Préservation de la fertilité féminine
Quels sont les traitements à risque pour la fertilité féminine ?
Les molécules de chimiothérapie les plus toxiques sont les alkylants bifonctionnels (melphalan, busulfan, thiotépa, ifosfamide, procarbazine, cyclophosphamide…). Chacune de ces molécules a une toxicité évaluée en équivalent dose par rapport à la toxicité du cyclophosphamide.6 Des doses cumulatives, en « équivalent cyclophosphamide » (cyclophosphamide equivalent dose [CED]), supérieures à 6 g/m2 sont accompagnées d’une augmentation du risque pour la réserve ovarienne, et ce d’autant plus que la patiente est âgée. Un adressage vers une consultation spécialisée de préservation de la fertilité est alors recommandé.
Aucune étude à ce jour n’a démontré un risque d’insuffisance ovarienne prématurée après un traitement par antimétabolites, dérivés du platine, anthracyclines, taxanes, alcaloïdes de la pervenche, bévacizumab, étoposide haute dose et les nouvelles thérapies ciblées (anticorps monoclonaux ou inhibiteurs de tyrosine kinase).5
Concernant la radiothérapie, un seuil de radiosensibilité ovarienne à 2 Gy (dose susceptible de réduire de moitié le stock des follicules ovariens) a été déterminé à l’issue d’une modélisation mathématique.7 Il est ainsi recommandé, pour des doses d’irradiation prévues sur les ovaires supérieures à 3 Gy, une consultation spécialisée de préservation de la fertilité.
Comment peut-on préserver la fertilité féminine ?
Conservation des ovocytes matures après stimulation ovarienne
La conservation des ovocytes matures s’effectue grâce à la technique de vitrification et n’est possible qu’après la puberté. Elle nécessite un délai d’au moins deux semaines et un état général permettant de réaliser une stimulation ovarienne suivie d’une ponction ovarienne par voie vaginale. Elle doit absolument être réalisée avant le début de la chimiothérapie afin de ne pas exposer des ovocytes matures à l’effet mutagène des molécules de chimiothérapie. De plus, cette technique induit une hyperestrogénie transitoire, qui peut être un frein à la stimulation dans les cancers hormonodépendants comme le cancer du sein. Une information préalable sur les possibilités de grossesse après utilisation des ovocytes matures est indispensable : les chances de naissance diminuent si les ovocytes sont vitrifiés après l’âge de 37 ans. Dans certains cas particuliers, lorsque la patiente est en couple avec un projet parental préexistant à la maladie, une congélation embryonnaire peut aussi se discuter.Conservation du tissu ovarien dans la perspective d’une autogreffe ultérieure
La conservation du tissu ovarien (CTO) consiste à prélever, par cœlioscopie, une partie ou un ovaire entier dans le but de congeler le cortex ovarien contenant les ovocytes. La CTO est maintenant une technique validée de préservation de la fertilité féminine. Elle est réalisable quelle que soit la période du cycle, sans stimulation de l’ovulation, permettant ainsi une prise en charge très rapide des patientes, ce qui permet de ne pas différer le traitement du cancer. Elle est faisable aussi après le début de la chimiothérapie et est la seule technique possible de préservation de la fertilité chez la petite fille avant la puberté. Il est recommandé de la proposer en première intention, quel que soit le statut pubertaire de la patiente, en cas de traitement à venir très gonadotoxique. Elle n’est pas recommandée après 36 ans. Cependant, entre 36 et 38 ans, elle peut être discutée, au cas par cas, en fonction des paramètres de la réserve ovarienne. Actuellement, la seule technique d’utilisation du tissu ovarien cryoconservé qui permette d’avoir des enfants est l’autogreffe de cortex ovarien. Elle permet aussi de rétablir la fonction endocrine ovarienne.La première naissance après greffe de tissu ovarien a été obtenue en 2004 par l’équipe belge du Pr Jacques Donnez. Le pourcentage de femmes greffées qui ont accouché d’au moins un enfant est compris entre 25 et 33 %. Le taux de conception naturelle peut atteindre 70 %. Elle permet de restaurer la fonction endocrine dans 85-95 % des cas.10
Le risque théorique principal de la greffe de tissu ovarien serait de réintroduire la maladie initiale de la patiente en cas de présence dans l’ovaire de cellules cancéreuses. Les pathologies les plus à risque de localisations ovariennes sont les leucémies aiguës, le neuroblastome et le lymphome de Burkitt. Il est ainsi recommandé en cas de leucémie de faire le prélèvement d’ovaire au moment de la rémission et non au diagnostic pour diminuer ce risque.11
Est-il possible de réduire le risque d’infertilité féminine ?
En cas de radiothérapie pelvienne, la transposition ovarienne doit être discutée en tant que technique pouvant préserver à la fois la fertilité et la fonction ovarienne endocrine. De plus, elle peut être associée à d’autres techniques de préservation de la fertilité.
Quel est le suivi de la fonction reproductive après cancer ?
Préservation de la fertilité masculine
Quels sont les effets des traitements du cancer sur la fonction testiculaire ?
– cytotoxique, entraînant la mort des cellules germinales par apoptose et aboutissant à une altération de la production de spermatozoïdes ;
– mutagène ;
– clastogène, entraînant des dommages de l’ADN du noyau des cellules germinales qui pourront ou non être transmises à la descendance en l’absence de réparation.
Les spermatogonies en division sont les plus sensibles à l’effet cytotoxi–que.12 L’impact des chimiothérapies dépend des molécules utilisées, de la dose cumulée et du protocole. La classe des alkylants est celle dont les effets toxiques sur les cellules germinales et donc la spermatogenèse sont les mieux connus.13,14 L’impact de l’irradiation testiculaire dépend du champ d’irradiation, de la dose totale et du fractionnement.15,16 À traitement gonadotoxique équivalent, l’âge des patients, une pathologie testiculaire préexistante et la susceptibilité individuelle à la toxicité des traitements sont des facteurs additionnels qui peuvent altérer plus sévèrement l’épithélium séminifère.17 Une atteinte de l’ADN peut être observée plusieurs mois après l’arrêt des traitements du cancer.18-20
À qui conseiller la préservation de la fertilité ?
Chez le garçon prépubère, une conservation de tissu testiculaire est recommandée en cas de fort risque d’atteinte de la fertilité future, et proposée en cas de risque modéré (équivalent cyclophosphamide prévisionnel ≥ 5 000 mg/m2 ou irradiation testiculaire ≥ 2 Gy ou orchidectomie sur testicule unique).21
Du fait des risques mutagènes potentiels liés au traitement par radio- et/ou chimiothérapie, la conservation de spermatozoïdes doit être effectuée avant le démarrage du traitement.
Comment préserver la fertilité masculine ?
Conservation de spermatozoïdes, technique de référence
À partir de la puberté, la conservation de spermatozoïdes est la technique de référence.Le recueil de spermatozoïdes s’effectue par masturbation, en y associant si nécessaire un traitement pharmacologique de l’érection.22 La stimulation vibratoire pénienne et l’électrostimulation sont des alternatives possibles en cas d’échec.
Conservation de tissu testiculaire, avant la puberté et dans des cas particuliers
Avant la puberté, la conservation de tissu testiculaire est la seule technique de préservation de la fertilité disponible.21Après la puberté, le recueil de spermatozoïdes par prélèvement chirurgical testiculaire est recommandé en cas d’échec au recueil ou d’impossibilité de conservation (azoospermie confirmée),23 et doit être proposé en présence d’altérations sévères des paramètres spermatiques (oligozoospermie sévère, nécrozoospermie) compromettant l’utilisation ultérieure en assistance médicale à la procréation (AMP).
Quel est le suivi de la fonction reproductive masculine après cancer ?
Si la préservation de la fertilité (conservation de spermatozoïdes et/ou de tissu testiculaire) a été effectuée chez un patient mineur, une consultation de suivi à l’âge de 18 ans est une obligation légale.26 Pour les patients n’ayant pas bénéficié de procédures de préservation de la fertilité, cette consultation de suivi doit tout de même être proposée afin d’évaluer l’impact des traitements sur les fonctions testiculaires (fertilité et fonction endocrine). Une conservation de spermatozoïdes post-traitement peut être discutée en fonction des paramètres spermatiques observés.
En raison du risque d’altération de la qualité nucléaire spermatique,18-20 une contraception est recommandée pendant dix-huit à vingt-quatre mois après la fin du traitement.
Le patient doit être informé de l’âge limite de prise en charge en AMP, qui est actuellement fixé à 60 ans pour l’homme.
La préservation de la fertilité fait partie de la qualité de vie après cancer
Il apparaît important de poursuivre la structuration des parcours de soins afin de répondre dans les meilleurs conditions et délais aux besoins des patients, a fortiori compte tenu des évolutions de la loi de bioéthique.
Que disent la loi de bioéthique promulguée en août 2021 et le code de la santé publique ?
Les techniques d’aide médicale à la procréation (AMP) ont conduit à la révolution de la procréation et la possibilité de conception en dehors du processus naturel, l’accès aux gamètes et embryons en dehors du corps humain, justifiant la mise en place d’un cadre réglementaire au niveau national. La promulgation de la loi n° 94-654 du 29 juillet 199424 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal inaugure ce qui deviendra la loi de bioéthique. Les grands principes juridiques encadrant l’AMP sont maintenus dans les révisions successives jusqu’en août 2021. Initialement, l’AMP était possible uniquement pour des couples hétérosexuels afin de remédier principalement à une infertilité masculine ou féminine, voire une double infertilité. La conservation des gamètes et tissu germinaux dans les indications médicales n’est apparue que dans la version de la loi de bioéthique du 6 août 200425 et est maintenue dans le texte révisé le 7 juillet 2011.26
Le code de la santé publique précise dans son article L2141-11 que « toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité ».
L’arrêté du 30 juin 2017 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’AMP précise que « toute personne dont la fertilité ultérieure risque d’être altérée, du fait d’une pathologie ou de ses traitements ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, a accès aux informations concernant les risques pour sa fertilité ultérieure et les possibilités de conservation de gamètes ou de tissu germinaux. Une information loyale, claire et appropriée permet au patient de devenir acteur de sa prise en charge ».
La loi de bioéthique promulguée en août 202127 offre de nouveaux droits aux couples de femmes et aux femmes non mariées, qui peuvent avoir recours à l’AMP avec tiers donneur. Elle rend également possible la conservation des gamètes hors indications médicales pour les femmes âgées de 29 à 37 ans comme pour les hommes âgés de 29 à 45 ans. La conservation des gamètes et tissu germinaux dans les indications médicales est potentiellement envisageable jusqu’à 43 ans pour la femme et 60 ans pour l’homme. La loi de bioéthique fixe un âge limite de recours à l’utilisation des gamètes conservés dans et en dehors des indications médicales, à savoir 45 ans pour la femme et 60 ans pour l’homme. Elle autorise la possibilité de greffe de tissu ovarien ou testiculaire afin de restaurer la fonction endocrine gonadique en plus de pouvoir envisager une restauration de la fertilité. Enfin, en l’absence de réponse du patient pendant dix années consécutives au courrier de contact annuel lui permettant d’exprimer son choix concernant le devenir des gamètes ou tissu germinaux conservés (maintien de conservation, arrêt de conservation, utilisation en recherche, don – uniquement pour les gamètes), il est mis fin à la conservation des échantillons conservés. Pour les patients mineurs au moment de la conservation, ce délai de dix années court à partir du dix-huitième anniversaire.
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26. Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, 2011.
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