Le cancer du rein est une maladie insidieuse : si seulement 4 % des cancers diagnostiqués chaque année sont d’origine rénale, il reste le cancer urologique le plus mortel (5 000 décès par an en France). Avec 15 323 cas diagnostiqués en 2018 en France, son incidence croît depuis plus de trente ans. Une des principales raisons est l’amélioration des techniques d’imagerie de routine, qui dépistent ce cancer de façon plus large et plus précoce. Cependant, cela ne suffit pas à expliquer le nombre toujours plus élevé de tumeurs. Obésité, tabac, insuffisance rénale et hypertension artérielle, facteurs de risque en augmentation, pourraient également être en cause dans cette évolution. La mortalité est, quant à elle, restée stable en France durant cette période. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer pourquoi la mortalité n’a pas augmenté proportionnellement avec l’incidence : les dépistages fortuits sur des examens d’imagerie abdominale pour divers motifs favorisent une prise en charge plus précoce et diminuent les formes graves de la maladie, et de nouvelles thérapeutiques (antiangiogéniques, immunothérapie…) ont permis d’augmenter la survie des patients atteints de cancer du rein métastatique.
Les cancers du parenchyme rénal sont habituellement appelés carcinomes à cellules rénales (CCR). Il en existe une dizaine de types histologiques. Le carcinome rénal à cellules claires est de loin le type histologique le plus fréquent (70-80 %), suivi du carcinome papillaire de type 1 ou 2 (10-15 %), puis du carcinome chromophobe (3-5 %).
L’incidence du CCR risque de continuer de croître dans les années à venir. Une meilleure compréhension de ce cancer est ainsi nécessaire pour favoriser sa prévention et sa prise en charge optimale.

Mieux connaître les facteurs de risque

Plusieurs facteurs de risque sont associés au CCR. Leur retentissement sur la population et le bénéfice d’une prévention diffèrent selon leur caractère, modifiable ou non.

Facteurs non modifiables : sexe, âge, formes familiales

Le sexe et l’âge ont des conséquences significatives sur l’incidence du CCR. Il est plus fréquent chez l’homme (ratio homme/femme à 2,4). Exceptionnel avant 30 ans dans les deux sexes, son incidence augmente ensuite de façon exponentielle jusqu’à l’âge de 80 ans, où elle atteint 135,4 cas pour 100 000 personnes chez l’homme.1
Plus rarement, le CCR peut s’inscrire dans des formes familiales : ces syndromes héréditaires représentent environ 5 % des cas. Un CCR dans la famille, tous les CCR avant 50 ans et tous les autres sous-types histologiques quel que soit l’âge sont autant d’indices qui doivent faire évoquer une forme familiale et orienter vers une consultation d’oncogénétique. La découverte d’une mutation génétique permet d’organiser un suivi accru pour le patient ainsi que le dépistage de ses proches. Une dizaine de formes héréditaires du CCR sont actuellement recensées, la plus importante étant le syndrome de von Hippel-Lindau (VHL) qui concerne environ 200 familles en France.

Facteurs modifiables : revoir l’hygiène de vie

Les facteurs de risque modifiables doivent être connus, pour inciter à changer les comportements, surtout lorsque des facteurs non modifiables sont déjà présents.
 

Tabagisme

Le tabac compte parmi les facteurs de risque modifiables les plus importants du CCR. La fumée de cigarette contient de nombreuses substances cancérogènes filtrées à travers le néphron. Les particules favorisent l’inflammation et indui­sent des dommages sur l’ADN, ouvrant ­la voie à la cancérogenèse. Une vaste analyse rétrospective a révélé que les fumeurs avaient un risque de développer un CCR multiplié par 1,5 par rapport au reste de la population.2 Ce risque est proportionnel à la fréquence de consommation et peut atteindre 2,03 pour plus de 20 paquets-années. La poursuite du tabagisme après le diagnostic du CCR est également associée à une diminution ­significative de la survie globale.
 

Obésité et surpoids

L’obésité est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers : colorectal, du sein, mais aussi du rein. La physiopathologie n’est pas bien comprise ; néanmoins, l’augmentation de facteurs de croissance, comme l’analogue à l’insuline, et de cytokines pro-inflammatoires semble favoriser la production de radicaux libres nocifs pour l’ADN des cellules rénales. Une méta-­analyse réalisée sur près de 9 millions de sujets confirme ce facteur de risque : par rapport au poids normal, le risque relatif de CCR est de 1,35 pour les patients en surpoids et de 1,76 pour les patients obèses.3

 

Hypertension artérielle

L’hypertension artérielle (HTA) est la première maladie chronique dans le monde, et sa prévalence ne cesse d’augmenter. Principale cause de maladies cardiovasculaires, l’HTA est aussi un facteur de risque reconnu de CCR. Une méta-­analyse récente de dix-huit études prospectives montre une corrélation entre HTA et risque de CCR ; les antécédents d’hypertension sont, quant à eux, associés à une augmentation de 67 % du risque de développer ce cancer.4

 

 

 

Insuffisance rénale terminale

L’insuffisance rénale terminale (IRT), souvent liée à une maladie kystique acquise, est un facteur de risque de CCR. Les patients atteints d’IRT dialysés ont au moins 10 fois plus de risque de développer un CCR que la population générale ; ce risque augmente avec la durée de la dialyse. ­Cependant, la transplantation rénale a tendance à faire diminuer ce risque.5 Comparés aux CCR sporadiques, les CCR associés à l’IRT sont généralement multiples, bilatéraux et moins agressifs.

 

 

 

Exposition au trichloréthylène

Le trichloréthylène est un solvant chloré utilisé principalement dans l’industrie du textile pour le dégraissage et le nettoyage des métaux. L’exposition à ce produit est un facteur de risque reconnu de CCR par le Centre de recherche international sur le cancer (CIRC), ce qui a incité à diminuer drastiquement son utilisation dans les pays développés ces dernières années. Un décret paru au Journal officiel en mai 2021 reconnaît comme maladie professionnelle le cancer du rein lié à une exposition au trichlor­éthylène durant au moins dix ans ; le délai de prise en charge est fixé à 40 ans.6

 

 

Une triade inconstante de symptômes

Dans la majorité des cas, le CCR est découvert fortuitement, à un stade localisé chez des patients asymptomatiques. Il est fréquent qu’une imagerie abdominale demandée pour une autre raison décèle un CCR.
Dans 20 à 30 % des cas, le patient ressent des symptômes – signe d’une maladie déjà avancée (fig. 1). Hématurie, douleur et masse lombaire constituent la triade classique de symptômes associée au cancer du rein. Cependant, seuls 10 % des patients décrivent l’ensemble de ces manifestations cliniques. Généralement, seuls un ou deux symptômes sont présents, le plus souvent l’hématurie et la douleur.
Une varicocèle gauche d’apparition récente fait suspecter un thrombus de la veine rénale gauche. Une varicocèle bilatérale associée à un œdème des membres inférieurs évoque un thrombus de la veine cave. Une altération de l’état général avec asthénie, anorexie et amaigrissement, ainsi que des sueurs nocturnes, signes aspécifiques du CCR, peuvent être les premiers symptômes de la maladie.
Certains patients peuvent également avoir une métastase symptomatique. Les localisations les plus fréquentes sont alors pulmonaires, ganglionnaires et osseuses. Vingt pour cent des patients sont susceptibles de développer un ou plusieurs syndromes paranéoplasiques.
Les mécanismes de ces multiples manifestations cliniques sont encore mal compris ; ils peuvent être la conséquence de sécrétions d’hormones par la tumeur ou encore d’une réaction immunitaire inappropriée entre les cellules tumorales et l’hôte.

Poser le diagnostic

Le scanner thoraco-abdominopelvien injecté est l’examen de référence pour évoquer le diagnostic et réaliser le bilan d’extension des CCR. Idéalement, le scanner comprend quatre phases :7 une acquisition sans injection, une à la phase de la néphrographie corticale, une à la phase de la néphrographie tubulaire et, enfin, une acquisition tardive excrétoire pour visualiser l’ensemble du système urinaire (fig. 1). Cet examen permet de caractériser les lésions rénales et d’évaluer l’extension locorégionale selon la classification TNM (tumeur, ganglion, métastase) [tableau et fig. 2]. Les tumeurs du rein ont la particularité de s’étendre fréquemment dans le système veineux, occasionnant la constitution d’un thrombus dans la veine cave, à prendre en charge en urgence.
En cas de point d’appel à l’examen clinique faisant suspecter une métastase cérébrale ou osseuse, un scanner cérébral ou une scintigraphie osseuse doit être réalisé.
Le bilan est complété par un dosage de la créatinine sérique et un hémogramme. Si le cancer est métastatique, il est nécessaire de doser les phosphatases alcalines, la LDH (lactate déshydrogénase), de mesurer la calcémie corrigée et d’effectuer des bilans hépatique et de la coagulation. L’objectif de ces examens biologiques est d’évaluer la fonction rénale, de dépister un éventuel syndrome paranéoplasique et de déterminer les facteurs pronostiques.
Le diagnostic de certitude est posé grâce à l’analyse anatomopathologique de la pièce opératoire, plus rarement à partir d’une biopsie. Les tumeurs bénignes du rein sont, somme toute, assez rares. En dehors des petites tumeurs chez la personne âgée, toute lésion suspecte du rein nécessite une prise en charge active. La biopsie est réservée au cancer métastatique avant traitement systémique et à quelques cas particuliers pour lesquels le diagnostic histologique est susceptible de modifier la prise en charge thérapeutique.

Prise en charge du cancer du rein localisé

Partielle ou élargie, la chirurgie est le traitement de référence des cancers du rein localisés.

Chirurgie partielle : moindre risque

Pour les tumeurs T1 (taille inférieure à 7 cm), une néphrectomie partielle est le plus souvent proposée. Cette technique permet une meilleure préservation de la fonction rénale tout en conservant la partie saine du rein atteint et diminue le risque d’événements cardiovasculaires à long terme.
Lorsque la néphrectomie partielle n’est pas possible (localisation de la tumeur difficilement accessible ou taille supérieure à 7 cm), la néphrectomie élargie est indiquée. Ce geste consiste à retirer l’ensemble du rein et de la graisse périrénale.

Modalités interventionnelles

Il existe différentes techniques chirurgicales pour ces interventions. Historiquement, la chirurgie du rein était réalisée par voie ouverte avec une incision sous-costale ou lombaire. L’arrivée de la chirurgie mini-invasive, cœlioscopique et robotique, a changé les pratiques. Des études récentes montrent que les résultats oncologiques de ces différentes voies d’abord sont équivalents. La chirurgie mini-invasive est associée à de moindres pertes sanguines et à une durée d’hospitalisation plus courte.8

Et si la chirurgie est contre-indiquée ?

Pour les patients âgés ou avec des comorbidités importantes contre-indiquant la néphrectomie, des alternatives existent : thérapies ablatives comme la radiofréquence ou la cryothérapie. La surveillance active est également une option envisageable.

Pembrolizumab, adjuvant bénéfique

Lorsque le cancer est localisé, la chirurgie suffit habituellement à contrôler la maladie. Il a récemment été montré que l’administration adjuvante de pembrolizumab permet une augmentation de la survie sans récidive chez les patients à haut risque de récidive après néphrectomie (stades T3-4, N1, M1 opérés en rémission). Ces nouvelles données pourraient conduire à modifier rapidement les pratiques et à proposer pour la première fois un traitement adjuvant après chirurgie pour un cancer du rein localisé chez des malades très ciblés.9

Prise en charge du cancer du rein métastatique

La prise en charge du cancer du rein ­métastatique est complexe. Pendant longtemps, du fait d’un arsenal théra­peutique pauvre et de la grande chimiorésistance de ce cancer, la norme a été de réaliser une chirurgie de cytoréduction consistant à retirer le rein cancéreux malgré des métastases inopérables. Le développement récent de thérapies ciblant l’angiogenèse tumorale (anti-VEGF) et de nouvelles immunothérapies par inhibiteur de checkpoints (anti-PD1 et anti-­CTLA4) a transformé le pronostic de ces patients et remis en question la place de la chirurgie.
L’étude française CARMENA a révélé que les patients traités par antiangiogénique seul ont une survie globale non inférieure à celle de patients traités par néphrectomie de cytoréduction puis anti­angiogénique. Ainsi, la chirurgie n’est plus le traitement de référence du cancer du rein métastatique. Néanmoins, l’analyse post hoc de cette étude semble montrer un bénéfice de la chirurgie en première intention dans un sous-groupe de patients.10
L’Association française d’urologie recommande de classer les patients selon les critères IMDC (International Metastatic Renal Cell Carcinoma Database) : la néphrectomie cytoréductrice est proposée aux patients de bon pronostic et aux patients de pronostic intermédiaire ayant un bon état général ainsi qu’une faible charge métastatique ; pour les autres patients de pronostic intermédiaire et défavorable, un traitement systémique est d’abord prescrit après une biopsie de la tumeur. La chirurgie peut être proposée dans un second temps aux patients ayant bien répondu au traitement.
Les traitements recommandés en première intention chez les patients métastatiques incluent les associations de double immunothérapie ou d’immunothérapie associée à un antiangiogénique.

Suivi adapté au risque de récidive

Un suivi de ces patients est nécessaire, avec trois objectifs :
– surveiller les complications liées à la chirurgie ou au traitement systémique ;
– surveiller la fonction rénale et mettre en place d’éventuelles mesures de néphroprotection ;
– dépister la récidive locale ou métastatique de la maladie.
L’Association française d’urologie propose un suivi radiologique tous les six à douze mois pendant cinq à dix ans selon le risque de récidive.
 

Encadre

Que dire à vos patients ?

• La prévention du cancer du rein s’appuie sur la promotion d’un mode de vie sain et un contrôle des facteurs de risque.

• Une hématurie, une douleur ou une masse lombaire doivent faire l’objet d’une consultation approfondie.

• En cas de petite tumeur du rein, la chirurgie suffit dans la grande majorité des cas à traiter la maladie.

• Une consultation d’oncogénétique s’impose devant une forme familiale.

• La prise en charge du cancer du rein métastatique repose sur une immunothérapie éventuellement associée à une thérapie ciblée. La néphrectomie de cytoréduction est réservée à des patients très particuliers.

Références

1. Defossez G, Le Guyader-Peyrou S, Uhry Z, et al. Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. Santé publique France, juillet 2019.
2. Tsivian M, Moreira DM, Caso JR, et al. Cigarette smoking is associated with advanced renal cell carcinoma. J Clin Oncol 2011;29(15):2027‑31.
3. Liu X, Sun Q, Hou H, et al. The association between BMI and kidney cancer risk: An updated dose-response meta-analysis in accordance with PRISMA guideline. Medicine (Baltimore) 2018;97(44):e12860.
4. Hidayat K, Du X, Zou S-Y, et al. Blood pressure and kidney cancer risk: meta-analysis of prospective studies. J Hypertens 2017;35(7):1333‑44.
5. Capitanio U, Bensalah K, Bex A, et al. Epidemiology of Renal Cell Carcinoma. Eur Urol 2019;75(1):74‑84.
6. Décret n° 2021-636 du 20 mai 2021 révisant et complétant les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la Sécurité sociale. JORF n° 0118 du 22 mai 2021, texte n° 26.
7. Bensalah K, Bigot P, Albiges L, et al. Recommandations françaises du comité de cancérologie de l’AFU – actualisation 2020-2022 : prise en charge du cancer du rein. ProgUrol 2020;30(12S):S2‑51.
8. Chang KD, Abdel Raheem A, Kim KH, et al. Functional and oncological outcomes of open, laparoscopic and robot-assisted partial nephrectomy: a multicentre comparative matched-pair analyses with a median of 5 years’ follow-up. BJU Int 2018;122(4):618‑26.
9. Choueiri TK, Tomczak P, Park SH, et al. Adjuvant Pembrolizumab after Nephrectomy in Renal-Cell Carcinoma. N Engl J Med 2021;385(8):683‑94.
10. Méjean A, Ravaud A, Thezenas S, et al. Sunitinib Alone or After Nephrectomy for Patients with Metastatic Renal Cell Carcinoma: Is There Still a Role for Cytoreductive Nephrectomy? Eur Urol 2021;80(4):417‑24.

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essentiel

L’Institut national du cancer recense 15 232 cas annuels de carcinomes à cellules rénales et 5 589 décès.

Les facteurs de risque modifiables sont le tabac, l’HTA, l’insuffisance rénale ; le cancer du rein est reconnu comme maladie professionnelle depuis 2021 en cas d’exposition au trichloréthylène.

Le scanner thoraco-abdominopelvien injecté est l’examen d’imagerie de référence.