L’année 2020 a été marquée par une chute dans la consommation d’antibiotiques, à la fois en santé humaine et animale. La diminution des prescriptions en médecine générale a été très nette, mais comment maintenir cette tendance aujourd’hui, compte tenu de la reprise des infections ? Une sélection d’outils pratiques pour les médecins (fiches et applications avec les nouvelles recos, évolution des TROD, ordonnance de non-prescription) pour continuer à lutter, au quotidien, contre les résistances microbiennes.
Selon les derniers chiffres dévoilés par Santé publique France, la consommation d’antibiotiques en santé humaine a baissé de façon très significative en 2020, quelle que soit la classe d’âge considérée. Les facteurs liés à la pandémie de Covid-19 sont vraisemblablement à l’origine de cette tendance : l’efficacité des gestes barrières (masques, hygiène des mains, distanciation) a entraîné une diminution de la transmission de la plupart des infections courantes (gastro-entérites aiguës, grippe…) ; de plus, le nombre de consultations en ville ayant diminué (en particulier pendant les confinements), les occasions de prescrire les antibiotiques étaient moins fréquentes.
Ainsi, par rapport à 2019, le nombre de prescriptions antibiotiques dispensées en ville a baissé de 18 % (fig. 1) ; la baisse de la consommation d’antibiotiques mesurée en nombre de doses définies journalières (DDJ, posologie de référence pour un adulte dans l’indication principale de chaque molécule) était quant à elle de 17 %. Pour rappel, en France, 80 % des antibiotiques sont prescrits en ville (environ 70 % par les médecins généralistes et 10 % par les chirurgiens-dentistes). Ces prescriptions initiées par les généralistes, quoique représentant encore 72 % du total en 2020, sont aussi celles qui ont le plus diminué sur la décennie 2010-2019 (- 20,4 %).
Bien que sur cette dernière décennie la consommation d’antibiotiques ait globalement diminué, la baisse observée l’année dernière fut sans précédent (fig. 2) – une rupture qui, étant donné le contexte singulier, ne peut pas être interprétée comme le prolongement de l’évolution 2010-2019 (9,7 millions de prescriptions de moins en 2020 que ce qui était attendu au regard de celle-ci). Ainsi, il reste à savoir comment évoluera cette tendance en 2021, compte tenu de la reprise des infections, notamment chez les enfants : épidémie de bronchiolite plus précoce cette année, activité de gastro-entérite aiguë chez les moins de 5 ans plus élevée et précoce que celle observée aux saisons pré-Covid (2010-2019) à la même période…
C’est pourquoi Santé publique France exhorte la population à maintenir les pratiques acquises durant la pandémie (gestes barrières, mesures d’hygiène, isolement ou masque en cas de symptômes de maladie infectieuse, amélioration de la ventilation…), qui permettraient à cette diminution de durer sur le long terme, et ainsi à l’antiobiorésistance de reculer. Rappelons que, malgré la baisse de la consommation observée ces dernières années, la France reste en 2020 l’un des pays les moins bien classés en Europe sur ce sujet (26e sur 29).
Quelles sont les molécules dont la consommation a le plus diminué ?
Si la baisse de la consommation d’antibiotiques en 2020 concernait toutes les classes, elle était particulièrement marquée dans la plus prescrite, à savoir les pénicillines à large spectre (34,2 % de la consommation totale en DDJ en 2020), infléchissant la tendance observée dans la décennie passée (hausse de 55 % dans la consommation de cette classe entre 2010 et 2019). Les pénicillines représentent tout de même 54 % de la consommation totale d’antibiotiques en 2020, avec 32,1 % pour l’amoxicilline seule et 19,5 % pour l’amoxicilline-acide clavulanique.
Par ailleurs, sur la période 2016-2020, les antibiotiques les plus générateurs d’antibiorésistance (à savoir : chez l’adulte, amoxicilline + acide clavulanique, céphalosporine de 3e ou 4e génération, fluoroquinolones ; chez l’enfant, céphalosporine de 3e ou 4e génération) ont vu leur consommation diminuer de 8,9 % pour les adultes, 8,7 % pour les enfants de 4 à 15 ans et 20,1 % pour les enfants de moins de 4 ans.
Et en santé animale ?
La lutte contre l’antibiorésistance s’inscrit dans une perspective « une seule santé » (« One Health ») : les interventions en santé humaine, animale et dans l’environnement – qui peut servir de réservoir ou d’amplificateur de la prolifération de bactéries résistantes (présence d’antibiotiques dans les sols et milieux aquatiques) – doivent être associées pour espérer réduire la résistance des bactéries aux antibiotiques.
C’est pourquoi l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) réalise un suivi des ventes des médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France depuis 1999, en parallèle du suivi de la résistance bactérienne, pour évaluer les risques en la matière. Leur dernier rapport (octobre 2021) montre qu’en 2020 le volume total des ventes d’antibiotiques (415 tonnes) a baissée de 2,7 % par rapport à 2019. Par rapport à 2011, année de référence pour le premier plan Ecoantibio, la diminution est de 54,8 %.
En santé animale, 95 % des utilisations d’antibiotiques concernent les animaux destinés à la consommation humaine. Le niveau d’exposition des animaux aux antibiotiques est mesuré par l’indicateur ALEA (Animal Level of Exposure to Antimicrobials), qui correspond au rapport entre le poids vif traité estimé et la biomasse de la population animale en France ; il permet d’estimer le nombre de traitements par animal. L’ALEA (variable selon les espèces) a globalement diminué de 45,4 % par rapport à 2011.
Après une forte baisse entre 2011 et 2016, cette exposition est relativement stable pour la majorité des familles d’antibiotiques, à l’exception des tétracyclines et des polypeptides. En ce qui concerne les fluoroquinolones et les céphalosporines de 3e et 4e générations (d’importance critique en médecine humaine), l’exposition animale a diminué respectivement de 87,3 % et de 94,3 % par rapport à 2013 – tendance qui se poursuit, avec des baisses respectives de 9,3 % et de 3,9 % entre 2019 et 2020.
Prévention de l’antibiorésistance : 3 outils pour les professionnels de santé
1. Des fiches pour le choix et la durée de l’antibiothérapie
Réduire les durées de traitement antibiotique est une stratégie fondamentale pour restreindre l’exposition excessive aux antibiotiques et lutter contre l’antibiorésistance. En août 2021, la HAS, en partenariat avec la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) et le Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP), a élaboré de nouvelles recommandations préconisant le choix et les durées d’antibiothérapies (les plus courtes possibles) pour les infections courantes.
Ces 19 fiches synthétiques concernent les infections urinaires chez la femme, les infections ORL de l’adulte et de l’enfant, les infections cutanées bactériennes, les infections à Helicobacter pylori chez l’adulte, les urétrites et cervicites non compliquées, la diverticulite aiguë sigmoïdienne non compliquée.
Le site Antibioclic, développé par le Collège de la médecine générale et le Collège national des généralistes enseignants, en partenariat avec la Spilf, sert aussi d’outil d’aide à la prescription d’une antibiothérapie rationnelle en soins primaires.
2. Des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD)
Pour les angines, ces TROD permettent d’en vérifier l’origine virale ou bactériennegrâce à un prélèvement de gorge, afin que la prescription d’antibiotiques soit raisonnée (moins d’une angine sur cinq est d’origine bactérienne).
Pour rappel, les patients peuvent bénéficier du TROD directement en pharmacie (prise en charge à 70 %), pour être orientés vers le médecin en cas de résultat positif.
3. Une ordonnance de non-prescription d’antibiotiques
Développée par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), cette ordonnance est un document prérempli (à télécharger ici), dont la visée est pédagogique : le but est d’aider le médecin à expliquer à leurs patients pourquoi, à l’issue de la consultation, il n’a pas jugé nécessaire de prescrire un antibiotique.
Daté et signée par le médecin, le document est remis en fin de consultation comme une ordonnance classique… mais ne contient aucun médicament (elle peut, le cas échéant, être accompagnée d’une ordonnance classique pour un traitement symptomatique).
Pour les patients, la plateforme en ligne Antibio’Malin, élaboré par le ministère de la santé, contient aussi des outils pour les aider à mieux comprendre les infections courantes et pour les accompagner dans la prise d’un antibiotique, les impliquant ainsi dans leur bon usage.
LMA, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Santé publique France. Consommation d’antibiotiques et antibiorésistance en France en 2020. 18 novembre 2021.
Santé publique France. Bulletin épidémiologique hebdomadaire n°18-19. Antibiorésistance en France en 2021 : une menace sous surveillance. 16 novembre 2021.
Anses. Suivi des ventes d’antibiotiques vétérinaires. 18 novembre 2021.
Nobile C. Antibiothérapie en ville : nouvelles recos.Rev Prat (en ligne) septembre 2021.
Infectiologie.com. Semaine mondiale du bon usage des antimicrobiens. 18 novembre 2021.
À lire aussi :
Tattevin P, Picard L, Patrat-Delon S. Focus Item 177 – Pourquoi le bon usage est-il particulièrement important pour la classe thérapeutique des anti-infectieux ? Rev Prat 2021;71(2);e61.
Tattevin P, Picard L, Patrat-Delon S. Prescription et surveillance des anti-infectieux chez l’adulte et l’enfant (voir item 330) - Partie 1 : Antibiotiques. Rev Prat 2021;71(2);e51-60.