Quatre anticorps monoclonaux dirigés contre la voie PD-1/PD-L1 ont désormais l’AMM dans les cancers bronchiques non à petites cellules métastatiques ou localement avancés et dans les cancers bronchiques à petites cellules. Mieux tolérés que la chimiothérapie, ils entraînent également une réponse thérapeutique durable.
Le cancer du poumon est aujourd’hui au deuxième rang des plus fréquents chez l’homme, après la prostate, et au troisième rang chez la femme, après le sein et le côlon-rectum. C’est la première cause de décès par cancer en France.1 En effet, avec 17 % de mortalité à 5 ans tous stades confondus, son pronostic est sombre. Toutefois des progrès majeurs récents – poursuite du développement des thérapies ciblées et émergence de l’immunothérapie –, aux indications rapidement élargies, augmentent la survie d’un nombre croissant de patients.

Immunothérapie : une révolution

C’est le principal bouleversement des années 2010. Son objectif n’est pas de cibler directement la cellule tumorale mais de restaurer une réponse antitumorale lymphocytaire T cytotoxique efficace. En effet, les cellules cancéreuses sont capables de détourner à leur profit les mécanismes moléculaires physiologiques régulant l’activation lymphocytaire, appelés points de contrôle immunitaire, échappant ainsi au système immunitaire. Les traitements actuels visent spécifiquement le blocage du couple de protéines PD-1/PD-L1, responsable d’une inhibition de la phase effectrice de l’activité lymphocytaire. Les 4 molécules ayant l’AMM dans les cancers pulmonaires sont des anticorps monoclonaux dirigés contre PD-1 (nivolumab, Opdivo ; pembrolizumab, Keytruda) ou PD-L1 (atézolizumab, Tecentriq ; durvalumab, Imfinzi).
Dans les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) métastatiques, les inhibiteurs de la voie PD-1/PD-L1 ont d’abord été développés en monothérapie, en deuxième ligne, où ils ont démontré leur supériorité en termes de survie globale (SG) par rapport à la chimiothérapie par docétaxel (tableau).2 Ensuite, le pembrolizumab s’est montré supérieur à la chimiothérapie à base de platine dès la première ligne, uniquement dans les CBNPC avec surexpression de PD-L1 > 50 %, sans mutation EGFR ou réarrangement ALK. Plus récemment, un bénéfice en survie globale a également été constaté quel que soit le niveau d’expression de PD-L1 : en première ligne, l’association d’une chimiothérapie – doublet de platine – et d’un inhibiteur de PD-1/PD-L1 fait mieux que la chimiothérapie seule.
Dans les CBNPC localement avancés non accessibles à la chirurgie, le durvalumab en consolidation pendant 1 an après radiochimiothérapie concomitante a lui aussi permis un allongement de la SG.
Enfin, dans les cancers bronchiques à petites cellules (CBPC) étendus, un gain de SG a également été observé en première ligne en cas d’ajout de l’atézoli­umab ou du durvalumab à la chimiothérapie par platine et étoposide. Ces résultats ont profondément modifié la prise en charge des cancers pulmonaires (figure).
La particularité de l’immunothérapie est d’engendrer des réponses de très longue durée. Ainsi, avec un recul de plus de 5 ans dans certaines études, on constate qu’une part non négligeable (environ 15-23 %) des patients traités par anti-PD-1 pour un CBNPC métastatique sont encore vivants.
À l’inverse, certains malades ne tirent aucun bénéfice de l’immunothérapie et voient même parfois leur tumeur croître plus rapidement sous traitement. Pour autant, il n’existe actuellement aucun marqueur clinique ou biologique permettant de prédire ces situations.
Si l’immunothérapie est mieux tolérée que la chimiothérapie (7 à 26 % d’effets indésirables de grade 3 ou plus liés aux anti-PD-1/PD-L1 dans les phase III), ces molécules ne sont pas dénuées d’effets indésirables. Leur profil de tolérance est singulier, essentiellement lié au risque d’auto-immunité par activation excessive du système immunitaire.3 Tous les organes peuvent être touchés. Le délai de survenue est extrêmement variable, allant de quelques semaines pour les atteintes cutanées à plusieurs mois ou années pour certaines endocrinopathies.
Les plus fréquents : fatigue, toxicités cutanées, avec principalement des rashs et des prurits peu sévères, digestives – diarrhées ou cytolyses le plus souvent modérées (1 % de grade 3 ou plus) – et endocriniennes (dysthyroïdies). Étant donné leur grande diversité, on doit les évoquer devant tout nouveau symptôme ou toute modification d’un symptôme existant.
Le patient doit aussi être informé des principaux signes inquiétants. En cas de suspicion d’un effet indésirable lié à l’immunothérapie, il faut :
– éliminer les diagnostics différentiels ;
– évaluer le grade de sévérité selon le Common Terminology Criteria for Adverse Events version 5 (CTCAE v5) ;
– déterminer la conduite à tenir selon ce grade (surveillance/arrêt de l’immunothérapie/corticothérapie/immunosuppresseur) ;
– surveiller l’évolution et décider de la poursuite ou de l’arrêt définitif de l’immunothérapie.
Des recommandations détaillées permettent la prise en charge de chacun des effets indésirables. 4 Dans la majorité des cas, la suspension au moins temporaire du traitement n’est envisagée qu’à partir du grade 2.
Exceptions : les toxicités neurologiques et cardiaques – pour lesquelles elle est recommandée dès le grade 1 – et thyroïdienne et cutanée où elle n’est préconisée qu’à partir du grade 3.
De manière intéressante, on n’observe pas de nouvelle nocivité ou d’effet synergique en cas d’association chimiothérapie-anti-PD-1/PD-L1 mais plutôt un effet cumulatif, ajoutant le risque d’auto-immunité aux effets indésirables habituels de la chimiothérapie.

Questions en suspens

Aucun biomarqueur ne prédit aujourd’hui correctement l’efficacité de l’immunothérapie seule ou combinée à la chimiothérapie. Certes, l’expression de PD-L1 est gage d’une réponse à l’immunothérapie mais de façon imparfaite. Ainsi, certaines tumeurs n’y répondent pas en dépit d’une forte expression, et inversement, d’autres y sont sensibles alors même qu’elles ne l’expriment pas. La mesure de la charge mutationnelle tumorale, l’analyse du microbiote intestinal ou l’étude de l’infiltration lymphocytaire sont actuellement en cours d’évaluation.
Étant donné la complexité et l’intrication des phénomènes biologiques en jeu, il sera probablement nécessaire d’utiliser une combinaison de plusieurs de ces variables pour prédire l’efficacité des anti-PD-1/PD-L1.
Autre inconnue : la durée optimale du traitement. Dans les études, il était poursuivi jusqu’à progression ou toxicité au maximum 2 ans. Nous ne savons pas à l’heure actuelle s’il faut le maintenir au-delà ou, au contraire, s’il peut être arrêté plus précocement. La désescalade est un des grands enjeux des prochaines années.
Le schéma d’administration et les indications vont probablement encore évoluer. En effet, plusieurs études sont en cours pour évaluer l’immunothérapie en adjuvant ou néoadjuvant dans les stades précoces.
Certaines visent à améliorer l’efficacité des anti-PD-1/PD-L1 en les combinant avec d’autres inhibiteurs de point de contrôle immunitaire, des modulateurs du micro- environnement tumoral, des vaccins ou des thérapies cellulaires utilisant notamment des lymphocytes T génétiquement modifiés.5

Thérapies ciblées

Deuxième révolution de ces dernières années, elles sont fondées sur l’identification d’altérations moléculaires propres à chaque tumeur et reflètent parfaitement les possibilités de la médecine de précision.
Elles reposent sur le concept d’addiction onco­génique, modèle qui se distingue de celui, plus connu, de carcino­genèse multi-étapes où la cellule cancéreuse est l’étape finale d’un processus lent et progressif de modification d’une cellule initialement normale par l’accumulation d’altérations moléculaires. À l’inverse, dans l’addiction, le phénotype transformant est dû à l’acquisition d’une seule anomalie (le plus souvent génétique de type mutation ponctuelle, réarrangement chromosomique et amplification). La cellule cancéreuse devient alors dépendante d’une seule voie de signalisation, activée par l’altération moléculaire en cause. Corollaire : elle est vulnérable à l’inhibition de la voie dérégulée. Ce concept, dit de « talon d’Achille », sous-tend l’efficacité des thérapies ciblées, inhibiteurs ciblant spécifiquement la voie de signalisation pathologique. Leur usage requiert donc d’identifier au préalable l’aberration génétique en cause.
Les 2 grandes altérations moléculaires ciblées dans le cancer du poumon sont les mutations de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) et les réarrangements ALK (Anaplastic Lymphoma Kinase). Elles sont détectées dans 10 et 5 % des CBNPC, respectivement, plus particulièrement chez les non-fumeurs. Les thérapies développées pour freiner l’effet prolifératif induit sont des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), spécifiques d’EGFR ou ALK. Cette classe thérapeutique est reconnaissable au suffixe -ib.
Plusieurs ITK d’EGFR sont supérieurs à la chimiothérapie dès la première ligne de traitement des CBNPC EGFR-mutés de stade IV : géfitinib, Iressa ; erlotinib, Tarceva ; afatinib, Giotrif (amélioration de la survie sans progression). Il en va de même pour les ITK d’ALK dans les CBNPC ALK-réarrangés : crizotinib, Xalkori ; céritinib, Zykadia. D’une façon générale, la taille de la tumeur diminue chez la très grande majorité des patients. L’absence de progression tumorale dure environ 1 an en médiane mais peut atteindre plusieurs années. Néanmoins, la progression est inéluctable.
La tolérance est habituellement bonne, surtout comparée à celle de la chimiothérapie. Des effets secondaires cutanés (rash acnéiforme) ou digestifs (diarrhées) peuvent devenir gênants chez les patients traités sur une longue durée (jusqu’à progression). Il faut éviter les arrêts prolongés (> 1 semaine) en raison du risque de flambée tumorale (effet « flare up ») survenant en quelques semaines.
La majorité des mécanismes de résistance est connue. Il s’agit le plus souvent d’une nouvelle mutation émergeant au sein même de la kinase ciblée et empêchant l’ITK de la bloquer efficacement. Une nouvelle biopsie tumorale est alors nécessaire ou, lorsque la tumeur n’est pas accessible, une analyse sanguine, à la recherche d’ADN tumoral circulant (« biopsie liquide »).
Les ITK dits de « nouvelle génération » sont capables de surmonter les mutations de résistance, que ce soit dans les CBNPC EGFR-mutés (osimertinib, Tagrisso) ou dans les CBNPC ALK-réarrangés (alectinib, Alecensa ; brigatinib, Alunbrig ; lorlatinib, Lorviqua). Ils ont mon­tré leur intérêt vis-à-vis de certaines progressions chez un patient sous ITK mais sont également efficaces pour retarder davantage la pro­gression tumorale dès la première ligne. Cependant, là encore, elle est inéluctable.
Toutefois, l’émergence de ces thérapies a considérablement modifié le pronostic : la survie globale médiane est de l’ordre de 3 à 6 ans alors qu’elle n’était que de 1 an il y a encore quelques années.6

Encadre

1. Toxicités des anti-PD-1/PD-L1

• Hyper-,hypothyroïdie, hypophysite, insuffisance surrénalienne, diabète

• Rash/acné, prurit, psoriasis, vitiligo, DRESS Syndrome, syndrome de Stevens-Johnson

• Néphrites

• Anémie hémolytique, thrombopénie, neutropénie, hémophilie

• Arthrite, dermatomyosite

• Pneumopathie interstitielle diffuse, pleurésie, granulomatose sarcoïdose-like

• Neuropathie, syndrome de Guillain-Barré, encéphalite, méningite, myasthénie, myélopathie

• Myocardite, péricardite, vascularite

• Uvéite, conjonctivite, sclérite/épisclérite, blépharite, inflammation de la rétine

• Gastrite, colite, iléite, pancréatite

• Hépatites auto-immune

Encadre

2. Perspectives

D’autres altérations plus rares ont été détectées dans moins de 1 % des CBNPC : mutations BRAF, MET, HER2, réarrangement ROS1, RET, NTRK, NRG1.6 Le scénario est peu ou prou le même que pour les CBNPC EGFR-mutés dès lors qu’il existe une thérapie ciblée : efficacité rapide et spectaculaire, toxicité limitée mais progression tumorale systématique après quelques mois, voire années.

Toutefois, les mutations KRAS détectées dans 25 % des CBNPC principalement chez les Caucasiens fumeurs ne peuvent être ciblées dans leur totalité par les molécules actuelles. La mise au point d’un inhibiteur de KRAS est un grand défi. Les approches futures visent également le pool de cellules tumorales résiduelles qui survivent malgré l’ITK. Si les moyens d’éradiquer cette « maladie résiduelle » sont encore rudimentaires, une meilleure connaissance des mécanismes à l’œuvre fait espérer un contrôle plus prolongé.

Références
1.Santé publique France. Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. Tumeurs solides : étude à partir des registres des cancers du réseau Francim. Juillet 2019. https://bit.ly/2N2tvDr
2. Remon J, Ahn MJ, Girard N, et al. Advanced-Stage Non-Small Cell Lung Cancer: Advances in Thoracic Oncology 2018. J Thorac Oncol 2019;14:1134-55.
3. Champiat S, Lambotte O, Barreau E, et al. Management of immune checkpoint blockade dysimmune toxicities: a collaborative position paper. Ann Oncol 2016;27:559-74.
4. Brahmer JR, Lacchetti C, Schneider BJ, et al. Management of Immune-Related Adverse Events in Patients Treated With Immune Checkpoint Inhibitor Therapy: American Society of Clinical Oncology Clinical Practice Guideline. J Clin Oncol 2018;36:1714-68.
5. Remon J, Passiglia F, Ahn MJ, et al. Immune Checkpoint Inhibitors in Thoracic Malignancies: Review of the Existing Evidence by an IASLC Expert Panel and Recommendations. J Thorac Oncol 2020;15:914-47.
6. Remon J, Ahn MJ, Girard N, et al. Advanced-Stage Non-Small Cell Lung Cancer: Advances in Thoracic Oncology 2018. J Thorac Oncol 2019; 14:1134-55.

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essentiel

L’immunothérapie permet des réponses très longues, en particulier si la tumeur exprime fortement PD-L1.

Même si le recul est encore insuffisant, certains malades pourraient ne jamais progresser.

Effets secondaires spécifiques : maladies auto-immunes pouvant affecter n’importe quel organe.

Les thérapies ciblées ne sont prescrites qu’en cas d’altérations moléculaires génomiques, à rechercher dès le diagnostic.

Les réponses longues aux thérapies ciblées chez la majorité des patients sont systématiquement suivies d’une progression.