La chirurgie de l’obésité étant de plus en plus pratiquée, tout médecin aura des personnes opérées dans sa patientèle. Des complications nutritionnelles et métaboliques potentiellement graves peuvent survenir plusieurs années après la chirurgie, et leur diagnostic n’est pas aisé. Quand évoquer une carence nutritionnelle ? Quels signes d’alerte ? Comment prévenir les complications ?

 

La chirurgie bariatrique a connu un essor majeur au cours des deux dernières décennies, avec 650 000 interventions réalisées en France depuis la fin des années 1990, soit près de 2 % de la population adulte (18-65 ans).

C’est aujourd’hui le traitement le plus efficace en termes de perte pondérale durable et de réduction de la morbimortalité associée à l’obésité (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, cancers). Au-delà de la perte pondérale, ses bénéfices métaboliques s’expliquent également par les modifications profondes de l’anatomie et de la physiologie digestives qu’elle entraîne. Néanmoins, ces modifications favorisent des carences en oligo-éléments et vitamines qui peuvent être précoces ou survenir longtemps après la chirurgie et conduire à des complications sévères et irréversibles.

À l’inverse des complications chirurgicales dont le tableau clinique peut être bruyant (fistule, hémorragie, hernie interne), leur diagnostic est difficile car leur expression clinique est insidieuse.

Quelles carences ?

Pour différentes raisons (séquestration de vitamines liposolubles dans le tissu adipeux, augmentation du métabolisme oxydatif, troubles du comportement alimentaire, erreurs diététiques…), l’obésité prédispose à des carences. Après chirurgie bariatrique, ces carences peuvent s’aggraver ou apparaître en raison des changements physiologiques dus aux montages malabsorptifs (les carences sont à peu près proportionnelles à la longueur des anses intestinales exclues, maximales pour la dérivation biliopancréatique avec switch duodénal), mais sont également possibles en l’absence de dérivation, du fait d’une réduction importante de l’apport calorique, d’une aversion pour certains aliments ou groupes d’aliments (viande, poisson, produits laitiers), de vomissements prolongés, ou du non-respect des conseils alimentaires et des prescriptions de micronutriments. En effet, bien que l’observance des supplémentations en vitamines soit acceptable durant 6 mois, elle chute à 50 % chez les adultes et 27 % chez les adolescents à plus long terme. En France, les déficits en fer, vitamines B12 et D sont les plus courants. Les carences en zinc sont fréquentes, mais leur signification clinique est incertaine, alors que les carences en vitamine B1, moins fréquentes, ont des conséquences neurologiques potentiellement graves. Après les procédures malabsorptives, d’autres carences plus rares peuvent être observées, qu’il faut rechercher en fonction de la présentation clinique (figure ci-dessous).

Figure


Quels signes d’alerte ?

Les carences nutritionnelles se manifestent par des symptômes non spécifiques : asthénie, anomalies des phanères, crampes ou paresthésies. Certains signes doivent alerter.

La chirurgie bariatrique induit une perte de poids importante et rapide, atteignant un nadir 12 à 18 mois après ; ensuite, une reprise de 5 à 10 % de poids est fréquente. À l’inverse, une perte de poids excessive qui s’accentue après cette période est inhabituelle et doit faire rechercher une complication chirurgicale et/ou nutritionnelle.

Après la chirurgie, des régurgitations/vomissements occasionnels peuvent survenir chez les patients qui ne respectent pas les conseils diététiques (petits repas fractionnés, longuement mâchés, pris lentement, boissons à distance des repas, ni gazeuses ni sucrées). Cependant, des vomissements récurrents ou persistants sont un facteur de risque majeur de carence aiguë en vitamine B. Or toute suspicion impose une supplémentation. Ces vomissements doivent faire rechercher une cause spécifique : glissement de l’anneau ou trouble moteur œsophagien après pose d’anneau gastrique ; reflux gastro-œsophagien ou sténose médiogastrique après sleeve gastrectomie ; ulcère anastomotique (favorisé par le tabagisme actif, la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens sans couverture par inhibiteurs de la pompe à protons) et/ou sténose anastomotique, ou hernie interne dans le cas d’un court-circuit gastro-intestinal. Leur diagnostic nécessite des investigations systématiques : opacifications digestives (transit œso-gastro-duodénal ou jéjunal), scanner abdomino-pelvien opacifié et injecté, endoscopie digestive haute.

Une diarrhée chronique est inhabituelle et doit faire évoquer un syndrome de malabsorption (favorisée par une prolifération bactérienne dans l’anse d’intestin grêle exclue ou SIBO pour small intestinal bacterial overgrowth), une infection à Clostridium difficile, l’exacerbation d’une neuropathie entérique diabétique ou l’apparition d’une maladie cœliaque/inflammatoire de l’intestin. En pratique, toute diarrhée chronique associée à un syndrome de malabsorption ou à des anomalies du bilan hépatique doit être évaluée par le centre expert référent. Après avoir traité d’éventuels facteurs favorisants (sténose digestive, complication infectieuse), une renutrition orale ou entérale et un traitement de la diarrhée par malabsorption résolvent généralement la malnutrition et l’hépatopathie.


Quelles complications ?

L’anémie résulte de carences en fer et en vitamine B12 secondaires à l’hypochlorhydrie et à l’exclusion (dérivation) de leurs sites d’absorption duodénaux. La supplémentation en fer est optimisée par la vitamine C et par une prise décalée par rapport à celle des suppléments de calcium ou de zinc (tableaux 1 et 2). Grâce à des stocks hépatiques importants, la carence en vitamine B12 est généralement plus tardive (2-3 ans). La mesure de l’acide méthylmalonique sérique est un marqueur plus sensible et plus précoce (il s’accumule en cas de carence).

Différents troubles neurologiques ont été décrits chez 1 à 16 % des patients, parfois de nombreuses années après tout type de chirurgie bariatrique. Il faut reconnaître les premiers signes : troubles de la mémoire, de la marche, une faiblesse ou une confusion. Les carences en vitamines B1, B12, B9, A et en cuivre sont les plus souvent en cause. Les complications les plus courantes sont les neuropathies périphériques ; les plus graves : l’encéphalopathie aiguë (Wernicke) et chronique (Korsakoff), la myélopathie et la neuropathie optique. Les stocks corporels de vitamine B1 étant faibles, une encéphalopathie peut survenir après seulement quelques jours/semaines de nausées/vomissements récurrents. Toute suspicion impose un traitement immédiat (tableau 2) et toute perfusion de glucose doit être supplémentée en vitamine B1.

La chirurgie bariatrique provoque une perte osseuse et une altération de la micro-architecture de l’os, qui entraînent un surrisque fracturaire qui débute 2 à 5 ans après l’intervention. La prise en charge repose sur une supplémentation en calcium et vitamine D (tableaux 1 et 2), guidée par une évaluation régulière de leur métabolisme et de la densité minérale osseuse ; la pratique d’une activité physique ; un traitement par biphosphonates chez les patients à haut risque.

Hypoglycémie postprandiale hyperinsulinique. À la différence du dumping syndrome précoce (symptômes postprandiaux liés à une vidange gastrique trop rapide ou prématurée dans l’intestin grêle) – complication bénigne du bypass gastrique et de la sleeve gastrectomie – le dumping syndrome tardif est une complication potentiellement grave, survenant 1 à 3 ans après la chirurgie : il correspond à une hypoglycémie postprandiale tardive (1 à 3 heures après le repas) provoquée par une exacerbation des pics postprandiaux de glucose, de GLP-1 et d’insuline. Les hypoglycémies sévères (confusion, perte de conscience, convulsions) sont rares (0,2 à 1 %) mais peuvent être très invalidantes, voire mortelles. Après confirmation par un test de provocation orale et élimination d’un insulinome, la prise en charge est du ressort du centre expert.

Une augmentation du risque de calculs rénaux d’oxalate de calcium a été rapportée 1 à 3 ans après la chirurgie. Le traitement repose sur une prévention de la déshydratation, un régime alimentaire pauvre en oxalate, une supplémentation calcique, et le citrate de potassium (qui entre en compétition avec l’oxalate urinaire pour se lier au calcium).

Le risque de cholécystectomie – de 7-10 % après 3 ans en moyenne – justifie une prescription prophylactique systématique d’acide ursodésoxycholique par voie orale pendant les 6 mois post-intervention.


Comment éviter les complications nutritionnelles ?

Un suivi strict à vie est recommandé pour tous les patients, comprenant :

– une surveillance biologique des vitamines et oligo-éléments (tous les 3 à 6 mois en période de perte de poids, au moins annuelle ensuite) ;

– une supplémentation systématique en micronutriments : multivitamines, calcium-vitamine D, fer et vitamine B12 (également vitamine B1 en cas de vomissements et vitamine B9 en cas de grossesse), avec un apport protéique suffisant.

Un dépistage spécifique des carences en micronutriments est préconisé devant des signes cliniques (symptômes digestifs, perte de poids excessive, syndrome carentiel…) ou dans les situations à risque accru de malnutrition (troubles psychologiques, du comportement alimentaire, abus d’alcool, adolescence et grossesse).

Voici un tableau résumant la surveillance et de la complémentation nutritionnelle recommandées.

Tableau 1

Tableau 2


Que conseiller en cas de désir d’enfant ?

Les recommandations préconisent d’attendre au moins 12 mois après l’intervention pour débuter une grossesse. Cela suppose une contraception efficace dès la période préopératoire.

Les femmes en âge de procréer opérées doivent être informées de la nécessité de programmer leur grossesse (consultation préconceptionnelle idéalement).

En cas de grossesse, le suivi est renforcé, avec une supplémentation vitaminique et une surveillance biologique adaptées. La prise en charge nécessite une équipe pluridisciplinaire comprenant le médecin traitant, l’obstétricien et le nutritionniste-diététicien.

D’après :  Dossier – Chirurgie bariatrique, élaboré selon les conseils du Pr Sébastien Czernichow et du Dr Tigran Pohosyan. Rev Prat 2022;72(2);149-88.

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien