Le terme « chemsex » (contraction de « chemical sex ») fait référence à la prise volontaire de substances psychoactives lors de rapports sexuels, afin de les faciliter, les augmenter ou les intensifier. Cette pratique est, à ce jour, décrite essentiellement chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). La prévalence dans cette population n’est pas bien connue, elle va de 3 à 29 %.1 Le pic d’usage serait situé entre 32 et 42 ans.1 Cette pratique ne concerne qu’une minorité de rapports homosexuels, mais elle est fréquente parmi les HSH consultant pour IST.
Le chemsex se distingue des rapports sous l’emprise de substances (alcool, cannabis…) par l’emploi de nouveaux produits de synthèse, au premier rang desquels les cathinones (encadré). Méthamphétamine, GHB (acide gamma- hydroxybutyrique), poppers, cocaïne ou kétamine (tableau) sont également utilisés. Le « slam » est la prise par voie intraveineuse. Très souvent, il y a un polyusage des produits, choisis selon le contexte et leur disponibilité.
Les effets recherchés à visée sexuelle sont désinhibition, empathie artificielle, augmentation des performances ; les consommateurs évoquent aussi une action euphorisante contre des affects dépressifs et un arrêt des ruminations négatives. Le chemsex serait alors un moyen de lutte contre la solitude.
Les prises de substances peuvent se répéter jusqu’à une dizaine de fois lors d’une même session, notamment dans le cas du slam. Cela peut s’expliquer par leur effet psychotrope fugace (moins de 1 heure en général). De plus, la plupart n’ont pas d’effet positif sur la fonction érectile. L’usage complémentaire de médicaments capables de l’améliorer (sildénafil, tadalafil…) est très fréquent, et majore le risque cardiovasculaire.
Les consommateurs parlent de « plan », volontiers associé à la pratique de sexe en groupe, organisé via des applications en ligne, et dont la durée est généralement de plusieurs heures, jusqu’aux « marathons sexuels » de 24-48 heures.
Les représentations associées au chemsex, parfois relayées par les patients, peuvent être celles d’une pratique très standardisée et hédoniste. Pourtant, les usages des produits et leurs vocations sont très variés : lutte contre une anxiété de performance sexuelle ou diminution de la libido, support à la sexualité du couple, voire utilisation solitaire, parfois sans sexualité.
Chez les patients consultant pour chemsex, on retrouve souvent une dégradation importante du fonctionnement psychosocial et sexuel.

Quels dangers ?

Les risques liés à chaque produit (tableau) sont potentialisés par le poly-usage et la prise de substances moins spécifiques (alcool, cannabis, ecstasy/MDMA, benzodiazépines…). Les accidents surviennent aussi quand la nature du produit n’est pas connue.
La pratique du chemsex est associée à une augmentation des rapports sexuels non protégés de 3 à 10 fois, et participe probablement à la recrudescence actuelle des IST au niveau mondial.3 Le slam est à très haut risque de transmission du virus de l’hépatite C. Les HSH concernés ont plus souvent recours à la prophylaxie dite PreP que les autres.2 Le traitement antirétroviral des sujets vivant avec le VIH (avec pour objectif la non-transmissibilité, garantie par une charge virale indétectable) est indispensable pour limiter le risque infectieux.
Une détérioration de la vie sexuelle est fréquemment décrite chez ces sujets. Des rapports sans produit deviennent souvent impossibles, ou décrits comme insipides. Pour certains, la sexualité se résume alors à la prise de substances, seul, avec ou sans support pornographique.
Sur le plan addictologique, les psycho- stimulants utilisés sont très pourvoyeurs de craving (désir puissant ou compulsif de consommer une substance psycho- active). Cela participe pour beaucoup à la pérennisation des conduites addictives. Le craving pour les produits, mais aussi comportemental envers l’injection et le sexe, est souvent ce qui met le plus en difficulté les patients en demande d’aide. L’usage est rarement continu, initialement plutôt circonscrit au week-end, mais l’intervalle sans consommation peut se réduire rapidement chez certains.
Peu d’études évaluent de manière fine les liens avec des troubles psychiques. Les principales complications aiguës sont la pharmacopsychose (épisode délirant aigu induit par les substances) [tableau] et la « descente » (tristesse franche pendant 36-48 h, parfois accompagnée d’idées suicidaires). De manière longitudinale, on retrouve fréquemment chez les consultants des comorbidités dépressives, anxieuses et un trouble de l’usage de l’alcool.2 Un événement de vie fragilisant (rupture, deuil, licenciement…) est souvent associé aux premières consommations.
Sur le plan social, les conséquences sont lourdes : difficultés professionnelles, isolement, appauvrissement du réseau, qui devient essentiellement centré sur la pratique du chemsex.

Quels enjeux ?

À la différence de la plupart des autres pays, les substances les plus utilisées en France sont les cathinones, loin devant la méthamphétamine.4 Le manque de connaissance des soignants sur cette pratique, mais aussi la gêne des patients à l’évoquer, peuvent être des écueils à leur prise en charge. Au vu de la prévalence, il paraît indispensable de dépister les sujets à risque : HSH consultant pour une maladie infectieuse, PreP, pharmaco- psychose ou descente (motivant souvent un passage aux urgences).
La prise en charge, multidisciplinaire, doit prendre en compte santé sexuelle et psychique. Pour les patients n’ayant plus de sexualité sans substances, il faut viser la réduction des risques : par exemple, arrêter la prise en IV ou les produits les plus pourvoyeurs de pharmacopsychose. Ces objectifs semblent plus réalistes initialement que l’abstinence complète, qui est perçue comme synonyme d’arrêt de la sexualité.
Les pouvoirs publics ont récemment inscrit les problématiques liées au chemsex dans une stratégie nationale de santé sexuelle (2017-2030). Les recommandations portent sur la formation des professionnels de santé, le développement de moyens d’aller vers ces publics par les établissements médicosociaux et la promotion d’une offre de santé sexuelle globale visant à réduire les risques et les dommages liés à ces pratiques.
Mieux étudier ce phénonème permettrait d’améliorer la prise en charge de ces patients souvent vulnérables.
* D’après l’article Addictions et comorbidités psychiatriques.Rev Prat 2018;68:676-9.
Encadre

Cathinones de synthèse : de nombreuses substances*

Les plus populaires sont la méphédrone, la méthylone, la 3,4-méthylènedioxy-pyrovalérone (MDPV), la 4-méthylméthcathinone (4-MEC), la 3-fluoro-méthcathinone (3-FMC), la 4-FMC, la buphédrone, la butylone, la pentédrone, l’α-PVP (flakka) et la naphyrone. Elles se présentent sous forme de poudre cristalline la plupart du temps et sont essentiellement consommées par voie orale, « bombing » (ingestion de poudre dans une feuille roulée comme un parachute), par voie intranasale, « sniff», par voie intrarectale, « plug », ou par voie IV, « slam » (qui signifie claquer, en raison de la montée rapide et intense de l’effet psychoactif). D’autres administrations comme la voie inhalée (fumée) ou ophtalmique ont été rapportées.

Les effets recherchés varient selon la substance consommée et la voie d’administration. En comparaison avec la cocaïne, 50 % des consommateurs rapportent de meilleurs effets avec la méphédrone et 60 à 75 % une durée d’action plus longue. Environ 50 % des usagers pensent que cette dernière est moins addictogène.

* D’après l’article Addictions et comorbidités psychiatriques.Rev Prat 2018;68:676-9.

Ressources
1. Maxwell S, Shahmanesh M, Gafos M. Chemsex behaviours among men who have sex with men: A systematic review of the literature. Int J Drug Policy 2019;63:74-89.
2. Tomkins A, George R, Kliner M. Sexualised drug taking among men who have sex with men: a systematic review. Perspect Public Health 2019;139:23-33.
3. Pufall EL, Kall M, Shahmanesh M, et al.; Positive Voices study group. Sexualized drug use (‘chemsex’) and high-risk sexual behaviours in HIV-positive men who have sex with men. HIV Med 2018;19:261-70.
4. Batisse A, Peyrière H, Eiden C, Courné MA, Djezzar S; Réseau français des centres d’addictovigilance. Use of psychostimulants in a sexual context: Analysis of cases reported to the French network of Addictovigilance Centers. Therapie 2016;71:447-55.
Numéro d’appel d’urgence : 01 77 93 97 77, mis en place par l’association AIDES.
Consultations « Slam et chemsex » dans certains centres hospitaliers ou d’addictologie, CSAPA.
Brochures conçues pour diffuser l’information sur les risques auprès des usagers :
– Actions Traitements, ENIPSE (équipe nationale d’intervention en prévention et santé pour les entreprises). Es-tu clair avec les risques que tu prends ? Août 2016 https://bit.ly/2Xr5ne8
– Checkpoint, AIDES. Plan Chems – Injection. 2016. https://bit.ly/2JiMAfV
– Checkpoint, AIDES. Plan Chems – Polyconsommation. 2016. https://bit.ly/32HcEch
– ENIPSE. Chemsex. Drogues et plans sex. Février 2017. https://bit.ly/2WaVGkf
– Respadd. Livret d’information Chemsex. https://bit.ly/2WS2Qu8

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essentiel

Le chemsex est une pratique minoritaire parmi les hommes homosexuels, mais très fréquente chez ceux consultant pour IST.

C’est une conduite à haut risque infectieux, addictologique et psychiatrique.

La prise en charge est multidisciplinaire.