L’idée du sujet de ce mois-ci m’est venue comme un flash : allant chercher un patient en salle d’attente, j’ai eu, avant même de le voir, l’image précise de ce que j’allais observer : sa place (toujours la même), sa position assise, droite et rigide, sa pochette cartonnée format A4 (j’en connais même la couleur !) posée sur ses genoux, la carte Vitale par-dessus, un masque FFP2 sur le visage. De là, j’ai réalisé à quel point de nombreux gestes et attitudes interviennent dans la connaissance de nos patients, sans que l’on en ait vraiment conscience.

Dès leur présence dans les espaces communs (couloir, salle d’attente), nous pouvons déceler des indices sur la relation thérapeutique. Le patient qui attend debout dans le couloir alors que la salle d’attente est quasi vide : a-t-il peur d’être contaminé ? se tient-il prêt à fuir cette consultation qu’il a pourtant programmée lui-même ?

En entrant dans le cabinet, celui que l’on sent mal à l’aise à l’idée de s’asseoir : souffre-t-il d’un lumbago ? d’une crise hémorroïdaire ?

La famille qui entre à quatre alors qu’un seul rendez-vous est prévu : quelques petites demandes supplémentaires se profileraient-elles à l’horizon ?

Et celui qui s’installe sur la chaise placée le moins en face de nous, légèrement caché derrière l’écran de l’ordinateur aura peut-être du mal à vider complètement son sac…

Au début de l’interrogatoire, notre cerveau échafaude parfois des hypothèses avant même que le patient n’ait ouvert la bouche. On détecte la détresse quasi instantanément chez celui qui a du mal à expliquer le motif de sa venue, ou qui se décompose avant d’avoir émis un seul son. À l’opposé, celui qui démarre en se plaignant vigoureusement de la difficulté à se garer dans le quartier, ou du bus qui était en retard, ne nous met malheureusement pas dans de bonnes dispositions pour entendre sa détresse qui, pourtant, est probablement tout à fait réelle.

Pendant les consultations de pédiatrie, on glane des éléments sur la relation parent-enfant. Sans aucun jugement, on imagine différemment le domicile du parent à la poussette qui déborde de courses, carnet de santé enfoui bien au fond sous les paquets de couches, nourrisson semant des miettes sur son passage et vaccins oubliés à la maison ( !) ; de celui très organisé, tétine de secours dans la petite boîte à part, body de rechange qui surgit de nulle part, vaccins dans leur pochette isotherme (d’ailleurs peut-être nous trompons-nous parfois ; l’apparence à l’extérieur pouvant n’être pas toujours sur le modèle de celle de l’intérieur !). Durant l’examen du nouveau-né, les pleurs – parfois inévitables – sont tolérés différemment d’une maman à l’autre, certains parents ont du mal à s’empêcher de soutenir la tête de leur bébé au moment de la  manœuvre du tiré-assis. C’est au docteur de rester bienveillant et de s’adapter à chaque famille avec un discours ajusté à chaque profil. Les éléments de réassurance prennent évidemment plus ou moins de temps, et c’est à nous d’être malléables.

Après des années d’installation et d’expérience, cette communication non verbale est absorbée de façon intuitive et subliminale, et cela aide à mieux repérer à quel moment inciter le patient à s’ouvrir ou, au contraire, le laisser venir à nous sans le brusquer.

Mais n’oublions pas que la réciproque est vraie : les patients sont aussi habitués à nos attitudes, nos gestes, nos tics de langage ; ils savent probablement repérer, sans même s’en rendre compte, les jours où nous sommes plus ou moins à l’écoute, plus ou moins fatigués… On ne peut qu’espérer que ces repères contribuent à les mettre en confiance et aident à l’alliance thérapeutique nécessaire à une saine relation patient-médecin.