Cette nouvelle pratique consiste en la prise volontaire de substances psychoactives lors de rapports sexuels, afin de les faciliter ou les intensifier. Si les associations s’inquiètent de son essor, surtout depuis le confinement, aucun travail approfondi n’avait été mené en France. Le Pr Amine Benyamina s’y est attelé, dans un rapport livré récemment au ministère.
Le terme « chemsex » (contraction de « chemical sex ») fait référence à la prise volontaire de substances psychoactives lors de rapports sexuels, afin de les faciliter, les augmenter ou les intensifier. Il se distingue des rapports sous l’emprise de substances (alcool, cannabis…) par l’emploi de nouveaux produits de synthèse (NPS), au premier rang desquels les cathinones (méphédrone, méthylone, buphédrone, etc., consommées sous forme de poudre cristalline par voie orale, intranasale, rectale ou intraveineuse), mais aussi les méthamphétamine, GHB (acide gamma hydroxybutyrique), poppers, cocaïne ou kétamine.
Imparfaitement connue jusqu’à présent, cette pratique a fait l’objet d’un premier rapport exhaustif rendu récemment au ministère de la Santé, écrit par une équipe de psychiatres, addictologues et infectiologues sous la direction du Pr Amine Benyamina (hôpital Paul-Brousse, Villejuif).
D’après ce rapport, le chemsex a pris son essor en France vers 2010, en lien avec l’arrivée progressive de différentes cathinones de synthèse et autres NPS, surtout au sein de la communauté gay : jusqu’à 20 % des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes [HSH]seraient concernés (vie entière) soit un nombre estimé entre 100 000 et 200 000 en France. Aujourd’hui il y a des signes de diffusion dans d’autres populations, liée notamment à la démocratisation des applications de rencontres (qui favoriseraient les « aventures d’un soir ») ; toutefois, le nombre exact est encore mal évalué.
Quels risques ?
Les principaux risques et dommages propres à chaque produit, qu’ils soient somatiques ou psychologiques/psychiatriques, sont détaillés dans le tableau ci-contre. Les principales complications aiguës sont la pharmacopsychose (épisode délirant aigu induit par les substances) et la « descente » (tristesse franche pendant 36-48 heures, parfois accompagnée d’idées suicidaires). De manière longitudinale, on retrouve fréquemment : comorbidités dépressives et anxieuses, trouble de l’usage de l’alcool.
Sur le plan addictologique, les psychostimulants utilisés entraînent volontiers un craving (désir puissant ou compulsif de consommer une substance psychoactive), qui participe à la pérennisation des conduites addictives. Le craving pour les produits, mais aussi comportemental (injection, sexe), est souvent ce qui met le plus en difficulté les patients en demande d’aide.
Selon une étude menée par le centre d’addictologie de Paris, 24 personnes sont décédées d’une overdose liée au chemsex entre 2008 et 2017. Sur les 235 cas analysés par l’étude, les principales complications rapportées étaient les troubles de l’usage (63 %), neurologiques (50 %) et les manifestations cardiovasculaires (50 %). On compte 22 cas de coma (surtout lié la consommation de GBL).
L’utilisation de ces drogues, par voie intranasale, intraveineuse ou en « plug » (voie intra-rectale), ainsi que les pratiques sexuelles majorent le risque de transmission des infections sexuellement transmissibles (rapports sans préservatifs, multiplicité des partenaires…) mais aussi du virus de l’hépatite C, étant donné la pratique du « slam » (prise des substances par voie intraveineuse).
La pratique du chemsex est en effet retrouvée plus fréquemment parmi les patients consultant pour IST. De plus, les personnes pratiquant le chemsex utilisent plus fréquemment la PrEP (prophylaxie préexposition) contre le VIH, avec une bonne observance selon le rapport.
L’analyse conclut sur les actions à mettre en place pour mieux repérer les adeptes de chemsex et améliorer leur prise en charge. Le Pr Benyamina préconise une politique d’« aller vers », passant en premier lieu par les associations de toxicomanes et d’homosexuels, pour sensibiliser sur la prévention et la réduction des risques. « Pour votre santé, n’utilisez pas de drogues pour favoriser vos pratiques sexuelles. Si vous utilisez des drogues dans ce contexte, ne les utilisez pas en injection ou en sniff. Si vous les utilisez en injection ou en sniff, utilisez du matériel stérile. Si vous n’utilisez pas de matériel stérile, vérifiez régulièrement que vous n’avez pas contracté une maladie infectieuse. ».
Beaucoup de professionnels de santé ne savent pas où orienter ces patients au niveau local. Une cartographique par les ARS par région, à diffuser auprès des soignants, pourrait être plus que pertinente. Le rapport incite aussi à mettre en place un éventuel dispositif de télémédecine au moins pour le repérage ou le suivi des personnes éloignées des grands centres urbains.
Benyamina A. Rapport « Chemsex ». Ministère des Solidarités et de la Santé, 17 mars 2022.
Blanc JV. Chemsex : nouvelle conduite à haut risque.Rev Prat Med Gen 2019;33(1029);760-1.
Djezzar S, Bâtisse A. Complications cliniques des nouvelles drogues de synthèse.Rev Prat 2018;68(1);79-82.