Les aliments ultratransformés sont aujourd’hui omniprésents. Ils représentent une part croissante des régimes alimentaires dans le monde : jusqu’à la moitié des apports caloriques quotidiens dans certains pays (30 % en France). Snacks sucrés et salés, confiseries, céréales pour le petit-déjeuner, glaces, sucreries, pâtisseries et boissons sucrées, viandes transformées, soupes déshydratées et les repas surgelés prêts à la consommation en sont quelques exemples (groupe 4 de la classification internationale alimentaire NOVA).
Leurs effets négatifs sur la santé font l’objet de nombreuses études qui ont mis en évidence un lien entre la consommation de ces produits et les maladies métaboliques, certains cancers, voire l’accélération du déclin cognitif.
Plus précisément, certains travaux ont montré que différents additifs qui entrent dans leur composition – destinés à en modifier le goût, la couleur ou la texture, ou à augmenter leur durée de conservation – sont associés à diverses pathologies : nitrites – très utilisés pour la conservation des viandes transformées – et risque de cancer colorectal mais aussi de diabète ; édulcorants et risque de cancer et maladies cardiovasculaires. Une grande partie de ces travaux provient de la cohorte française NutriNet-Santé, lancée en 2009.
Une nouvelle étude avec les données de cette cohorte a examiné, cette fois-ci, les liens entre le risque de développer différents cancers et l’exposition aux émulsifiants présents dans les aliments ultratransformés (mono- et diglycérides d’acides gras, carraghénanes, amidons modifiés, lécithines, phosphates, celluloses, gommes, pectines, etc., destinés à améliorer leur apparence, texture et durée de conservation). Les résultats de ces travaux viennent de paraître dans PLoS Medicine .
Un sur-risque notamment pour les cancers du sein et de la prostate
L’étude a inclus 92 000 adultes de la cohorte NutriNet-Santé entre 2009 et 2021 (âge moyen à l’inclusion : 44,5 ans ; 79 % de femmes). Les participants n’avaient pas de cancer à l’inclusion.
Leur exposition aux émulsifiants a été estimée grâce à des questionnaires validés, remplis par les participants au moins 3 fois de façon non consécutive – à l’inclusion puis tous les 6 mois –, renseignant leurs consommations alimentaires sur les 24 heures précédentes. Grâce au croisement entre les noms commerciaux des produits consommés et une banque de données répertoriant la composition de plusieurs milliers de produits, les chercheurs ont calculé de manière détaillée le nombre d’additifs émulsifiants et les quantités consommées, et ont classé la cohorte en tertiles correspondant à une consommation faible, moyenne ou élevée de ces additifs.
La survenue des cancers a été surveillée sur une période allant de 2 ans après l’inclusion jusqu’en 2021, avec un suivi moyen de 6,7 ans et un total de 615 749 personnes-années. Durant ce suivi, 2 604 cas de cancer ont été diagnostiqués, dont 750 cancers du sein, 322 de la prostate et 207 cas de cancer colorectal, entre autres.
Selon l’analyse statistique, des apports plus élevés en mono- et diglycérides d’acides gras (E471) étaient associés à un risque accru de cancer ; en comparant les plus forts consommateurs (3e tertile) aux plus faibles consommateurs (1er tertile), ce sur-risque était :
- de + 15 % tous cancers confondus (HR = 1,15 ; IC95 % : [1,04 ; 1,27] ; p-trend = 0,01) ;
- de + 24 % pour les cancers du sein (HR = 1,24 ; IC95 % : [1,03 ; 1,51] ; p-trend = 0,04) ;
- de + 46 % pour les cancers de la prostate (HR = 1,46 ; IC95 % : [1,09 ; 1,97] ; p-trend = 0,02).
Par ailleurs, les femmes ayant des apports plus élevés en carraghénanes (E407 et E407a) avaient un risque accru de 32 % de développer des cancers du sein, par rapport au groupe ayant des apports plus faibles. Aucune association significative n’a été décelée entre l’exposition aux émulsifiants et le risque de cancer colorectal.
L’analyse était ajustée pour des variables confondantes telles que : âge, sexe, IMC, activité physique, tabagisme, consommation d’alcool, de sucres, de sodium, de fibres, de fruits et légumes et de viandes rouges et transformées, niveau éducatif. Pour le cancer du sein, d’autres variables comprenaient l’utilisation de traitements hormonaux (contraception, THM), la parité et le statut ménopausique.
Qu’en retenir ?
Il s’agit de la première étude épidémiologique explorant l’association entre l’exposition aux additifs alimentaires émulsifiants et le risque de cancer – les connaissances actuelles étant fondées sur des preuves, rares et contradictoires, provenant d’études expérimentales sur les animaux.
Si la taille importante de l’échantillon, la conception prospective de l’étude et les informations détaillées sur la consommation d’émulsifiants en sont des points forts importants, son caractère observationnel empêche de conclure à la causalité. De plus, ses résultats peuvent ne pas être généralisables, car la cohorte NutriNet-Santé n’est pas représentative de l’ensemble de la population (proportion plus importante de femmes, niveau d’éducation plus élevé et comportements globalement plus soucieux vis-à-vis de la santé).
Davantage d’études sont donc nécessaires pour confirmer ce lien. « Si ces résultats doivent être reproduits dans d’autres études à travers le monde, ils apportent de nouvelles connaissances clés au débat sur la réévaluation de la réglementation relative à l’utilisation des additifs dans l’industrie alimentaire, afin de mieux protéger les consommateurs », expliquent Mathilde Touvier et Bernard Srour, principaux auteurs de l’étude.
Inserm. La consommation de certains additifs alimentaires émulsifiants serait associée à un risque accru de cancers. 13 février 2024.