publiée en 2007. Elle a inclus 2 287 sujets ayant une coronaropathie stable (dont 35 % de diabétiques) qui ont été randomisés, soit dans un groupe « traitement médical optimal plus angioplastie ± stent », soit dans un groupe « traitement médical optimal seul ».5 Après un suivi médian de 4,6 ans, un infarctus du myocarde ou un décès est survenue chez 19 % du groupe « angioplastie » et 18,5 % du groupe « traitement médical seul » sans différence significative.
Deux ans plus tard, l’étude BARI-2D, qui a inclus 2 368 diabétiques de type 2 ayant une coronaropathie ­randomisés dans un groupe « traitement médical seul » ou un groupe « revascularisation » (angioplastie ou pontage chirurgical),6 a montré après 5 ans de suivi que les taux de mortalité, d’infarctus du myocarde ou d’AVC étaient comparables dans les deux groupes. En revanche, une diminution significative des événements a été observée chez les patients ayant bénéficié d’un pontage (et donc ayant des lésions nécessitant un pontage : lésion du tronc commun ou touchant les trois troncs).
Ensuite l’étude belge FAME 2 a affiné la recherche puisque cette fois seules les lésions coronariennes hémodynamiquement significatives (celles qui se traduisaient par une baisse significative du flux en aval) étaient traitées dans le groupe « revascularisation ».7 Les résultats ont été spectaculaires avec un net bénéfice dans le groupe « revascularisation ». Cependant, ce bénéfice était uniquement observé pour le taux de revascularisations urgentes (critères non pris en compte dans les autres essais) alors que l’incidence des infarctus du myocarde et de la mortalité était non statistiquement différente.
Enfin, viennent d’être publiés les résultats de l’étude ISCHEMIA qui montrent définitivement l’absence de ­bénéfice de la revascularisation des lésions coronariennes stables.8 Dans cette étude, 5 179 sujets (42 % étaient diabétiques) ont été inclus sur la base d’un test de dépistage positif dont plus de 50 % avaient une ischémie considérée comme sévère. Après un suivi médian de 3,3 ans, l’incidence des événements (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, hospitalisation pour angor instable, insuf­fisance cardiaque ou arrêt cardiaque ressuscité) était ­similaire dans les groupes « traitement médical seul » et « revascularisation » (hazard ratio = 0,93 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,80-1,08 ; p = 0,34). Aucune différence n’était observée dans le sous-groupe des sujets diabétiques.
En ce qui concerne M. X, la mise en évidence de cette lésion de l’artère interventriculaire antérieure va probablement conduire à un traitement par angioplastie avec stent. Il va alors devoir prendre pendant au moins 1 an une double anti-agrégation avec le risque hémorragique associé et le risque de thrombose de stent en cas d’oubli. Est-ce que cela aurait changé son pronostic de le traiter uniquement médicalement ? De faire baisser son cholestérol lié aux lipoprotéines de basse densité (LDL-cholestérol) à moins de 0,7 voire 0,55 g/L, sa pression artérielle à moins de 140/90 mmHg, d’équilibrer son diabète, et de lui prescrire de l’aspirine sans toucher à ses coronaires ?
Probablement pas selon les données de l’evidence based medicine. Mais une fois mise en évidence, comment ne pas traiter cette lésion ? Il est difficile de savoir et de « ne rien faire » à la fois pour le patient, stressé par son diagnostic, et pour le médecin soumis aux contraintes de la tarification à l’acte.

Se fier aux marqueurs simples

Les données actuelles indiquent clairement qu’un dépistage systématique de l’ischémie myocardique asymptomatique chez les sujets diabétiques n’apporte pas de bénéfice aux patients. Il en est probablement de même pour les dopplers artériels des membres inférieurs et des carotides qui ne sont en général prescrits que pour rassurer le médecin et qui reviennent dans la majorité des cas normaux ou subnormaux.
Mais alors, que faire pour les quelques patients aux lésions coronariennes très sévères qui pourraient tirer avantage d’un pontage chirurgical coronarien, ou qui ont une lésion très serrée de la carotide ? Il faudrait ­pouvoir identifier ces patients sans avoir recours à un dépistage de masse inefficace et anxiogène. Tout l’enjeu est donc d’identifier ces patients en limitant les tests de dépistage aux patients les plus à risque. Mais les ­méthodes d’évaluation efficaces manquent. Le score ­calcique (mesure de la densité de dépôt de calcium coronarien par un scanner peu irradiant et rapide) est le test qui a le vent en poupe actuellement pour évaluer le risque cardiovasculaire. Mais aucune étude n’a encore validé cette stratégie de dépistage en 2 temps (score calcique puis test d’effort pour les scores les plus élevés uniquement). Reste donc à être pragmatique en évaluant le risque cardiovasculaire des patients avec des marqueurs simples : accumulation des facteurs de risque cardio­vasculaire, âge, atteinte rénale due au diabète notamment la présence d’une albuminurie, et éventuellement en mesurant le score calcique. Cette stratification doit conduire à l’intensification du contrôle du risque cardiovasculaire. La place de l’aspirine dans cette stratégie n’est en revanche pas claire, aucune étude n’ayant montré un bénéfice net en prévention primaire.
Il n’est donc pas licite aujourd’hui de proposer, en l’absence de signes d’appel clinique un test de dépistage des complications cardiovasculaires aux patients diabétiques. Il est en revanche bien démontré que leur risque est élevé et qu’une stratégie médicale intensive permet diminuer ce risque. 
Encadre

En pratique

Les patients diabétiques ont un risque cardiovasculaire majeur, mais une stratégie médicale intensive de prévention doit être préférée à une stratégie de dépistage.

Le meilleur moyen de limiter le risque d’infarctus d’un patient diabétique est de contrôler le diabète, la pression artérielle mais aussi de lui prescrire une statine et de lui conseiller d’arrêter de fumer et de pratiquer une activité physique régulière.

Références
1. Young LH, Wackers FJ, Chyun DA, et al. Cardiac outcomes after screening for asymptomatic coronary artery disease in patients with type 2 diabetes: the DIAD study: a randomized controlled trial. JAMA 2009;301:1547-55.
2. Lievre MM, Moulin P, Thivolet C, et al. Detection of silent myocardial ischemia in asymptomatic patients with diabetes: results of a randomized trial and meta-analysis assessing the effectiveness of systematic screening. Trials 2011;12:23.
3. Turrini F, Scarlini S, Mannucci C, et al. Does coronary Atherosclerosis Deserve to be Diagnosed earlY in Diabetic patients? The DADDY-D trial. Screening diabetic patients for unknown coronary disease. Eur J Intern Med 2015;26:407-13.
4. Muhlestein JB, Lappe DL, Lima JA, et al. Effect of screening for coronary artery disease using CT angiography on mortality and cardiac events in high-risk patients with diabetes: the FACTOR-64 randomized clinical trial. JAMA 2014;312:2234-43.
5. Boden WE, O’Rourke RA, Teo KK, et al. Optimal medical therapy with or without PCI for stable coronary disease. N Engl J Med 2007;356:1503-16.
6. Group BDS, Frye RL, August P, et al. A randomized trial of therapies for type 2 diabetes and coronary artery disease. N Engl J Med 2009;360:2503-15.
7. Xaplanteris P, Fournier S, Pijls NHJ, et al. Five-year outcomes with pci guided by fractional flow reserve. N Engl J Med 2018;379:250-9.
8. Maron DJ, Hochman JS, Reynolds HR, et al. Initial invasive or conservative strategy for stable coronary disease. N Engl J Med 2020;382:1395-407.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés