Quelles sont les objectifs d’une campagne de vaccination et comment les évaluer ?
Il y a deux types de campagnes de vaccination contre une maladie virale.
Une première stratégie vise à rechercher une immunité collective. Dans le cas de la variole, la poliomyélite, la rougeole, l’objectif est d’éradiquer la maladie (critère de jugement principal), ou d’obtenir une progression de l’élimination (critère intermédiaire) puis l’éradication. La variole a disparu grâce à la vaccination. Quant à la poliomyélite, on est passé de 125 pays touchés dans les années 1980 à 2 aujourd’hui. Ce type d’approche, qui nécessite donc plusieurs années, repose sur le fait que toute la population soit vaccinable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui pour les vaccins contre la Covid car les moins de 16 ou 18 ans (selon les vaccins) ne peuvent pas être vaccinés. Le critère de jugement ne peut être ni l’élimination ni l’éradication du SARS-CoV-2.
Une deuxième stratégie consiste à protéger les personnes à risque. C’est celle qu’on applique, par exemple, contre la grippe saisonnière. L’objectif n’a jamais été d’éradiquer la grippe ou d’empêcher les vagues épidémiques, bien que le vaccin soit acceptable pour l’enfant. Seule exception, le contexte actuel (mais il s’agit d’un « effet secondaire » désirable) : grâce aux mesures de confinement, aux gestes barrières, le virus n’a pas pu se propager pour la première fois dans l’histoire, dans l’hémisphère sud pendant la période hivernale et maintenant chez nous, au moins pour le moment…
Dans cette campagne contre la Covid, l’objectif est de protéger les personnes les plus à risque, avec, dans un 2e temps, l’extension de la vaccination à toutes les personnes qui peuvent en bénéficier.
Comment mesurer l’efficacité de cette campagne ?
Les deux critères les plus pertinents pour juger de l’efficacité seront la diminution (attendue à terme) des hospitalisations par complications et la baisse du nombre de décès par Covid. La mesure de la couverture vaccinale (nombre de doses délivrées) peut également être un « critère de substitution ».
Dans quels délais peut-on espérer obtenir ces objectifs ?
En Israël, qui a fait une campagne très active et a déjà vacciné 70 % des personnes à risque, on espère, en mars, observer une mortalité par Covid presque nulle ! Cela n’est pas encore valable pour les États où ce taux de vaccination n’est pas atteint… Nous observons avec grand intérêt ce pays, d’autant plus qu’il est sujet en ce moment à une très forte vague de l’épidémie hivernale. Les effets observés devraient donc être transposables.
Dans l’organisation de la campagne vaccinale en France, ne sommes-nous pas en train de reproduire les mêmes erreurs que pendant la campagne contre la grippe A ?
La campagne de 2009 a été conçue dans un contexte particulier : on redoutait que le virus H1N1 soit très mortifère et contagieux, et on pouvait avoir à disposition le vaccin au bon moment, dès l’automne. L’objectif était de vacciner toute la population très rapidement. Le gouvernement a décidé d’organiser une campagne très centralisée, presque « jacobine », pour éviter un afflux massif dans les cabinets des médecins généralistes, qui aurait été ingérable dans la période hivernale. Ensuite, les Français n’ont pas voulu se faire vacciner, car le virus s’est montré – déjà au cours de l’automne – moins dangereux que prévu : les personnes âgées se sont révélées finalement moins à risque de complications, et si un sur-risque a été noté chez les jeunes, cela n’a pas semé la terreur dans la population comme pour la Covid. Paradoxalement, une bonne nouvelle (virus moins dangereux que suspecté) s’est transformée en un fiasco ! A posteriori, donc, les généralistes auraient pu absorber les 10 % des Français qui ont été vaccinés, mais ce n’est pas du tout ce qui était prévu. On peut donc tirer cette leçon : un plan très (trop ?) planifié à l’avance empêche les pouvoirs publics de revenir vers un système plus flexible...
N’est-ce pas le cas en ce moment ?
Initialement, cette campagne contre la Covid a été conçue pour être ultrapériphérique, centrée sur les médecins de ville et les pharmacies d’officine, avec l’objectif de vacciner progressivement les personnes à risque. Mais depuis début janvier, avec une certaine agilité, les pouvoirs publiques ont changé de stratégie, en organisant 800 centres de vaccination, pour augmenter rapidement la cadence des injections et le périmètre des personnes à vacciner, à la demande de la population. Aujourd’hui, le défi est de résoudre les difficultés d’approvisionnement et logistiques pour que les centres puissent bénéficier du nombre de doses qu’ils réclament. Une campagne centralisée a donc aujourd’hui toute sa place, d’autant plus que le vaccin à disposition n’est pas simple d’emploi comme le vaccin contre la grippe (multidose, chaîne du froid très exigeante).
Et au niveau européen, sommes-nous mieux organisés ?
À la différence de ce qui s’est passé en 2009, pour éviter une concurrence entre les différents États européens, la Commission européenne a eu un mandat pour négocier les doses avec un prix intéressant pour tous les membres (attribuées au prorata de la population). Des commandes ultérieures ont été passées début janvier. Le problème, c’est que les laboratoires producteurs ne sont pas en mesure d’approvisionner les doses en nombre suffisant et de répondre rapidement à la demande mondiale actuelle.
Et les généralistes, ne sont-ils pas encore oubliés ?
Les généralistes devraient être impliqués le plus possible, car ils ont la confiance des Français, ils connaissent leurs patients à risque et peuvent se déplacer éventuellement à leur domicile pour les vacciner. Lorsqu’on disposera de doses suffisantes, et de vaccins dont la chaîne du froid est moins contraignante (Moderna, AstraZeneca), ils pourront probablement vacciner les patients au cabinet, ce qui serait un complément important à l’action des centres de vaccination.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien