Si la consommation de cannabis chez l’enfant et l’ado est un facteur de risque connu de schizophrénie, la première étude d’envergure nationale – incluant près de 7 millions de personnes suivies sur cinq décennies – révèle que les hommes sont plus touchés que les femmes, et que la proportion de schizophrénies attribuables au cannabis est en forte augmentation. Explications…

La consommation de cannabis pendant l’enfance et l’adolescence est un facteur de risque environnemental connu de schizophrénie. Cette substance peut en effet précipiter l’entrée dans la schizophrénie des sujets vulnérables, d’une part, et d’autre part aggraver l’évolution de la pathologie de ceux qui l’ont déjà développée.

Toutefois, le poids de ce facteur de risque selon le sexe n’était pas bien établi, bien que certaines données suggèrent une vulnérabilité accrue des hommes. Une vaste étude danoise, la première à examiner ces questions à l’échelle de la population tout entière, est venue combler cette lacune, tout en confirmant des données concernant les âges les plus à risque.

Constatant une augmentation, ces dernières années, tant de la consommation de cannabis que des taux de THC (sa principale substance psychoactive) et des troubles liés à son usage, les chercheurs ont voulu savoir si ces tendances se reflétaient dans une hausse des schizophrénies liées au cannabis à l’échelle de la population. Plus précisément, ils ont voulu examiner si les associations entre troubles liés à l’usage du cannabis et schizophrénie variaient selon le sexe, et si ces variations dépendaient elles-mêmes de l’âge et changeaient avec le temps ; la proportion de schizophrénies attribuables aux troubles de l’usage de cannabis sur la période d’étude a fait l’objet des mêmes analyses.

Un risque près de 2 fois plus élevé pour les hommes que pour les femmes

À partir de registres incluant l’ensemble de la population danoise, les chercheurs du Mental Health Services in the Capital Region of Denmark et du National Institute on Drug Abuse des National Institutes of Health aux États-Unis ont donc analysé les données de tous les sujets âgés d’entre 16 et 49 ans à un moment donné au cours de la période 1972-2021 : au total, près de 7 millions de personnes, dont 45 327 cas diagnostiqués de schizophrénie.

Après ajustement pour des variables confondantes (antécédents de maladie psychiatrique, d’autres troubles liés à l’usage de substances psychotropes, etc.), le hazard ratio pour les personnes ayant un trouble de l’usage du cannabis d’être diagnostiqués avec une schizophrénie était de 2,31 (IC95 % : 2,24-2,40), par rapport aux personnes n’ayant pas des troubles de l’usage du cannabis. Mais ces associations étaient significativement plus fortes chez les hommes que chez les femmes (HR = 2,42 versus 2,02 respectivement), et ce particulièrement chez les adolescents et les jeunes adultes : pour les hommes de 16 à 20 ans, le HR était de 3,84, contre 1,81 pour les femmes de même âge ; entre 21 et 25 ans, ces chiffres étaient respectivement de 2,58 et 1,91.

Jusqu’à 30 % des schizophrénies évitables ?

De plus, les chercheurs ont estimé les proportions de schizophrénies attribuables aux troubles de l’usage de cannabis à l’échelle de la population : d’après leurs modélisations, elles étaient plus élevées chez les hommes que chez les femmes sur toute la période 1972-2021, augmentant en moyenne de 4,8 points de pourcentage par an pour les premiers, contre 3,2 pour les secondes – des augmentations qu’ils attribuent à la teneur croissante en THC du cannabis et à la prévalence croissante des troubles de l’usage.

En 2021 spécifiquement, ils ont estimé que 15 % des cas de schizophrénie chez les hommes âgés de 16 à 49 ans auraient pu être évités par la prévention des troubles de l’usage du cannabis, alors que cette proportion était de 4 % pour les femmes. Elle grimpait à 30 % pour les hommes âgés de 21 à 30 ans.

Les auteurs soulignent ainsi que la consommation de cannabis est un facteur de risque modifiable majeur pour prévenir la survenue des schizophrénies, en particulier chez les hommes très jeunes. Toutefois, ils signalent que les associations plus fortes observées chez les hommes ne doivent pas être mal interprétées : il ne s’agirait pas d’un signe d’une moindre vulnérabilité intrinsèque des femmes vis-à-vis des effets de ce psychotrope, mais plutôt de la prévalence moins élevée des troubles de l’usage du cannabis chez les femmes. Ils appellent néanmoins à la réalisation d’autres travaux qui permettent de mieux comprendre les mécanismes sous-tendant ces différences.

Enfin, bien que les registres sur lesquels se fonde cette étude n’aient pas permis pas de connaître certaines informations importantes – quantités de cannabis consommées par chacun, fréquence de l’usage, âge de début... –, ses résultats sont robustes et généralisables aux populations européennes, exposées aux mêmes tendances de consommation et aux mêmes types de cannabis que la population danoise.

Les auteurs pointent que ces résultats devraient façonner les politiques publiques, aussi bien en ce qui concerne l’accès et la vente de cannabis que les stratégies de prévention, dépistage et traitement des troubles liés à l’usage de cette substance.

Pour en savoir plus
Hjorthøj C, Compton W, Starzer M, et al. Association between cannabis use disorder and schizophrenia stronger in young males than in females.  Psy Med 4 mai 2023.
National Institut on Dryg Abuse. Young men at highest risk of schizophrenia linked with cannabis use disorder. 4 mai 2023.

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