Le cancer du poumon reste en France la première cause de mortalité par cancer, avec un taux de survie à 5 ans évalué à 17 % en 2018. La prise en charge a connu aux cours des 20 dernières années des évolutions majeures, aussi bien dans le diagnostic qu’en matière de chirurgie, de radiothérapie, dans le domaine des traitements systémiques, ou du dépistage, entraînant une diminution de la mortalité. Pour autant, l’espérance de vie d’un patient diagnostiqué d’un cancer du poumon aujourd’hui en France a-t-elle augmenté significativement par rapport à celle d’un patient ayant un cancer de même stade diagnostiqué il y a 20 ans ? Quel est l’impact du dépistage et des mesures antitabac ?
Des progrès thérapeutiques tous azimuts
Pour les cancers bronchiques non à petites cellules de stade précoce opérables, une étude de 2020 a estimé une amélioration de la survie postopératoire à 5 ans de 47 % en 1998 à 76 % en 2012,1 en lien avec les progrès chirurgicaux et de la radiothérapie (vidéochirurgie, robot chirurgical, radiothérapie stéréotaxique). L’enjeu des dernières années est de mettre au point des techniques permettant à la fois une résection oncologique complète et une diminution des risques per- et postopératoires (par exemple : segmentectomie pour des tumeurs de moins de 2 cm, périphériques, et sans extension ganglionnaire).2
Dans les formes avancées, deux révolutions ont marqué la prise en charge : les thérapies ciblées et l’immunothérapie. La première véritable avancée a été la description de mutations activatrices de l’EGFR dans 12 % des adénocarcinomes pulmonaires, qui peuvent être ciblées par des inhibiteurs oraux des tyrosine-kinases. Des molécules de 1re, 2e, puis de 3e génération se sont succédées, mieux supportées que les chimiothérapies, et ciblant des mutations de résistance. Ainsi, les anti-EGFR, puis les anti-ALK et anti-ROS1 de 3e génération permettent d’obtenir des survies globales de plus de 3 ans, et de nouvelles mutations sont devenues la cible d’inhibiteurs spécifiques (BRAF, c-MET, RET, NTRK1) ; ces dernières représentent 50 % des cancers des patients jamais fumeurs (10 % de la totalité des cancers bronchopulmonaires) ou des ex-petits fumeurs sevrés depuis plus de 10 ans.
Les indications des thérapies ciblées s’étendent maintenant aux stades localisés, en traitement néoadjuvant et adjuvant des stades opérables. ADAURA est le premier essai randomisé de phase III évaluant l’osimertinib (inhibiteur de tyrosine-kinase) contre placebo en traitement adjuvant chez 682 patients ayant eu une résection complète d’un adénocarcinome de stade IB, II ou IIIA, avec mutation de l’EGFR. Les patients ont été suivis durant 5 ans ou jusqu’à progression. Lors de l’analyse intermédiaire, le bénéfice espéré de survie sans maladie avait déjà dépassé les prévisions, avec une diminution du risque de progression ou de décès de 83 % chez les patients dont la tumeur était de stade II ou IIIA. Les résultats sur la survie globale ont été dévoilés au congrès de l’ASCO : à 5 ans, 88 % des patients sous traitement étaient en vie versus 78 % de ceux ayant pris le placebo. La prise de l’osimertinib a entraîné une réduction de 51 % du risque de décès. Ce bénéfice majeur pour les 10 à 15 % des patients opérés avec mutation activatrice pourrait avoir un retentissement significatif sur le pronostic global des cancers bronchiques.
La deuxième révolution thérapeutique a été l’immunothérapie, traitement ciblant non plus la cellule tumorale mais le système immunitaire de l’hôte, dans l’optique de restaurer une réponse lymphocytaire T cytotoxique spécifique de la tumeur. En 5 ans, elle est devenue le traitement de première ligne des tumeurs métastatiques sans altération oncogénique. Qu’il soit utilisé en monothérapie ou en association avec la chimiothérapie, le pembrolizumab (anti-PD-1) permet d’obtenir désormais des médianes de survie de 20 mois ou plus (tableau). Les progrès sont moins spectaculaires pour les cancers bronchiques à petites cellules métastatiques, l’association chimiothérapie + immunothérapie faisant passer la médiane de survie de 10 à 13 mois, mais avec, là encore, de très longs survivants.
Quel impact du dépistage ?
Dans ce domaine, deux larges essais randomisés, l’un nord-américain (NLST,3 50 000 sujets), l’autre européen (NELSON,4 15 000 sujets) ont démontré qu’un scanner à faible dose annuel, chez de grands fumeurs actifs ou anciens de 50 à 74 ans, permettait de détecter de nodules pulmonaires asymptomatiques, dont le traitement à visée curative (chirurgical ou radiothérapeutique, par stéréotaxie) permettait d’améliorer la survie des patients de façon très significative. Ces études indiquent en effet une diminution de la mortalité spécifique respectivement de 20 % (NLST) et de 25 % (NELSON).
Cependant, l’application en vie réelle se fait attendre. Aux États-Unis, le dépistage n’est proposé qu’à 12,5 % de la population qui en aurait les indications, et il n’est toujours pas remboursé en France même si un dépistage individuel opportuniste s’est largement répandu. L’impact est donc difficile à apprécier sur la survie globale des patients en France.
Quid des mesures antitabac ?
Globalement, malgré les progrès thérapeutiques, l’impact le plus fort sur la mortalité par cancer du poumon dans les populations occidentales a été obtenue grâce à la diminution nette du tabagisme, du fait des législations de plus en plus répressives, d’une dénormalisation sociétale et des prix de plus en plus élevés. Le rapport des National Institutes of Health (NIH)5 montre une diminution de l’incidence standardisée sur l’âge du cancer pulmonaire de - 2,6 % chez l’homme et - 1,1 % chez la femme chaque année entre 2006 et 2020. De fait, les progrès les plus spectaculaires en termes de mortalité par cancer bronchopulmonaire ont été observés dans les pays, souvent anglo-saxons, où cette action a été la plus efficace, avec une prévalence basse du tabagisme : de 14 % en Australie, 15 % aux États-Unis et 20 % en Grande-Bretagne.
La survie d’un patient avec cancer du poumon a-t-elle augmenté ?
Si on s’intéresse à l’espérance de vie d’un patient diagnostiqué d’un cancer pulmonaire, l’Institut national du cancer (INCa) rapportait déjà que la survie à 5 ans, tous stades (I à IV) et histologies confondus (CBNPC, CBPC), était passée de 1 % au début des années 2000 à 14 % en 2010, actant sans doute l’essor des thérapeutiques ciblées. En 2023, le site des NIH fait état d’une survie relative à 5 ans de 23 % pour les patients, tous stades et histologies confondus, diagnostiqués entre 2012 et 2018, traduisant possiblement l’impact des immunothérapies et du dépistage.
Une étude5 publiée dans le NEJM va dans le même sens : la mortalité par CBNPC, chez les hommes, a diminué de 3,2 % entre 2006 et 2013, puis de 6,3 % par an entre 2013 et 2016, alors que parallèlement l’incidence des CBNPC a décru de 3,1 % chaque année entre 2008 et 2016. Cette amélioration de la survie au cours de la période récente, plus importante et deux fois plus rapide que la baisse de l’incidence, suggère bien que ces progrès sont liés à l’amélioration globale des techniques diagnostiques et thérapeutiques observée pendant cette période. Les auteurs prédisent que l’avènement de l’immunothérapie depuis de 2015 sera à l’origine d’une amélioration comparable qui sera mesurable dans les prochaines années.
2. Saji H, Okada M, Tsuboi M, et al. Segmentectomy versus lobectomy in small-sized peripheral non-small-cell lung cancer (JCOG0802/ WJOG4607L): A multicentre, open-label, phase 3, randomised, controlled, non-inferiority trial. Lancet 2022;399(10335):1607-17
3. National Lung Screening Trial Research Team, Aberle DR, Adams AM, et al. Reduced lung-cancer mortality with low-dose computed tomographic screening. New Engl J Med 2011;365:395-409.
4. de Koning HJ, van der Aalst CM, de Jong PA, et al. Reduced lung-cancer mortality with volume CT screening in a randomized trial. N Engl J Med 2020;382:503-13.
5. Howlader N, Forjaz G, Mooradian MJ, et al. The effect of advances in lung-cancer treatment on population mortality. N Engl Med 2020;383:640-9.
Pour en savoir plus :
Mehdi L, Dupont M, Leriche P, et al. Traitement des cancers du poumon par les inhibiteurs du contrôle immunitaire. Rev Prat 2021;71(4);385-90.
Lamkhioued M, Pierret T. Nouveaux traitements et survie dans les cancers pulmonaires. Rev Prat 2023;73(1);7-11.
Nobile C. Entretien avec le Dr Bernard Milleron. Dépistage du cancer du poumon : il est temps ! Rev Prat (en ligne) 30 septembre 2021.