Pneumologie. Entre 15 et 20 % des BPCO ont une origine professionnelle, laquelle est le plus souvent mal identifiée, surtout s’il existe un tabagisme associé. Il est donc impératif de s’enquérir des différents postes de travail occupés par les patients
Selon les dernières recommandations de la Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD),1 la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est une maladie respiratoire chronique définie par une obstruction permanente et progressive des voies aériennes. Cette obstruction est causée par l’association, variable selon les patients, d’une diminution du calibre des bronchioles du fait de modifications anatomiques (remodelage) et d’une destruction pulmonaire en aval des bronchioles terminales (emphysème).
Le diagnostic de BPCO, souvent tardif, requiert obligatoirement une spirométrie avec mesure du volume expiratoire maximal à la première seconde (VEMS) et de la capacité vitale forcée (CVF) : la BPCO est définie par un rapport VEMS/CVF inférieur à 0,70, qui persiste après prise de bronchodilatateurs.
Du fait du poids majeur et essentiel du tabagisme dans la BPCO, la responsabilité des facteurs professionnels dans sa genèse ou son aggravation est restée longtemps méconnue. De plus, aucun signe clinique, radiologique ou fonctionnel ne permet de distinguer une BPCO professionnelle d’une BPCO post-tabagique classique : de ce fait, devant toute BPCO, il faudra évoquer cette cause, récolter toutes les informations qui permettront de faire le lien entre la personne, le travail passé et la pathologie respiratoire. Bien que des campagnes de dépistage dans des secteurs de travail ciblés aient vu le jour, la BPCO professionnelle reste largement sous-diagnostiquée.

Comment identifier les facteurs de risque professionnels des BPCO ?

Des études expérimentales confirment que plusieurs substances, connues comme pouvant être associées à la BPCO chez l’homme, sont en mesure d’entraîner des lésions bronchiques ou de l’emphysème chez l’animal, notamment la silice, la poussière de charbon, le cadmium, le vanadium et les endotoxines.2
Des études épidémiologiques complexes, réalisées soit en population générale, soit en population sélectionnée, chez les sujets exposés sont indispensables. La réalisation et l’interprétation de ces études sont compliquées par un certain nombre de problèmes spécifiques :3 les biais d’autosélection (effet travailleur sain, et perte de sujets sensibles dans les études de cohorte en population sélectionnée), les difficultés (voire l’impossibilité) d’évaluation précise quantitative et qualitative des expositions professionnelles dans les études en population générale. Les mesures répétées de la fonction respiratoire se heurtent à « l’effet apprentissage », ce qui peut masquer les conséquences de la pollution professionnelle. Il est donc difficile de faire un recensement certain des BPCO professionnelles.
Chez les sujets exposés, un déclin accéléré du VEMS doit être recherché et, si possible, la présence d’une relation dose-effet entre le niveau d’exposition mesuré ou évalué et l’intensité du trouble ventilatoire obstructif, ou la rapidité de déclin du VEMS, ainsi que la concordance et la cohérence des données ; en fait, seulement dans de rares circonstances, toutes ces données sont associées.
L’ensemble des recueils épidémiologiques, avec plusieurs revues générales publiées, permet aujourd’hui d’affirmer avec certitude la causalité de certaines expositions professionnelles, en tant que facteur causal de la BPCO, avec plusieurs secteurs professionnels à haut risque.4-6

Quelle fraction des BPCO est attribuable à un risque professionnel ?

De nombreux travaux épidémiologiques (études en population générale ou sélectionnée, avec évaluation de la fonction respiratoire, de design varié, sur des populations différentes, avec des critères d’exposition variables) des 20 dernières années, aux États-Unis, en Europe, en Australie-Nouvelle-Zélande et en Chine,6 trouvent une association reproductible entre l’exposition professionnelle aux poussières et la bronchite chronique, et un lien moins solide entre l’exposition aux gaz, aux vapeurs et aux fumées et cette même maladie.7 Selon les experts de l’American Thoracic Society,8 la fraction des BPCO attribuables à des facteurs professionnels est estimée autour de 15 %, d’après une revue générale des études en population générale, qui recherche la part des facteurs professionnels dans la BPCO. Chez les non-fumeurs, cette exposition professionnelle peut contribuer jusqu’à 40 % dans le poids global de la BPCO.9

Quelles activités professionnelles sont associées à un risque avéré de BPCO ?

Les secteurs professionnels les mieux étudiés et pour lesquels on dispose des données les plus consistantes sont le secteur minier, le bâtiment et les travaux publics, la fon- derie et la sidérurgie, le textile et le milieu agricole (tableau 1).

En milieu industriel5


Les travaux miniers

Chez les mineurs de charbon, des études épidémiologiques transversales et longitudinales concluent avec certitude à une causalité entre l’exposition aux poussières minières (silice, quartz) et le risque de BPCO, avec chute accélérée du VEMS, en l’absence de pneumoconiose (silicose), avec une relation dose-effet, et cela quel que soit le statut tabagique. Chez les mineurs d’or, de potasse et de fer, un surrisque de survenue de BPCO est également décrit. Dans les cokeries, un excès de BPCO chez les ouvriers est aussi noté en Chine avec effet synergique entre l’exposition professionnelle au benzène (qui est le marqueur d’exposition) et le tabagisme cumulé.


Fonderies, sidérurgie, soudage, transformation des métaux

Si les études menées dans les fonderies (acier, métaux ferreux) et la sidérurgie sont difficiles à interpréter (aérosols de poussières, gaz et fumées complexes), un excès de bronchites chroniques et de troubles ventilatoires obstructifs est noté avec un déclin accéléré du VEMS dans les études longitudinales chez les sidérurgistes.


Industrie textile

Chez les travailleurs du coton (surtout ouverture des balles, battage et cardage), un déclin accéléré du VEMS est observé, lié à l’inhalation de fibres de coton, voire d’endotoxines, principalement en cas d’exposition prolongée.

Bâtiment et travaux publics

Ce secteur est l’un de ceux où le nombre de cas de BPCO s’avère le plus élevé ; semblent particulièrement à risque les asphalteurs (exposition aux fumées de bitume, aux gaz d’échappement des moteurs diesels) et les tunneliers ; le niveau d’expo- sition aux poussières respirables et à la silice paraît fondamental.

Autres secteurs industriels

Sont également pourvoyeuses de BPCO professionnelles l’industrie des matières plastiques (isocyanates ?), la fabrication de caoutchouc, l’industrie de la céramique (faïence, poterie, verre, production de fibres céramiques), l’industrie du bois et de la pâte à papier, les cimenteries, etc.

En milieu agricole10

Les preuves d’un déclin accéléré du VEMS et de la CVF sont acquises :
– chez les ouvriers des silos à grains (à un degré moindre les dockers et les employés de meunerie) ; ce déclin est corrélé à l’exposition cumulée aux poussières de céréales avec présence d’endotoxines. Plus le VEMS varie entre le début et la fin de poste, plus la rapidité du déclin du VEMS semble nette (intérêt de mesure du souffle pendant l’exposition professionnelle) ;
– chez les travailleurs de certaines zones de production laitière (par exemple chez les producteurs de lait du Doubs, avec un déclin du VEMS augmentant avec la durée d’exposition). On remarque que dans les fermes récentes modernes (meilleure ventilation des étables, séchage des fourrages), ce déclin est moins net que dans les fermes traditionnelles anciennes ;
– chez les éleveurs de porcs (prévalence élevée d’altérations de la fonction respiratoire avec déclin accéléré du VEMS), moins net en milieu d’élevage de volailles. Les anomalies sont corrélées à la concentration particulaire et à la durée d’exposition ;
– récemment, une équipe11 a rapporté des troubles ventilatoires obstructifs fixés chez des patients professionnellement exposés aux pesticides (risque relatif : 1,74 ; intervalle de confiance à 95 % : 1,00-3,07).

La BPCO professionnelle est-elle différente de la BPCO post-tabagique ?12

Les BPCO professionnelles sont associées à un excès de symptômes et à un déclin accéléré de la fonction respiratoire, qui reste néanmoins de plus faible magnitude que celle de la BPCO post-tabagique. En cas de tabagisme associé, il existe un effet additif entre l’exposition professionnelle et le tabagisme. La physiopathologie des BPCO professionnelles reste mal connue bien que des mécanismes immuno-allergiques aient été suggérés. Les allergies semblent plus fréquentes chez les patients atteints d’une telle BPCO, après exposition antérieure à des vapeurs, gaz, poussières et/ou fumées. Seules des études de cohorte prospectives en milieu agricole visant à caractériser cette « autre BPCO » devraient permettre de répondre à cette question.13

Un diagnostic qui peut, dans certains cas, déboucher sur une reconnaissance et une réparation14

Bien détaillées dans plusieurs revues générales,5 les modalités de reconnaissance et les processus de réparation en maladie professionnelle ne seront qu’esquissés ici. En fonction de son régime de cotisation, le patient pourra bénéficier d’une indemnisation financière sous la forme d’une rente à vie dans le cas des BPCO, ou d’une prise en charge à 100 % des soins impactés à la bran- che « accidents du travail et maladies professionnelles » ou d’indemnités journalières majorées en cas d’arrêt de travail pour maladie professionnelle et sans délai de carence.
Pour le régime général de la Sécurité sociale (RGSS), les maladies professionnelles indemnisables peuvent être réparées selon deux modes : le système des tableaux de maladies professionnelles ou le système complémentaire de réparation des maladies professionnelles. La maladie peut être reconnue comme maladie professionnelle si elle figure sur l’un des tableaux annexés au code de la Sécurité sociale (tableau 2).
Pour chaque maladie professionnelle, le tableau comprend trois colonnes : une désignation précise de la maladie, un délai de prise en charge (délai maximal entre la fin de l’exposition au risque et la première constatation médicale de la pathologie) et une liste limitative ou indicative des travaux susceptibles de provoquer l’affection. L’obtention de la reconnaissance en maladie professionnelle résulte d’une double enquête (v. figure), administrative et médicale, visant à confirmer, d’une part, l’exposition à la nuisance, et d’autre part, le diagnostic. Il existe également un système « complémentaire » de réparation des maladies professionnelles, fondé sur un système de preuves nécessitant un lien direct et essentiel entre la nuisance professionnelle incriminée et la pathologie. Son appréciation revient au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) dont l’avis s’impose aux caisses. Tous les détails sont accessibles dans le code de la Sécurité sociale.15
C’est au patient qu’il appartient d’effectuer la démarche de déclaration de maladie professionnelle auprès de son organisme de protection sociale versant les prestations, accompagnée d’un certificat médical initial rédigé par son médecin traitant (généraliste ou spécialiste) ou son médecin du travail, sur papier libre ou sur l’imprimé CERFA S6909 disponible en ligne.16 Le patient doit fournir un relevé de carrière détaillé, des certificats de travail, des attestations d’exposition voire des témoignages d’anciens collègues, et tout autre document mentionnant clairement les activités professionnelles exercées. Actuellement, le nombre de cas de BPCO professionnelles indemnisés par le régime général de la Sécurité sociale, le régime agricole et le régime minier est dramatiquement faible, avec moins d’une cinquantaine de cas reconnus au cours des 10 dernières années.17

Prévention des BPCO professionnelles

La prévention repose sur la réduction ou la suppression des pollutions de l’environnement professionnel. Tant en secteur industriel qu’en milieu agricole, l’existence d’une relation dose-réponse pour le développement des BPCO a été démontrée : donc la diminution des concentrations de particules minérales ou organiques (modifications des procédés de travail ou/et équipements de protection individuels ou collectifs, modernisation des exploitations agricoles) est susceptible de diminuer l’incidence de la BPCO chez les travailleurs exposés. Ils doivent bénéficier d’une surveillance régulière (recherche de symptômes respi- ratoires, spirométries répétées), nécessaire pour dépister une BPCO débutante
Si le tabagisme reste le principal facteur responsable de BPCO, cette affection est également retrouvée chez les non-fumeurs.18 Le rôle des facteurs professionnels est maintenant démontré ; la relation dose-effet entre le niveau d’exposition mesuré ou évalué et l’intensité du trouble ventilatoire obstructif est fréquemment observée.
Le rôle des facteurs professionnels doit être systématiquement recherché en reconstituant les postes de travail du patient (curriculum laboris).
En 2008, on estimait que le nombre de BPCO d’origine professionnelle en France allait de 51 000 à 76 500, alors que seuls quelques dizaines de cas étaient reconnus en maladie professionnelle dans le cadre du régime général de la Sécurité sociale.5 Les professionnels de santé doivent donc rechercher systématiquement une origine professionnelle, en cas de nouveau diagnostic de BPCO, malgré l’existence d’un tabagisme. L’enjeu est important, non seulement pour les patients qui peuvent espérer une réparation des préjudices subis avec une indemnisation financière mais également pour la collectivité, entre autres par l’amélioration des conditions de travail qui en décou- lera. La mise en place de mesures visant à faciliter un diagnostic précoce (spirométrie) ainsi que des campagnes d’éducation et de prévention de cette pathologie en milieu professionnel, accompagnées d’un programme de sevrage tabagique,19 doivent devenir une priorité.
Références
1. Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease. Global strategy for the diagnosis, management and prevention of COPD. GOLD, 2017. http://goldcopd.org.
2. Balmes JR. Occupational contribution to the burden of chronic obstructive pulmonary disease. J Occup Environ Med 2005;47:154-60.
3. Dalphin JC. Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) d’origine professionnelle. Rev Mal Respir 2001;18(6 Pt 1):581-3.
4. Alif SM, Dharmage SC, Bowatte G, et al Occupational exposure and risk of chronic obstructive pulmonary disease: a systematic review and meta-analysis. Expert Rev Respir Med 2016;10:861-72.
5. Andujar P, Dalphin JC. Bronchopneumopathies chroniques obstructives professionnelles. Aspects médicolégaux, conduite à tenir en pratique. Rev Mal Respir 2016;33:91-101.
6. Omland Ø, Würtz ET, Aasen TB, et al Occupational chronic obstructive pulmonary disease: a systematic literature review. Scand J Work Environ Health 2014;40:19-35.
7. Ameille J, Dalphin JC, Descatha A, et al La bronchopneumopathie chronique obstructive professionnelle : une maladie méconnue. Rev Mal Respir 2006;23:13S119-30.
8. Balmes J, Becklake M, Blanc P, et al. American Thoracic Society statement: Occupational contribution to the burden of airway disease. Am J Respir Crit Care Med 2003;167:787-97.
9. Wurtz ET, Schlunssen V, Malling TH, et al. Occupational COPD among Danish never-smokers: a population-based study. Occup Environ Med 2015;72:456-9.
10. Guillien A, Puyraveau M, Soumagne T, et al. Prevalence and risk factors for COPD in farmers: a cross-sectional controlled study. Eur Respir J 2016;47:95-103.
11. Alif SM, Dharmage SC, Benke G, et al. Occupational exposure to pesticides are associated with fixed airflow obstruction in middle-age. Thorax 2017;72:990-7.
12. Soumagne T, Caillaud D, Degano B, et al. BPCO professionnelles et BPCO post-tabagique : similarités et différences. Rev Mal Respir 2017;34:607-17.
13. Degano B, Bouhaddi M, Laplante JJ, et al. BPCO des producteurs laitiers : dépistage, caractérisation et constitution d’une cohorte. Étude BALISTIC. Rev Mal Respir 2012;29:1149-56.
14. Andujar P. BPCO d’origine professionnelle. La reconnaissance en maladie professionnelle est encore difficile à obtenir. Rev Prat Med Gen 2017;31:473-4.
15. Code de la Sécurité sociale. Alinéas 3 et 4 de l’article L. 461-1.http://www.legifrance.gouv.fr/. Texte en vigueur au 1er juin 2015.
16. Imprimé CERFA. Certificat médical initial. https://www.ameli.fr/sites/default/files/formualires/118/s6909.pdf
17. CNAM-TS. Statistiques nationales des accidents du travail, des accidents du trajet et des maladies professionnelles, 2012 http://www.risquesprofessionnels.ameli.fr/.
18. Salvi SS, Barnes PJ. Chronic obstructive pulmonary disease in non-smokers. Lancet 2009;374:733-43.
19. Underner M, Perriot J, Peiffer G. Sevrage tabagique du fumeur atteint de bronchopneumopathie chronique obstructive. Rev Mal Respir 2014;31:937-60.

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Résumé

Mal connues, les causes professionnelles des bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO) sont encore peu enseignées et mal recherchées, bien qu’à l'origine de 15 à 20 % des BPCO. Le clinicien doit bien les connaître et donc les rechercher systématiquement devant tout cas nouvellement diagnostiqué. Un interrogatoire professionnel complet et rigoureux permet de retracer toute la carrière professionnelle, même lorsqu’il existe une intoxication tabagique avérée. Les principales expositions en milieu industriel et en secteur agricole sont décrites. La reconnaissance des BPCO en maladie professionnelle n’est possible en France que depuis quelques années, de façon encore très limitative. La prévention des BPCO d’origine professionnelle (réduction ou suppression des pollutions de l’environnement du travail) est susceptible de diminuer l’incidence de cette pathologie chez les travailleurs exposés. Ils doivent bénéficier d’une surveillance régulière nécessaire pour dépister une BPCO débutante (spirométrie).