S’il est bien connu que l’arrêt du tabac diminue la mortalité et la morbidité, l’ampleur de ses effets et leur rapidité en fonction de l’âge et de la durée du sevrage restent à préciser. Une vaste étude sur 1,5 million d’adultes parue dans le NEJM fournit de nouvelles données édifiantes.

Une étude qui vient de paraître dans le NEJM Evidence examine, sur 4 cohortes nationales (États-Unis, Royaume-Uni, Norvège et Canada), la rapidité et l’ampleur des bénéfices de l’arrêt du tabac en fonction de l’âge au moment du sevrage et du nombre d’années écoulées depuis celui-ci. Les données concernent aussi bien la mortalité toutes causes que la mortalité par des maladies liées à la consommation de tabac.

Sur un total de 1,48 million d’adultes, âgés de 20 à 79 ans, les chercheurs ont comparé les fumeurs, les non-fumeurs et les personnes ayant arrêté de fumer avant 40 ans, entre 40 et 49 ans, entre 50 et 59 ans et entre 60 et 79 ans. Ils ont divisé les cohortes entre les personnes ayant arrêté de fumer depuis moins de 1 an, entre 1 et 3 ans auparavant, entre 3 et 9 ans auparavant, et depuis 10 ans ou plus.

Les données de ces 4 cohortes nationales étaient examinées pour la période 1974 - 2018. Sur une durée moyenne de suivi de 15 ans, 122 697 décès ont été enregistrés (suivi de 23 millions de personnes-années).

Tous âges confondus, l’arrêt du tabac divise par 2 le sur-risque de mortalité des anciens fumeurs

La mortalité toutes causes était multipliée par 2,8 chez les femmes fumeuses et 2,7 chez les hommes fumeurs, par rapport à leurs pairs n’ayant jamais fumé (résultats ajustés pour l’âge, le niveau éducatif, la consommation d’alcool et l’obésité).

En termes d’espérance de vie, cette surmortalité se traduisait, chez les 40 - 79 ans, par une survie réduite de 12 ans pour les fumeuses et de 13 ans pour les fumeurs par rapport aux non-fumeurs (toutes causes de mortalité confondues). Ces chiffres grimpaient à 24 et 26 années de vie perdues en considérant uniquement les morts imputables au tabagisme.

À tout âge, les sur-risques de mortalité les plus élevés chez les fumeurs par rapport à ceux n’ayant jamais fumé concernaient :

  • les maladies respiratoires : hazard ratio (HR) de 7,6 pour les femmes et 6,3 pour les hommes ;
  • les maladies vasculaires : HR de 3,1 et 2,9 respectivement ;
  • les cancers : HR de 2,8 et 3,1 respectivement.

L’arrêt du tabac divisait par 2 ce sur-risque global : en effet, le HR pour la mortalité toutes causes était de 1,3 pour les anciens fumeurs et fumeuses, quels que soient l’âge au sevrage et la durée considérés, comparés aux personnes n’ayant jamais fumé. Les maladies respiratoires étaient celles pour lesquelles le sur-risque des anciens fumeurs demeurait le plus élevé (HR : 1,9). Au contraire, les maladies vasculaires étaient celles pour lesquelles ce sur-risque diminuait le plus après l’arrêt (HR : 1,2).

Les personnes sevrées avant 40 ans ont une mortalité semblable à celle des non-fumeurs dès 3 ans après le sevrage

Si le sevrage à tout âge est associé à une amélioration de la survie, les chercheurs ont voulu préciser l’amplitude de ces bénéfices selon le moment de l’arrêt et sa durée.

Pour la mortalité toutes causes, avoir arrêté de fumer depuis plus de 10 ans induisait une réduction de l’excès de risque de mortalité à des niveaux comparables au risque de mortalité des personnes de même âge n’ayant jamais fumé. Par exemple, un sevrage ≥ 10 ans était associé, pour les personnes d’entre 40 et 49 ans, à une réduction de cet excès de risque de 99 % pour les femmes et 96 % pour les hommes ; ces chiffres étaient respectivement de 95 % et 92 % pour les 50 - 59 ans (âge auquel le pic de sevrage tabagique était atteint dans les 4 cohortes étudiées).

Une grande partie de l’amélioration de la survie à long terme est observée dès les premières années suivant le sevrage, et d’autant plus que celui-ci intervient à un jeune âge. En effet, avoir arrêté de fumer depuis moins de 3 ans était associé :

  • à une réduction de 95 % (femmes) à 90 % (hommes) de l’excès de risque de mortalité lorsque le sevrage était réalisé avant l’âge de 40 ans ;
  • de respectivement 81 % et 61 % pour un sevrage entre 40 et 49 ans ;
  • de 63 % et 54 % pour un sevrage entre 50 et 59 ans ;
  • de 40 % et 33 % pour un sevrage entre 60 et 79 ans.

En termes d’années d’espérance de vie gagnées entre 40 et 79 ans :

  • en considérant les décès toutes causes :
    • les femmes ayant arrêté de fumer depuis moins de 3 ans gagnaient 5,1 années et les hommes 5,5 années par rapport à leurs pairs qui fumaient encore ;
    • lorsque le sevrage datait de plus de 10 ans, ces chiffres montaient à 9,6 années et 9,9 années respectivement ;
  • en considérant les décès par maladies respiratoires :
    • pour un sevrage < 3 ans, le gain était de 9,9 années (femmes) et 7,5 années (hommes) ;
    • pour un sevrage ≥ 10 ans, le gain était de 15,1 années (femmes) et 12,3 années (hommes) ;
  • en considérant les décès par cancer :
    • pour un sevrage < 3 ans, le gain était de 4,6 années (femmes) et 4,5 années (hommes) ;
    • pour un sevrage ≥ 10 ans, le gain était de 8,7 années (femmes) et 8,2 années (hommes) ;
  • en considérant les décès par maladie vasculaire :
    • pour un sevrage < 3 ans, le gain était de 5,2 années (femmes) et 7,0 années (hommes) ;
    • pour un sevrage ≥ 10 ans, le gain était de 9,4 années (femmes) et 12,1 années (hommes).

Enfin, dans les analysées groupées, la survie jusqu’à 80 ans était la plus élevée lorsque le sevrage était intervenu avant 40 ans (12 années d’espérance de vie gagnées), suivie d’un sevrage entre 40 et 49 ans (6 années gagnées) et enfin entre 50 et 59 ans (2,5 années gagnées).

Si ces résultats ne sont pas surprenants, compte tenu du fait que l’impact de la durée du tabagisme est plus élevé que celui du nombre de cigarettes fumées par jour, ils fournissent des estimations plus optimistes que celles établies auparavant, notamment sur le sevrage précoce – gain d’espérance de vie précédemment estimé à 9 ans pour un sevrage à 40 ans (HAS, 2016) –, mais aussi sur les bénéfices d’arrêter le tabac même à un âge tardif.

En conclusion, cette étude sur 4 vastes cohortes d’envergure nationale apporte des données supplémentaires confirmant que l’arrêt du tabac à tout âge est associé à une baisse de la surmortalité, qu’elle soit globale ou par maladies vasculaires, respiratoires et néoplasiques. Le gain d’espérance de vie est d’autant plus important que le sevrage est fait à un jeune âge, surtout avant 40 ans, mais persiste si le sevrage est fait à des âges plus avancés. Un message important pour les patients : le bénéfice sur la réduction de la surmortalité est observé dès les trois premières années suivant le sevrage.

Pour en savoir plus
Cho ER, Nrill IK, Gram IT, et al. Smoking Cessation and Short- and Longer-Term Mortality. N Engl J Med Evid 8 février 2024.

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