La chicha, encore appelée narghilé, narguilé, waterpipe ou hookah, devenue populaire chez les adolescents et jeunes adultes en France, est « une pipe à eau ». Elle permet de fumer une préparation de tabac, aromatisée ou non, brûlée par des braises de charbon, la fumée produite étant refroidie en passant au travers de l’eau avant l’inhalation.1
Quelle prévalence ?
Selon l’OMS, son usage concernerait plus de 100 millions de personnes dans le monde, principalement en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. En France, d’après le dernier rapport de l’OFDT,2en 2022, un jeune sur trois (33,3 %) avait déjà eu recours à la chicha au moins une fois dans sa vie (fig. 1). L’usage récent reste majoritairement masculin : en 2022, 13,1 % des garçons ont fumé la chicha au cours du mois précédant l’enquête, contre 7,9 % des filles. Ces chiffres sont en nette baisse par rapport à 2017, où 49,9 % des jeunes avaient déjà expérimenté la chicha.
Cependant, malgré ce recul, la chicha semble jouir d’une image plus positive que la cigarette chez les jeunes, et les expérimentations exclusives se stabilisent aux alentours de 6 % entre 2018 et 2021 (fig. 2).3 Ainsi, l’usage de la chicha pourrait devenir un mode supplétif à la consommation de cigarettes de tabac pour une part notable des jeunes.
Un effet multiplicateur sur les substances inhalées
L’usage de la chicha s’accompagne de 150 à 200 aspirations de 2 à 3 secondes chacune, d’un volume moyen d’environ 500 mL (fig. 3). Une session de chicha dure en moyenne de 45 à 60 minutes pour un volume total de fumée inhalée de 40 à 100 L.
Les substances inhalées sont les mêmes que celles contenues dans la fumée des cigarettes, mais les taux de nicotine, de goudron et de monoxyde de carbone (CO) sont plus élevés. La combustion plus douce du narguilé génère plus de monoxyde de carbone (taux de CO expiré mesuré par le CO-testeur) que la cigarette.
Selon une méta-analyse4 portant sur 542 études (parmi lesquelles 17 études comparant les produits inhalés entre une séance de chicha et la consommation d’une cigarette), un consommateur inhale 123 fois plus de fumée au cours d’une session chicha que lorsqu’il fume une cigarette, mais aussi 25 fois plus de goudron, 10 fois plus de monoxyde de carbone et 2,5 fois plus de nicotine (tableau).
L’OMS estime que :5
- l’équivalent d’une cigarette est fumée en 8 à 12 bouffées de chicha sur une durée de 5 à 7 minutes,
- une séance de chicha est consommée en moyenne avec 50 à 200 bouffées sur une durée de 40 à 60 minutes.
Les effets de la cigarette et d’autres aussi…
La chicha contient de la nicotine et son usage induit une dépendance ; la fumée est pour sa part à l’origine d’effets toxiques.6 Les effets aigus sont rapportés dans l’encadré ci-dessous.
À plus long terme, les substances cancérigènes présentes dans la fumée peuvent entraîner des cancers (poumon, cavité buccale, vessie, estomac).
Des maladies infectieuses sont favorisées par le partage du tuyau de la chicha : infections pulmonaires (aspergillose, tuberculose) ou virales (herpès, oreillons, voire SARS-CoV-2) conduisant à conseiller l’usage d’embouts personnels.
La consommation régulière durant la grossesse est incriminée dans la diminution du poids de naissance des nouveau-nés.
Les risques cardiovasculaires paraissent similaires à ceux occasionnés par la cigarette ; ainsi, après 30 minutes de fumage de chicha, la fréquence cardiaque et la pression artérielle augmentent significativement, de même que s’accroît le risque d’AVC chez l’usager régulier.7 La chicha entraîne le développement d’un stress oxydant et d’une inflammation de la sphère respiratoire à l’origine de dyspnée ou sibilances de survenue parfois précoce. Les mesures du souffle identifient le plus souvent un trouble obstructif touchant les voies aériennes distales. Enfin, les fumeurs exclusifs de chicha ont une qualité de vie diminuée.
Risque environnemental
Des taux de CO de 25 à 75 ppm sont retrouvés dans les bars à chicha associés à la présence d’un nombre élevé de particules (PM2,5), favorisé par l’atmosphère confinée des lieux ; des cas d’intoxication au CO affectant le personnel des bars ont été rapportés, requérant la mise en caisson hyperbare.8
Un mode d’entrée dans le tabagisme
L’initiation à la cigarette paraît plus fréquente chez les utilisateurs initiaux de chicha (odds ratio : 2,54 ; IC95 % : 1,60-4,02), ce qui soutiendrait la théorie selon laquelle l’usage de la chicha serait une porte d’entrée vers le tabagisme.9 Depuis le 1er janvier 2007, l’interdiction de fumer dans des lieux fermés accueillant du public s’applique à la chicha. Une méta-analyse Cochrane conclut à l’utilité d’une prise en charge comportementale, associée aux mêmes pharmacothérapies du sevrage de la cigarette pour les fumeurs de chicha. Ces derniers peuvent bénéficier du soutien des Consultations jeunes consommateurs (CJC), de Tabac Info Service ou des consultations de tabacologie.
Quid de la chicha électronique ?
Pour remplacer le dispositif avec charbon et éviter les risques liés à la combustion, il existe des chichas électroniques qui sont l’équivalent de la cigarette électronique mais pour la chicha. Dans ce cas, du e-liquide est versé dans un contenant en haut du dispositif, à la place du tabac comme pour le dispositif originel. Cela permet d’inhaler cette fois non pas de la fumée mais de la vapeur. Pour autant, les e-liquides peuvent contenir de la nicotine et présenter un risque de dépendance.
Informer
La dangerosité de l’usage de la chicha doit être reconnue à l’égal de celle du tabac. Son attractivité pour les plus jeunes est d’autant plus préoccupante qu’elle peut constituer un mode d’entrée dans le tabagisme. Des campagnes d’information à leur intention doivent être intensifiées.
Qu’en retenir ?
- Au cours d’une session chicha, un consommateur inhale plus de fumée que lorsqu’il fume une cigarette, mais aussi plus de goudron et plus de nicotine.
- La combustion plus douce du narguilé génère d’ailleurs plus de monoxyde de carbone (taux de CO expiré mesuré par le CO-testeur) que la cigarette.
- Le partage fréquent de l’embout entre les participants expose aux risques de transmission de maladies infectieuses, telles que l’herpès, l’hépatite ou la tuberculose.
- Des mesures de lutte contre cette pratique (réglementaires, préventives), incluant le renforcement de l’aide à l’arrêt des usagers, sont indispensables.
Effets aigus de la fumée de chicha
Élévation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle.
Intoxication au monoxyde de carbone avec nausées, céphalées, perte de conscience.
Limitation de la fonction pulmonaire (petites bronches, débit expiratoire de pointe).
Altération du larynx et de la voix.
2. Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Tabagisme et arrêt du tabac en 2022. 24 mai 2023.
3. Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Tabagisme et arrêt du tabac en 2021. 2 mai 2022.
4. Primack BA, Carroll MV, Weiss PM, et al. Systematic Review and Meta-Analysis of Inhaled Toxicants from Waterpipe and Cigarette Smoking. Public Health Rep 2016;131(1):76-85.
5. WHO. Advisory Note: Waterpipe Tobacco Smoking: Health Effects, Research Needs and Recommended Actions by Regulators / WHO Study Group on Tobacco Product Regulation. 2005:1-20.
6. Waziry R, Jawad M, Ballout RA, et al. The effects of waterpipe tobacco smoking on health outcomes: an updated systematic review and meta-analysis. Int J Epidemiol 2017;46(1):32
7. Münzel T, Hahad O, Kuntic M, et al. Effects of tobacco cigarettes, e-cigarettes, and waterpipe smoking on endothelial function and clinical outcomes. Eur Heart J 2020;41(41):4057-70.
8. Underner M, Perriot J, Peiffer G, et al. Intoxication au monoxyde de carbone chez les fumeurs actifs ou passifs de chicha. Rev Mal Respir 2020;37(5):376-88.
9. Al Oweini D, Jawad M, Akl EA. The association of waterpipe tobacco smoking with later initiation of cigarette smoking: a systematic review and meta-analysis exploring the gateway theory. Tob Control 2019:tobaccocontrol-2018-054870. (voir aussi le dépliant « La chicha, tu en sais quoi ? » – RESPADD.