Le botulisme est une affection grave due à l’action de neurotoxines paralysantes émises par la bactérie Clostridium botulinum. La contamination par cette bactérie s’effectue essentiellement par voie alimentaire et accessoirement par voie cutanée (blessure) ; elle est assez rare chez l’enfant.
Il est probable que la maladie existe depuis que l’homme a commencé à conserver ses aliments par différents procédés (séchage, fumage, salaison), et notamment la charcuterie. Mais il a fallu attendre 1822 pour qu’une première description soit établie par Justinus Kerner. La maladie dite de Kerner est rebaptisée « botulisme » en 1870, à partir du latin botulus (boyau d’animal utilisé en charcuterie). L’agent responsable a été découvert en 1895 par un microbiologiste belge, qui l’a nommé Bacillus botulinus. En 1923, la bactérie est reclassée dans le genre Clostridium et devient Clostridium botulinum.
Rare mais possible sur tout le territoire
Les aliments généralement incriminés sont les salaisons, la charcuterie, les conserves familiales ou artisanales et éventuellement les produits industriels ayant subi une mauvaise conservation.
Il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire dont les analyses biologiques et les suivis épidémiologiques sont effectués par le Centre national de référence de l’Institut Pasteur.
En 1997, des cas de botulisme de type E ont été imputés à l’ingestion de coquilles Saint-Jacques surgelées. En 1998, ce sont des gambas surgelées qui ont été incriminées. En 1999, des cas sont apparus après la consommation de soupe de poisson et d’asperges en conserve, ayant entraîné sept hospitalisations, dont celle de quatre enfants.1
Entre 2013 et 2016, 39 foyers ont été recensés, soit 68 cas ; cela correspond à un taux de 0,18 à 0,33 cas par million d’habitants. Les aliments concernés étaient en majorité des conserves de jambon et de la charcuterie, mais aussi du steak haché – le type B étant le plus fréquent (tableau 1, fig. 1).2 Des foyers ont été retrouvés dans toute la France, mais surtout dans les départements du Centre (fig. 2).
Récemment, dans un bar à vin à Bordeaux, des sardines de conservation artisanale ont été à l’origine de quinze cas de botulisme de type B. Dix patients ont nécessité une hospitalisation, dont 6 en réanimation. Une femme de 32 ans en est décédée.
Toxine botulique, classée en risque bioterroriste
Clostridium botulinum est un bacille à Gram négatif, anaérobie strict. Il produit diverses toxines (de A à G), ayant des caractéristiques spécifiques (tableau 2). Il est cosmopolite et retrouvé sur le sol, dans les sédiments marins et dans le tube digestif de certains animaux. Les spores constituent des formes de résistance, thermo-stables. En l’absence d’oxygène, il se produit une germination puis une production de toxines. La toxine botulique, très dangereuse, avec une dose létale 50 (DL50)* de 1 à 2 ng/kg, est incluse dans les risques de bioterrorisme.3 Mais, à faible dose, elle est utilisée à but thérapeutique dans certaines maladies neurologiques (contractions musculaires, crampes, spasticité) et à visée esthétique (effacement des rides faciales).
Les toxines botuliques provoquent une inhibition de la libération d’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire, ce qui entraîne un blocage de la transmission entre le nerf et le muscle, et donc une paralysie des muscles locomoteurs et respiratoires. Ces neurotoxines atteignent le système nerveux mais ne franchissent pas la barrière hémato-encéphalique, ce qui préserve le système nerveux central. L’absence de lésion cellulaire permet une récupération totale. 4
Signes digestifs, oculaires et neurologiques
Après une incubation de dix-huit à trente-six heures (plus la durée d’incubation est courte, plus l’affection est sévère) apparaissent des troubles digestifs (diarrhée, nausée, vomissements) et oculaires (mydriase, paralysie de l’accommodation, diplopie). L’atteinte des paires crâniennes provoque des troubles de la déglutition et une disparition du réflexe nauséeux, parfois responsable de fausses routes. Survient ensuite une paralysie ascendante des membres et du tronc, sans atteinte sensitive. Une paralysie des muscles respiratoires peut entraîner le décès (tableau 3).
En outre, on observe une diminution des sécrétions au niveau de la bouche et du pharynx, responsable d’une dysphagie, une hypotension orthostatique et des troubles du rythme cardiaque. Une constipation persistante peut être responsable d’une occlusion intestinale.
Comment poser le diagnostic ?
Le diagnostic est essentiellement clinique, suspecté sur l’association de troubles paralytiques et oculaires et sur le contexte épidémiologique : plusieurs personnes atteintes ayant partagé le même repas. Les paramètres sanguins habituels ne sont pas modifiés. Le diagnostic est confirmé par une recherche de la toxine botulique dans le sérum, le liquide gastrique, les selles ainsi que dans les aliments soupçonnés d’être à l’origine de la contamination. Cette recherche s’effectue au CNR de l’Institut Pasteur, par inoculation à la souris mais surtout par Polymerase Chain Reaction (PCR, réaction de polymérisation en chaîne).
S’il est réalisé, l’électromyogramme met en évidence un blocage présynaptique de la conduction neuromusculaire.
Il existe essentiellement deux diagnostics différentiels :
- le syndrome de Miller-Fisher (survenant après un épisode infectieux, avec des symptômes identiques, mais présence d’une ataxie et de paresthésies sans mydriase) ;
- une intoxication par ingestion de coquillages ou de poisson toxique (tétrodon) dans les pays tropicaux.5
Prise en charge : surtout symptomatique !
Le traitement n’est que symptomatique, nécessitant parfois une intubation et une ventilation assistée. L’administration d’une anti-toxine est utile dans les vingt-quatre heures suivant l’intoxication. Cette antitoxine est obtenue à partir du plasma de cheval inoculé avec les toxines A, B et E (en autorisation temporaire d’utilisation [ATU]), avec des effets indésirables (céphalées, fièvre, frissons).6 Cette sérothérapie est rarement utilisée en France, mais assez souvent aux États-Unis.
Des essais expérimentaux en cours sont encourageants avec l’alphalatrotoxine, composante du venin de la veuve noire, qui agirait comme un antidote de la toxine botulique.7
Les antibiotiques sont inutiles.
La récupération est le plus souvent complète en quelques semaines à quelques mois, les troubles oculaires disparaissant en dernier.
La mortalité, importante autrefois, a nettement régressé depuis les années 1950 grâce aux techniques de soins intensifs et de réanimation respiratoire (tableau 4) mais surtout depuis 1970, avec l’amélioration des procédés de préparation des conserves. Actuellement, elle est faible : moins de 1 % en France entre 2001 et 2016 ; elle est actuellement surtout due au retard diagnostique, à une surinfection pulmonaire ou à un trouble de la déglutition.8
Autres formes de botulisme
Outre le botulisme alimentaire, deux autres formes sont à connaître : le botulisme d’inoculation et le botulisme infantile (le botulisme par inhalation est exceptionnel et n’est pas détaillé ici).
Botulisme d’inoculation
Il concerne environ 800 personnes par an. Ces cas surviennent lors de fractures ouvertes ou chez les toxicomanes par injections, en particulier d’héroïne.9 Dans cette forme pathologique, il n’y a pas de troubles digestifs.
Botulisme infantile
Il survient par ingestion de spores qui ne sont pas détruites par le système digestif insuffisamment mature des nourrissons. Cette forme de botulisme – assez rare – atteint les enfants âgés de moins de 1 an.10
Entre 2010 et 2012, deux cas ont été recensés en France, et 2 419 aux États-Unis entre 1976 et 2006. L’enfant le plus jeune n’avait que 17 jours ; Clostridium botulinum a été retrouvé dans les selles.11 Cette forme de botulisme se manifeste par une constipation, une anorexie, une paralysie des paires crâniennes (troubles de la vision et de l’élocution), une insuffisance respiratoire et une hypotonie généralisée, d’où le nom de « bébé flasque » (sloppy baby).
Quelle prévention ?
L’hygiène alimentaire, le respect des procédés de stérilisation et des règles de préparation des conserves sont indispensables, en particulier dans les productions familiales. Une boîte de conserve bombée est très suspecte et ne doit pas être consommée. Contrairement aux spores, la toxine botulique, thermolabile, est inactivée par une exposition à une température de 85 °C durant cinq minutes et est détruite par l’ébullition pendant dix minutes.12,13
Pour prévenir le botulisme infantile, la consommation de miel ou de sirop de maïs est déconseillée avant l’âge de 12 mois. Ces aliments peuvent, en effet, avoir été contaminés par des abeilles porteuses de C. botulinum, contracté dans la nature.
Des recherches sur un vaccin sont en cours.
2. Mazuet C, Jourdan-Da Silva N, Legeay C, et al. Le botulisme humain en France, 2013-2016. Bull Epidemiol Hebd 2018;(3):46-54.
3. Rasetti-Escargueil C, Lemichez E, Popoff MR. Public Health Risk Associated with Botulism as Foodborne Zoonoses. Toxins (Basel) 2020;12(1):17.
4. Le Bouquin S, Lucas C, Souillard R, et al. Human and animal botulism surveillance in France from 2008 to 2019. Front Public Health 2022;10:1003917.
5. Lonati D, Schicchi A, Crevani M, et al. Foodborne Botulism: Clinical Diagnosis and Medical Treatment. Toxins (Basel) 2020;12(8):509.
6. Rao AK, Sobel J, Chatham-Stephens, K et al. Clinical guidelines for diagnosis and treatment of botulism. MMWR Recomm Rep 2021;70(2):1-30.
7. Dregotti E, Zanetti G, Scorzeto M, et al. Snake and Spider Toxins Induce a Rapid Recovery of Function of Botulinum Neurotoxin Paralysed Neuromuscular Junction. Toxins (Basel) 2015;7(12):5322-36.
8. Haeghebaert S, Carlier JP, Popoff MR. Caractéristiques épidémiologiques du botulisme humain en France, 2001 et 2002. Bull Epidemiol Hebd 2003;(29):129-30.
9. Middaugh N, Edwards L, Chatham-Stephens K, et al. Wound Botulism Among Persons Who Inject Black Tar Heroin in New Mexico, 2016. Front Public Health 2021;9:744179.
10. Goldberg B, Danino D, Levinsky Y, et al. Infant botulism, Israel, 2007-2021. Emerg Infect Dis 2023;29(2): 235-41.
11. Rasetti-Escargueil C, Popoff MR. Recent Developments in Botulinum Neurotoxins Detection. Microorganisms 2022;10(5):1001.
12. Arnon SS, Midura TF, Damus K, et al. Honey and other environmental risk factors for infant botulism. J Pediatr 1979;94:331-6.
13. Abdulla VO, Ayubi A, Zulfiquer F, et al. Infant botulisme following honey ingestion. BMJ cases reports 2012.