À compter de ce 1er septembre, toute personne surprise par les forces de l’ordre porteuse de cannabis (moins de 50 grammes) pourra se voir infliger une amende pouvant être réglée par voie postale ou électronique – si l’usager accepte la destruction de la substance. Ce sera, a priori, une amende de 200 euros mais qui pourra être minorée à 150 euros si elle est payée dans les quinze jours.
Le montant de cette amende pourra certes toutefois s’élever jusqu’à 450 euros en cas de retard de paiement – avec inscription au casier judiciaire et dans un fichier national spécialisé pour une durée de dix ans. On parle ici d’amende forfaitaire délictuelle (AFD), qui doit s’appliquer à « toutes les drogues » mais qui, officiellement, vise en particulier les consommateurs de cannabis.
Ce nouveau système a commencé à être mis en œuvre depuis la mi-juin dans quelques villes tests : Rennes, Créteil, Reims, Marseille et Lille. Mais comment justifier un tel système alors que la loi de 1970 est officiellement toujours en vigueur ? Une loi qui instaure une double série de mesures, sanitaires et répressives ; une loi qui considère l’usager de drogues comme un individu à la fois malade et délinquant. « Délinquant puisqu’elle incrimine spécifiquement l’usage solitaire et prévoit une peine d’emprisonnement ferme. Malade puisqu’elle prévoit une exemption de poursuites pénales pour les toxicomanes usagers simples qui acceptent de se soumettre à une cure de désintoxication », rappelle la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).
En pratique, la généralisation de l’AFD vise un objectif bien éloigné du sanitaire : désengorger les services judiciaires de police et les tribunaux, submergés par les procédures liées aux usages de stupéfiants ; un symptôme parmi d’autres des volumes de la consommation. Selon la Mildeca, la France compte 900 000 usagers quotidiens de cannabis (11-75 ans), et près de la moitié des adultes l’a déjà expérimenté – ce qui situe la France toujours en tête du classement européen.
Le pouvoir exécutif avance quant à lui d’autres justifications. Ainsi, Jean Castex, Premier ministre, explique qu’il s’agit ici de lutter « contre les points de revente qui gangrènent les quartiers ». Quant à Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, il assure que cette amende, qui sera appliquée « partout en France, dans les quartiers de Créteil comme dans le XVIe arrondissement de Paris » est une « technique qui consiste à tuer tout trafic de drogue ».
Dans le même temps, comment ne pas redouter que la standardisation et la systématisation de l’AFD conduisent rapidement à tarir toute possibilité d’orientation par la justice vers une filière de soins ?
Plus généralement, on observe, une nouvelle fois, que le pouvoir exécutif se réfugie dans le déni, refusant d’admettre qu’en dépit d’une politique parmi les plus répressives d’Europe les Français demeurent les premiers consommateurs de substances officiellement illicites. Faute d’aborder la question de la dépénalisation/légalisation, on laisse en place un modèle de prohibition qui laisse œuvrer les trafiquants sans permettre de prendre en charge les consommateurs à risque.
« Avec cette AFD, on est passé de la tronçonneuse inutilisable de la loi de 1970 à une agrafeuse de masse, commente dans Libération1 le Dr William Lowenstein, addictologue et président de SOS Addictions. La répression contre le trafic de stupéfiants a sa place en France. Mais à condition qu’elle se fasse en même temps que le soin, la prévention et la réduction des risques. Un pilier sécuritaire ne peut pas à lui seul corriger une politique de santé des addictions. »
Dès le 30 juillet, un collectif d’associations s’était formé en opposition à ce projet. Le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l’homme, la Fédération Addiction ou Médecins du monde dénonçaient une « promesse de fermeté illusoire » de la part du gouvernement. Mais rien n’y a fait ! Reste l’actuel ministre des Solidarités et la Santé, que l’on avait cru sensible à une politique de réduction des risques. Sur ce sujet, malheureusement, il se tait.
Référence
1.  Deloche C. Darmanin dégaine son serre-joints. Libération, 30 août 2020.