En 2023, en France, le cancer de l’œsophage a touché près de 5 500 personnes, avec une prédominance masculine, la tranche d’âge la plus concernée étant celle des 60 - 70 ans. Le nombre de décès est estimé à 3 725 sujets, avec une survie à cinq ans ne dépassant pas 20 %.1,2 

On distingue deux formes histologiques : le cancer épidermoïde et l’adénocarcinome. Le facteur de risque de cancer épidermoïde est la consommation chronique d’alcool et/ou de tabac ; l’adénocarcinome se développe, quant à lui, surtout sur une muqueuse métaplasique de type glandulaire (endobrachyœsophage) dans un contexte de reflux gastro-œsophagien chronique, de surpoids et de tabagisme.  

En France comme partout en Occident, on observe une augmentation de l’incidence des adénocarcinomes, encore que celle-ci ne soit que relative, puisque s’inscrivant dans un contexte de diminution de l’incidence de l’ensemble des cancers de l’œsophage au fil du temps.2 

Poser le diagnostic

Le cancer de l’œsophage a pour premier symptôme une dysphagie. Dès le diagnostic évoqué, il s’agit de l’affirmer, de préciser la nature et l’extension de la tumeur, et de réaliser son analyse moléculaire.

Signes cliniques inauguraux : la dysphagie surtout

La dysphagie est le symptôme inaugural le plus fréquent. De façon inconstante peuvent s’y associer une perte de poids et/ou une hémorragie digestive. L’examen clinique permet de collecter des éléments influençant la prise en charge, tels que l’état nutritionnel (poids, indice de masse corporelle, pourcentage de perte de poids durant les derniers mois), la présence de comorbidités et la recherche d’adénopathies régionales témoignant d’une extension de la maladie.

Affirmer le diagnostic et orienter la prise en charge

La réalisation d’une endoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies est impérative : six prélèvements au minimum sont nécessaires pour affirmer le diagnostic et permettre une analyse pathologique et moléculaire. Elle permet de voir la tumeur, de mesurer sa distance par rapport aux arcades dentaires et à la jonction œsogastrique et de préciser le degré d’extension circonférentielle. L’existence d’un endobrachyœsophage est notifiée, de même que sa hauteur par rapport à la jonction œsogastrique.

La réalisation d’un scanner thoraco-abdomino-pelvien avec injection de produit de contraste iodé contribue à la stadification du cancer : mesure du diamètre tumoral transversal et recherche d’adénopathies et/ou de métastases. D’éventuels contacts avec les structures médiastinales sont aussi recherchés.

L’échoendoscopie œsophagienne est utile pour évaluer la possibilité de résection endoscopique d’une lésion superficielle et/ou pour biopsier des adénopathies suspectes pouvant amener à modifier la stratégie thérapeutique.

Le TEP-scan peut compléter le bilan, à la recherche de métastases, en particulier chez des patients candidats à un traitement local. 

Un examen ORL et une fibroscopie bronchique recherchent d’éventuels cancers associés, notamment chez les fumeurs et les porteurs de cancers épidermoïdes. 

Pour les grosses tumeurs de la jonction œsogastrique ou du bas œsophage, les tumeurs peu différenciées ou à cellules isolées, une laparoscopie exploratrice est recommandée afin d’éliminer une atteinte péritonéale. 

Le scanner, et parfois l’endoscopie en cas de tumeur non franchissable au diagnostic, sont renouvelés après le traitement préopératoire afin d’évaluer la réponse tumorale avant de s’engager vers la chirurgie si celle-ci avait été planifiée (tableau 1).3 

Analyse moléculaire pour personnaliser le traitement

Ces dernières années, l’analyse des caractéristiques moléculaires des cancers de l’œsophage a pris de l’importance, en particulier dans les formes avancées (tableau 2). L’étude immunohistochimique (IHC) de PD-L1 (programmed cell death ligand  1) permet de sélectionner les cas pour lesquels l’immunothérapie peut être combinée à la chimiothérapie. PD-L1 est exprimé selon le score CPS (combined positive score, expression de PD-L1 sur les cellules tumorales et les cellules immunes du microenvironnement tumoral) et/ou selon le score TPS (tumor proportion score, pourcentage de cellules tumorales exprimant PD-L1). Pour les adénocarcinomes de l’œsophage ou de la jonction œsogastrique avancés, on recherche une surexpression d’HER 2 (human epidermal growth factor receptor 2) par IHC ainsi que le statut micro-satellitaire tumoral (étude des quatre protéines du système de reconnaissance et de réparation des mésappariements de l’ADN, ou protéines MMR), avant la mise en œuvre de tout traitement systémique.3

Prise en charge des cancers localisés

Le traitement des formes localisées repose sur la chirurgie si l’état général du patient et ses comorbidités le permettent.3 

Geste différent selon la localisation

Pour les tumeurs des tiers moyen et inférieur et celles de la jonction œsogastrique dont l’épicentre tumoral est situé moins de 2 cm au-dessus du cardia anatomique, une œsophagectomie transthoracique subtotale avec curage ganglionnaire deux champs (médiastinal et abdominal) est préconisée.

Pour les tumeurs de la jonction œsogastrique dont l’épicentre tumoral est situé moins de 2 cm au-dessous du cardia anatomique, la chirurgie peut reposer soit sur une œsophagectomie transthoracique subtotale, soit sur une gastrectomie totale élargie à l’œsophage par voie abdominale.

Réduire le risque de complications postopératoires

Ces interventions sont émaillées de 60 % de complications, avec une mortalité opératoire ne dépassant pas 5 % dans les centres experts. La réduction du risque de complications et/ou de décès post-opératoires passe par la sélection des patients en fonction de leurs comorbidités et par l’organisation d’une préhabilitation intégrant une prise en charge nutritionnelle et respiratoire. Un abord abdominal par cœlioscopie permet une réduction des complications post-opératoires, notamment pulmonaires. L’adressage des patients vers une structure multi-disciplinaire expérimentée, à haut volume de prise en charge de ces cancers, réduit le risque de morbimortalité et de récidive.

Traitements néoadjuvants pour les tumeurs volumineuses

Pour les tumeurs les plus volumineuses et/ou celles avec adénopathies visibles au scanner, un traitement préopératoire associant radiothérapie et chimiothérapie est proposé. La principale complication de la radiothérapie est l’œsophagite (susceptible d’aggraver temporairement la dysphagie et l’amaigrissement subséquent), alors que les complications de la chimiothérapie dépendent du protocole choisi (asthénie, alopécie et neutropénie avec l’association carboplatine + paclitaxel ; acroparesthésies, mucite, nausées et neutrothrombopénie avec l’association sel de platine + fluoropyrimidine).

Pour les adénocarcinomes de la jonction œsogastrique, on peut aussi bien encadrer la chirurgie par une chimiothérapie seule, associant 5 -fluorouracile, docétaxel et oxaliplatine, pour un bénéfice similaire à celui obtenu avec la radio-chimiothérapie préopératoire ; on parle alors de chimiothérapie périopératoire. 

Immunothérapie adjuvante en cas de persistance de tissu tumoral au sein de la pièce opératoire 

Si du tissu tumoral persiste au sein de la pièce opératoire, il est désormais recommandé d’administrer une immunothérapie (nivolumab) adjuvante pendant un an chez les patients ayant été traités par radio--chimiothérapie préopératoire, afin de réduire le risque de rechute ou de décès. Les principaux événements indésirables en lien avec ce traitement sont la possible survenue d’une asthénie, d’un prurit, d’un rash, ou d’une diarrhée dans moins de 20 % des cas. Les effets indésirables sévères sont exceptionnels.

Cas des tumeurs non opérables

Une autre option de traitement des cancers de l’œsophage localisés repose sur la radio-chimiothérapie concomitante exclusive pour les tumeurs non résécables, les patients non opérables du fait de leurs comorbidités ou les patients opérables qui refuseraient la chirurgie. Cette stratégie permet une préservation d’organe si la réponse clinique est complète. En cas de persistance tumorale après traitement, la question d’une chirurgie dite « de rattrapage » doit être, en revanche, posée.

Rares indications pour la résection endoscopique 

Une résection endoscopique des rares tumeurs superficielles, dont l’extension en profondeur n’atteint pas la sous-muqueuse profonde, peut être discutée dans les centres spécialisés dans cette pratique thérapeutique.

Prise en charge des cancers métastatiques : l’immunothérapie améliore le pronostic

Le traitement de première ligne des cancers de l’œsophage métastatiques repose sur la chimiothérapie associant fluoropyrimidine et sel de platine chez des patients en bon état général. Son bénéfice est toutefois limité.

Depuis peu, l’usage d’inhibiteurs de points de contrôle de l’immunité anti-PD1 comme le nivolumab ou le pembrolizumab permet, en association avec la chimiothérapie, d’accroître significativement le taux et la durée de réponse, la survie sans progression et la survie globale (médiane de survie de douze à dix-sept mois) des patients éligibles à ce traitement. 

L’éligibilité à l’immunothérapie dépend du niveau d’expression IHC de PDL- 1, appréciée par les scores d’expression CPS ou TPS, dont le choix en clinique dépend à la fois de la localisation du cancer, de son histologie et de la molécule que l’on compte utiliser (tableau 3). 

L’utilisation de l’immunothérapie (en association avec la chimiothérapie) est à l’origine d’effets indésirables immunomédiés (asthénie, diarrhée, prurit, rash), souvent de faible intensité, en sus des effets indésirables de la chimiothérapie.3 Le caractère polymorphe des complications de l’immunothérapie incite à la vigilance et à suspecter une origine auto-immune devant tout nouveau symptôme.4 

Environ 15 % des adénocarcinomes de l’œsophage ou de la jonction œsogastrique métastatiques surexpriment l’oncoprotéine HER2. L’usage du trastuzumab (anti-HER2) en combinaison avec une chimiothérapie associant une fluoropyrimidine à un sel de platine est alors recommandé. Les principaux effets indésirables du trastuzumab sont la survenue de manifestations d’hypersensibilité (fièvre, frissons, prurit, asthénie, chute tensionnelle) lors de la perfusion mais aussi d’arthromyalgies. D’autres effets indésirables sont possibles, tels qu’un syndrome pseudo-grippal, des troubles du rythme cardiaque ou une insuffisance cardiaque. Une surveillance de la fraction d’éjection systolique est à prévoir tous les trois mois.3 

Traquer la dénutrition

Près de 60 % des patients atteints de cancers de l’œsophage sont dénutris. La diminution des ingesta du fait de la dysphagie en est la cause mais aussi l’hypercatabolisme induit par la tumeur, les séquelles de la chirurgie, l’œsophagite radio-induite ou les conséquences de la chimiothérapie (mucite, vomissements). La dénutrition a pour conséquences la diminution de l’efficacité des traitements, et donc de l’espérance de vie, ainsi que l’augmentation du risque de complications et du risque infectieux en lien avec les traitements.

Le diagnostic de la dénutrition est fondé sur l’étude de critères phénotypiques (pourcentage de perte pondérale, indice de masse corporelle, diminution de la masse et/ou de la force musculaires). L’évaluation de sa sévérité repose sur l’étude du pourcentage de perte pondérale, l’indice de masse corporelle et l’albuminémie.

Le diagnostic de dénutrition, sa correction et le suivi de la dynamique pondérale et des interventions correctrices sont consubstantiels de la prise en charge des cancers de l’œsophage. La structure hospitalière prescriptrice comme les réseaux de soins, les omnipraticiens et le patient lui-même en sont les principaux acteurs.5 

Suivi des patients : pas de consensus mais des évidences

Les modalités de surveillance des patients traités à visée curative sont mal définies, sans recommandations disponibles fondées sur de hauts niveaux de preuve. Son utilité est certaine chez les patients traités par résection endoscopique ou chimio-radiothérapie exclusive du fait d’un recours possible à une chirurgie de rattrapage en cas de rechute. Dans ces conditions, un suivi endoscopique avec biopsies systématiques et la réalisation d’un scanner sont recommandés (tableau 1), de même que le suivi nutritionnel. Un accompagnement au sevrage de l’alcool et du tabac est conseillé ; l’arrêt du tabac influence en effet positivement la tolérance aux traitements, le risque de complications postopératoires et le pronostic de la maladie. 

Pas de dépistage systématique pour le cancer de l’œsophage

L’intérêt du dépistage du cancer épidermoïde de l’œsophage n’a pas été démontré. En revanche, la détection précoce de cancers épidémiologiquement liés, tels que les cancers de la tête et du cou, des bronches et de la vessie, est à privilégier. La réalisation d’une endoscopie digestive haute avec biopsies est recommandée chez les patients traités médicalement et/ou par endoscopie pour un endobrachyœsophage (endoscopie annuelle si dysplasie, tous les trois ans en l’absence de dysplasie). 

Encadre

Que dire à vos patients ? 

Des informations destinées aux patients sont disponibles sur le site de l’INCa : http ://bit.ly/46Dre50 (« Guide des patients », INCa).

Références
1. Defossez G, Le Guyader‑Peyrou S, Uhry Z, et al. Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. Volume 1.– Tumeurs solides. Saint‑Maurice: Santé publique France, 2019. 372 p.
2. Lapotre-Ledoux B, Remontet L, Uhry Z, Dantony E, Grosclaude P, Molinie F, et al. Incidence des principaux cancers en France métropolitaine en 2023 et tendances depuis 1990. Bull Epidémiol Hebd 2023;(12-13):188-204.
3. Veziant J, Bouche O, Aparicio T, et al. French intergroup clinical practice guidelines for diagnosis, treatments and follow-up (TNCD, SNFGE, FFCD, GERCOR, Unicancer, SFCD, SFED, SFRO, ACHBT, SFP, RENAPE, SNFCP, AFEF, SFR). Dig Liver Dis 2023:S1590-8658(23)00767-3.
4. Champiat S, Michot JM, Lambotte O. Prise en charge des effets indésirables de l’immunothérapie des cancers. Rev Prat 2019;69(1):39-48.
5. Neuzillet C, Joly F, Anota A, et al. Nutrition et activité physique. Thésaurus national de cancérologie digestive. Novembre 2022.

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essentiel

En cas de suspicion diagnostique, le patient doit être adressé à un gastroentérologue pour la réalisation d’une endoscopie digestive.

Une fois le diagnostic établi, le patient est idéalement pris en charge par une équipe multidisciplinaire experte dans les cancers de l’œsophage.

Le médecin généraliste contribue à la prise en charge nutritionnelle à tous les stades de la maladie, en coordination avec les structures spécialisées.

Il aide également à la détection, au diagnostic et à la prise en charge symptomatique des effets indésirables de la chimiothérapie et de l’immunothérapie, en coordination avec l’oncologue médical.

Le médecin traitant est bien placé pour initier un sevrage tabagique et alcoolique.