La U.S. Preventive Services Task Force (USPSTF) des États-Unis a fait évoluer ses préconisations pour le dépistage organisé du cancer du sein. Ce panel indépendant du gouvernement est chargé d’élaborer les recommandations de prévention sanitaire ; il conseille désormais une mammographie bisannuelle dès l’âge de 40 ans et jusqu’à 74 ans. Auparavant, elle recommandait ce dépistage aux femmes de 50 à 74 ans – comme c’est le cas en France actuellement.
D’après l’USPSTF, cette recommandation, fondée sur des données et des modélisations récentes, permettrait de réduire la mortalité par cancer mais aussi les inégalités sociales de santé.
Néanmoins, dans un article récemment paru dans le NEJM, un groupe de médecins américains s’inquiète des potentiels effets délétères de cette recommandation, avançant que les risques de cette mesure l’emportent sur les bénéfices.
La mortalité par cancer du sein en baisse
Aux États-Unis, la mortalité par cancer du sein est en constante diminution ces dernières décennies. Chez les femmes de moins de 50 ans, en particulier, elle a été divisée par 2 sur les 30 dernières années.
La mortalité ne constituerait donc pas un argument pour abaisser l’âge du dépistage organisé à 40 ans, d’après les auteurs. Ils arguent en effet que le fait que cette tendance à la baisse soit similaire dans d’autres pays à hauts revenus dont les stratégies de dépistage diffèrent (par exemple, Danemark et Royaume-Uni, où le dépistage chez les < 40 ans est rare, et Suisse, où il est rare dans toutes les classes d’âge) suggère que cette diminution est davantage due à l’amélioration des stratégies thérapeutiques qu’au dépistage.
En France, pour rappel, la mortalité par cancer du sein, tous âges confondus, a diminué de 1,6 % par an entre 2010 et 2018.
Ces recommandations sont fondées sur des modélisations statistiques
Partant de l’hypothèse que le dépistage aboutit à une réduction relative de la mortalité de 25 %, les modélisations de l’USPSTF concluent que le dépistage de 1 000 femmes âgées de 40 à 74 ans (au lieu de 50 à 74 ans) permettrait d’éviter un à deux décès par cancer du sein au cours d’une vie.
Or cette réduction de 25 % est une estimation supérieure à celle issue des méta-analyses d’essais randomisés, qui concluent à une réduction relative de 13 %, dans les essais dont le risque de biais est faible.
Par ailleurs, les auteurs soulignent que les derniers essais randomisés étudiant les bénéfices du dépistage organisé chez les < 40 ans ne trouvaient pas d’effet significatif sur la mortalité – ce qu’ils expliquent en partie par le fait que les cancers rapidement évolutifs, plus courants dans cette classe d’âge, seraient moins bien détectés par ces stratégies de dépistage car apparaissant souvent dans les intervalles entre les examens.
Pour 1 décès en moins sur 1 000 femmes dépistées, plus de 300 faux positifs
Un autre écueil relevé par les auteurs est que la réflexion en termes de réduction relative de la mortalité ne reflète pas les bénéfices en chiffres absolus, qui paraissent faibles. En effet, dans ces modèles, la stratégie de dépistage proposée aboutit à un gain de mortalité équivalant à 1 décès en moins pour 1 000 femmes de 40 à 49 ans dépistées, sur 10 ans.
Compte tenu du risque actuel de mortalité par cancer du sein chez une femme américaine appartenant à cette classe d’âge, cette réduction de 0,1 point de pourcentage revient à abaisser le risque de mortalité par cancer de 0,3 % à 0,2 % ; en d’autres termes, la probabilité de ne pas mourir d’un cancer du sein pour ces femmes, si ce dépistage leur était proposé, passerait de 99,7 % à 99,8 %.
Ce bénéfice semble d’autant plus faible qu’il s’accompagnerait d’un nombre trop élevé de faux positifs : au moins 36 % des femmes en auraient au moins un en cas de dépistage bisannuel entre 40 et 49 ans, et près de 7 % aboutiraient à une biopsie, selon la même modélisation de l’USPSTF. Quant aux surdiagnostics et surtraitements, ils seraient de l’ordre de 0,2 %.
Enfin, l’un des arguments évoqués par l’USPSTF en faveur de cette nouvelle recommandation est qu’elle contribuerait à réduire les inégalités de santé entre les femmes blanches et les Afro-américaines ; ces dernières ont en effet des taux de mortalité par cancer du sein considérablement supérieurs (23 vs 13 pour 100 000 personnes). Les auteurs de l’article du NEJM soulignent toutefois qu’étendre le dépistage à toutes les femmes de 40 - 49 ans ne réduirait pas cet écart puisque, d’une part, cela n’a pas d’incidence sur les différences dans la biologie des cancers entre ces deux populations (le cancer du sein triple négatif étant deux fois plus fréquent chez les femmes noires que chez les femmes blanches) et, d’autre part, cela ne permettrait pas en soi de résoudre les déterminants sociaux de ces inégalités, dont l’accès réduit aux soins. Ils arguent de fait que cette recommandation pourrait même aggraver ces inégalités, car elle pourrait conduire à canaliser davantage de ressources vers l’application du dépistage généralisé à toutes les femmes de 40 - 49 ans plutôt que de les utiliser pour améliorer l’accès au dépistage et aux traitements aux femmes qui en sont actuellement éloignées.
Ces données suggèrent, en conclusion, que la balance bénéfices/risques d’étendre le dépistage organisé aux 40 - 49 ans est défavorable. Les auteurs soulignent que pour cette classe d’âge, un dépistage personnalisé fondée sur le risque individuel resterait plus pertinent.
US Prevention Service. Breast Cancer: Screening. 9 mai 2023.