Actuellement, la prise en charge optimale des tumeurs de vessie infiltrant le muscle (TVIM) associe une chimiothérapie néo-adjuvante et la réalisation ultérieure d’une cystectomie. Sous réserve que certaines conditions soient remplies, il apparaît possible d’éviter ce geste chirurgical mutilant.

Chimiothérapie et chirurgie : l’association de référence

Chirurgie seule : un patient guéri sur deux 

L’ablation de la vessie est le traitement local de référence depuis plusieurs décennies. La procédure chirurgicale consiste en une prostato-cystectomie chez l’homme ou en une pelvectomie anté­rieure chez la femme, associée à un curage ganglionnaire pelvien étendu. Tous stades confondus, elle ne permet à elle seule la guérison que pour environ un patient sur deux. 

La chimiothérapie néo-adjuvante apporte un net gain de survie

Qualifiée de chimiothérapie néo-­adjuvante (CNA), elle est en effet décidée de principe avant la réalisation de la cystec­tomie, alors que la chirurgie serait d’emblée possible.

Les objectifs théoriques d’une CNA en cancérologie sont d’une part de diminuer le volume de la tumeur primitive, et donc de réduire éventuellement l’étendue de l’exérèse chirurgicale, d’autre part d’augmenter la survie des patients en détruisant les micrométastases ganglionnaires et/ou hématogènes présentes lors du diag­nostic de la maladie. 

Dans le cadre des TVIM, le bénéfice de la CNA a jusqu’à présent été démontré pour la survie, avec une réduction du risque de décès d’environ 20 %, soit un gain de survie absolu de 5 % à dix ans.1,2 

Le protocole de chimiothérapie de référence associe le méthotrexate, la vinblastine, la doxorubicine et le cisplatine (protocole MVAC).3 L’utilisation impérative du cisplatine impose que plusieurs conditions soient remplies : un état général conservé, une fonction rénale (clairance estimée supérieure à 50 mL/min) et une fonction cardiaque (fraction d’éjection ventriculaire gauche supérieure ou égale à 50 %) satisfaisantes, ainsi que l’absence de neuropathie périphérique et d’hypo­acousie sévères. Ainsi, les patients ne pouvant pas recevoir de chimiothérapie à base de cisplatine ne sont pas éligibles à une CNA et sont donc opérés d’emblée. 

 Arguments pour la conservation vésicale

 Une chirurgie importante

Malgré les progrès accomplis au cours des dernières années dans les procédures chirurgicales et les mesures de réhabilitation préopératoire, la cystectomie demeure une intervention importante. Elle est source de complications à court terme, et implique surtout un nouveau mode de drainage des urines, par entérocystoplastie (remplacement de la vessie par un réservoir confectionné à partir d’un fragment d’intestin) ou dérivation cutanée (stomie de type Bricker).

Les enquêtes menées à long terme font état d’un niveau de satisfaction élevé quelle que soit la technique utilisée ; il n’en reste pas moins que la qualité de vie après cystectomie est nettement altérée. 

Mais au-delà du souhait théorique, deux arguments principaux permettent d’évoquer en pratique la possibilité d’une conservation vésicale chez certains patients.

Des réponses pathologiques complètes dans près de la moitié des cas après CNA

L’absence de cellules résiduelles tumorales sur la pièce de cystectomie (vessie et ganglions) après CNA est observée chez environ 40 % des patients.4 Elle témoigne de l’efficacité de la CNA et laisse planer un doute sur l’intérêt d’avoir dû réaliser l’ablation de la vessie.

Traitement trimodal : gain de survie identique à la cystectomie ?

Il correspond à un traitement local alternatif à la cystectomie et associe résection vésicale, radiothérapie (vésicale et ganglionnaire pelvienne) et chimio­thérapie radiosensibilisante. Cette approche thérapeutique a été développée initialement pour des patients ne pouvant pas ou ne souhaitant pas être opérés. 

Pour une efficacité optimale, ce protocole nécessite les conditions suivantes : un volume tumoral minimal ainsi que l’absence d’hydronéphrose et de carcinome in situ étendu. 

La dose délivrée est de 60 Gy sur la vessie et de 45 Gy sur les aires ganglionnaires pelviennes. La chimiothérapie associée comporte le cisplatine seul ou une association de 5 -fluoro-uracile (5 -FU) et de mitomycine C, qui peut être utilisée en cas de contre-indication au cisplatine.5,6 Son objectif est d’augmenter l’efficacité de la radiothérapie, d’où le qualificatif de radiosensibilisante ; mais ses modalités ne permettant pas d’avoir une action satisfaisante sur la maladie micrométastatique, elle n’a pas le même rôle que la CNA. 

Bien qu’il n’existe pas d’étude randomisée versus cystectomie, la survie des patients traités par ce traitement trimodal ne semble pas différente de celle des patients opérés.7,8 

Une surveillance régulière de la vessie est impérative au décours de ce protocole dans la mesure où une récidive de la maladie urothéliale sur un mode infiltrant ou non infiltrant survient chez un patient sur deux, et nécessite alors des instillations endovésicales ou une cystectomie.       

Un traitement local adapté à l’efficacité de la chimiothérapie

La convergence de ces éléments permet ainsi d’envisager une prise en charge thérapeutique comportant successi­vement une CNA, une réévaluation cysto­scopique avec résection du site tumoral initial et une chimioradiothérapie chez les patients pour lesquels le bilan vésical ne retrouve pas de cellules tumorales (figure).

Il s’agit donc d’adapter le type de traitement local en fonction de la réponse à la chimiothérapie, la cystectomie demeurant impérative en cas de mauvaise réponse (persistance de cellules tumorales) à la CNA. 

Arguments contre la conservation vésicale

Ils sont la conséquence de la préservation de l’organe. En l’absence de pièce opératoire, l’analyse anatomopathologique de la vessie et du curage ganglionnaire associé ne peut être réalisée. Des éléments pronostiques tels que le stade tumoral et l’envahissement ganglionnaire demeurent donc inconnus.

De plus, d’éventuelles cellules tumorales microscopiques, non détectées par l’analyse anatomopathologique, sont susceptibles d’être laissées en place. 

Enfin, la conservation de la vessie expose, comme déjà évoqué, à des récidives locales et impose donc une surveil­lance très régulière – biannuelle – de l’organe.  

 En pratique : une préservation vésicale sous conditions 

À la question « La cystectomie dans la prise en charge d’une TVIM peut-elle être évitée ? », la réponse est oui… sous réserve que plusieurs conditions soient réunies afin de proposer cette approche sans prise de risque vis-à-vis du contrôle local et général de la maladie : 

  • résection tumorale initiale la plus complète possible ;
  • terrain permettant une CNA à base de cisplatine ;
  • réévaluation vésicale ne retrouvant pas de cellules tumorales ;
  • adhésion à une surveillance vésicale régulière au décours de la chimioradiothérapie.
 

Cette approche de conservation vésicale n’a cependant pas un niveau de preuve aussi élevé que la classique association de CNA et cystectomie ; elle ne peut donc être envisagée que pour des patients sélectionnés par des équipes pluri­disciplinaires expérimentées et convaincues.  

Encadre

Que dire à vos patients ?

Les tumeurs de vessie infiltrant le muscle ont un fort potentiel métastatique.

Le traitement optimal comporte une chimiothérapie (pour détruire les micro-métastases) puis une cystectomie (pour enlever la tumeur primitive).

La conservation de la vessie peut être proposée sous réserve que certaines conditions soient réunies tout au long de la prise en charge.

Le traitement local repose alors sur une association de chimiothérapie et de radiothérapie.

Une surveillance très régulière de la vessie conservée est nécessaire.

Références
1. Grossman HB, Natale RB, Tangen CM, et al. Neoadjuvant chemotherapy plus cystectomy compared with cystectomy alone for locally advanced bladder cancer. N Engl J Med 2003;349(9):859-66. 
2. International collaboration of trialists. International phase III trial assessing neoadjuvant cisplatin, methotrexate, and vinblastine chemotherapy for muscle-invasive bladder cancer: long-term results of the BA06 30894 trial. J Clin Oncol 2011;29(16):2171-7.
3. Pfister C, Gravis G, Fléchon A, et al. Dose-dense methotrexate, vinblastine, doxorubicin, and cisplatin or gemcitabine and cisplatin as perioperative chemotherapy for patients with nonmetastatic muscle-invasive bladder cancer: results of the GETUG-AFU V05 VESPER trial. J Clin Oncol 2022;40(18):2013-22.
4. Pfister C, Gravis G, Fléchon A, et al. Randomized phase III trial of dose-dense methotrexate, vinblastine, doxorubicin, and cisplatin, or gemcitabine and cisplatin as perioperative chemotherapy for patients with muscle-invasive bladder cancer. Analysis of the GETUG/AFU V05 VESPER trial secondary endpoints: chemotherapy toxicity and pathological responses. Eur Urol 2021;79(2):214-21.
5. Coppin CM, Gospodarowicz MK, James K, et al. Improved local control of invasive bladder cancer by concurrent cisplatin and preoperative or definitive radiation. The National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. J Clin Oncol 1996;14(11):2901-7.
6. Hall E, Hussain SA, Porta N, et al. Chemoradiotherapy in muscle-invasive bladder cancer: 10-yr follow-up of the phase 3 randomised controlled BC2001 trial. Eur Urol 2022;82(3):273-9.
7. Kulkarni GS, Hermanns T, Wei Y, et al. Propensity score analysis of radical cystectomy versus bladder-sparing trimodal therapy in the setting of a multidisciplinary bladder cancer clinic. J Clin Oncol 2017;35(20):2299-305.
8. Fahmy O, Khairul-Asri MG, Schubert T, et al. A systematic review and meta-analysis on the oncological long-term outcomes after trimodality therapy and radical cystectomy with or without neoadjuvant chemotherapy for muscle-invasive bladder cancer. Urol Oncol 2018;36(2):43-53.

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essentiel

Le traitement standard des tumeurs malignes de vessie infiltrant le muscle comporte une chimiothérapie à base de cisplatine puis une cystectomie.

Un traitement local alternatif à la cystectomie peut être proposé chez certains patients, sous réserve du respect de plusieurs conditions, afin de ne pas compromettre les chances de guérison.

La prise en charge comporte alors une chimiothérapie à base de cisplatine, puis une radiothérapie (vésicale et ganglionnaire pelvienne) associée à une chimiothérapie radiosensibilisante.