Au lieu d’un passeport vaccinal jugé trop restrictif, vu le faible niveau de vaccination en Europe, l’Union européenne penche pour un « certificat vert numérique » ou « Coronavirus Digital Green Pass » qui devrait être mis en place avant l’été, comme annoncé par Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur. 

L’objectif : faciliter les déplacements et les voyages à l’étranger. Déclinable dans chaque pays et homogène sur le territoire européen, ce certificat sera disponible gratuitement, au format papier ou numérique sur les sites des ministères de la santé nationaux. Il permettra d’attester l’absence d’une contamination virale active par le SARS-CoV-2, de trois façons différentes : la personne a été vaccinée contre la Covid-19, ou a eu un test de dépistage négatif dans les 48 heures précédentes, ou alors elle a une sérologie positive. Un QR code sera scanné et donnera accès aux informations sur « l’état » du porteur. Dans un avis rendu le 29 mars, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ne s’oppose pas au dispositif, mais appelle à la vigilance : si le certificat vert numérique pourrait se justifier dans l’optique « de protéger les résidents du pays d’accueil de l’importation d’un virus », il devra respecter les « libertés individuelles et le principe d’équité ».

Dans cette formule, il n’y a pas de risque d’assimiler l’obtention de ce certificat à une obligation vaccinale, car les personnes qui ne voudraient pas se faire vacciner pourraient recourir aux autres modes de « preuve » prévus (test de dépistage négatif, sérologie).

Toutefois, certaines questions restent en suspens. Tout d’abord, on ne sait pas encore si et dans quelle mesure les personnes vaccinées peuvent encore transmettre le virus, bien que de premières études soient encourageantes. De plus, quelle sera la durée de ce certificat ? Nous ne savons pas non plus déterminer avec certitude la durée de l’immunité après vaccination pour les quatre vaccins autorisés en Europe, ni après infection par le SARS-CoV-2. Quel sera le seuil d’anticorps retenu pour les tests sérologiques ? Il faudra également veiller à ne pas donner un sentiment de fausse sécurité si des tests de détection du virus non fiables, voire des contrefaçons, étaient utilisés (autotests, par exemple), en particulier s’ils sont effectués à domicile. Autre point obscur : l’application de cette mesure aux enfants (surtout les plus jeunes), qui ne bénéficient pas de la vaccination pour l’instant et pour qui les tests sont particulièrement pénibles…

Parallèlement, la France réfléchit à un « pass sanitaire » qui permettrait l’accès aux concerts, restaurants ou salles de spectacle au moment de leur réouverture, comme annoncé par le président de la République le 25 février. Dans ce cas, les enjeux éthiques sont plus complexes. Selon le CCNE, même si l’application d’un « pass sanitaire » pourrait être justifiée pour des raisons sanitaires, économiques, sociales, culturelles, elle nécessitera de définir, de façon très rigoureuse, le cadre éthique dans lequel ce dispositif sera déployé.

Sa mise en place pratique soulève en effet de nombreuses questions : quels établissements seront autorisés à demander la présentation de ce pass ? Sur quelle base juridique ? Qui pourra accéder à des dérogations ? Quelles données seront collectées, pendant combien de temps seront-elles conservées ? Quelle sera sa durée ? Il faudra également mettre en œuvre une démarche d’information et d’accompagnement considérable auprès des utilisateurs, ainsi que des mesures strictes de régulation et de contrôle. Par l’intrusion dans la vie privée qu’il constitue, ce dispositif a un risque de mésusage réel au-delà de son application dans le cadre de la pandémie : traçage, rupture du secret médical, accessibilité de ces données à des personnes privées. Le fichier SI-DEP, qui recense les résultats des tests, ou la base de données SI Vaccin Covid, qui recense à la fois les personnes effectivement vaccinées et celles qui sont invitées à le faire, accessibles uniquement aux professionnels de santé soumis au secret médical, n’ont pas été créés à cette fin…

 

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien