Les cancers diagnostiqués avant 15 ans concernent 1 enfant sur 350 en Europe. Au moins 10 % sont liés à des mutations germinales rares, mais les causes des autres restent mal élucidées, empêchant le développement de stratégies de prévention.
L’allaitement maternel serait un facteur protecteur contre les cancers pédiatriques, notamment les leucémies, selon plusieurs études. Mais, s’agissant d’études cas-témoins, sujettes à des biais de mémoire et de sélection, les preuves sont incertaines.
Pour la première fois, une vaste étude de cohorte prospective basée sur une population nationale a exploré le lien entre la durée de l’allaitement exclusif et le risque de plusieurs cancers pédiatriques. Ses résultats viennent de paraître dans le JAMA.
Plus de 30 % de réduction du risque de leucémie
Les chercheurs ont utilisé le registre administratif national de la santé des enfants au Danemark, soit les données de tous les enfants nés dans les pays entre janvier 2005 et décembre 2018. Ceux pour lesquels des données sur la durée de l’allaitement (recueillies par les infirmières puéricultrices au cours de la première année de vie de l’enfant) étaient disponibles ont été inclus.
Ainsi, la cohorte analysée était composée de 309 473 enfants (51,3 % de garçons), dont 33,6 % ont été nourris exclusivement au sein pendant moins de 3 mois, 46,8 % pendant 3 à 5 mois et 19,6 % pendant plus de 6 mois ; 11,9 % n’ont jamais été exclusivement nourris au sein, ou l’ont été pendant moins de 14 jours après la naissance. Contrairement à la définition de l’allaitement maternel exclusif de l’OMS (plus stricte), dans cette étude, l’enfant était considéré comme nourri exclusivement au sein si l’allaitement était sa source primaire de nutrition, complétée seulement par de l’eau et par maximum un repas de lait artificiel par semaine.
Les enfants étaient suivis de leur première année jusqu’à soit leur 15e année, soit un diagnostic de cancer, soit la perte de vue, ou jusqu’en décembre 2020. Sur un suivi total de 1 679 635 personnes-années, 332 enfants (0,1 %) ont eu un diagnostic de cancer (âge moyen au diagnostic : 4,2 ans) ; 37,3 % étaient des cancers hématologiques (dont 65,3 % des leucémies lymphoblastiques aiguës, quasi-exclusivement de type B), 13,3 % des tumeurs du système nerveux central, 24,1 % des tumeurs solides et le reste des néoplasies malignes non spécifiées.
L’allaitement maternel exclusif durant 3 mois ou plus était associé à une réduction de 34 % du risque de cancer hématologique, comparé à l’allaitement maternel exclusif de moins de 3 mois (AHR = 0,66 ; IC95 % : 0,46 - 0,95). Cette réduction du risque était en grande partie attribuable à la diminution du risque de leucémie lymphoblastique aiguë de type B (AHR = 0,62 ; IC95 % : 0,39 - 0,99). Aucune différence significative n’a été observée pour les tumeurs du système nerveux central ni les tumeurs solides. L’analyse était ajustée pour des facteurs potentiellement confondants tels que l’âge de la mère au moment de l’accouchement, l’âge gestationnel, le type d’accouchement et le niveau éducatif de la mère.
Ces résultats confirment ceux d’études antérieures, notamment d’une analyse combinée de plusieurs études cas-témoin internationales (plus de 10 000 enfants atteints de leucémie lymphoblastique aiguë) ayant trouvé que les enfants allaités exclusivement pendant plus de 4 moins 30 % moins de risque de développer ce cancer que ceux n’ayant jamais été allaités.
L’un des mécanismes pouvant expliquer ce rôle protecteur de l’allaitement – si cette association s’avérait causale – est l’effet crucial joué par celui-ci dans la formation du microbiote intestinal de l’enfant et dans la régulation de son système immunitaire. L’une des hypothèses physiopathologiques des leucémies lymphoblastiques aiguës de type B est, en effet, qu’une mutation génétique survient in utero, donnant lieu à un clone « préleucémique » ; or celui-ci n’aboutirait au développement d’une néoplasie maligne que chez les enfants ayant une dysrégulation du système immunitaire. Toutefois davantage de recherches sont nécessaires pour confirmer et mieux comprendre le rôle protecteur de l’allaitement exclusif à cet égard.
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