Pratiquement toutes les piscines, publiques ou privées, intérieures ou extérieures, sont désinfectées au chlore, mais sa toxicité est de plus en plus connue… Quels sont les effets démontrés et dans quelles populations ? Y a-t-il des alternatives au chlore ? Quelles recos pour les propriétaires de piscines privées ? Et pour les nageurs ? Les réponses à toutes vos questions dans cet entretien avec le Pr Alfred Bernard, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain et directeur de recherches honoraire du Fonds national belge de la recherche scientifique (FNRS).

La France est le pays de l’Union européenne qui compte le plus grand nombre de piscines privées (> 3 millions) et publiques (> 4 000). Biocide peu coûteux et très efficace, le chlore est utilisé pour désinfecter l’eau en prévention des risques infectieux. Ajouté sous forme de gaz dichlore, d’hypochlorite de soude ou de calcium ou de chloro-isocyanurates, il libère de l’hypochlorite et de l’acide hypochloreux dont la somme constitue le chlore libre, l’acide hypochloreux étant le chlore actif capable de détruire les micro-organismes pathogènes (figure).

Pourquoi la chloration peut-elle être toxique ?

Il y a deux types de toxicité possibles.

D’une part, l’excès de chlore. Ce risque concerne surtout les piscines privées où les contrôles du chlore libre et des chloramines dans l’eau sont laissés à l’appréciation des propriétaires, lesquels ont souvent tendance à sur-chlorer pour une obtenir une eau bien bleue. Dans ces eaux sur-chlorées, les nageurs sont exposés aux effets irritants du chlore libre sur les muqueuses et les voies respiratoires. Pendant les vacances (location de villas ou fréquentation des piscines d’hôtel), la durée et le niveau d’exposition peuvent être très importants : les enfants, en quelques semaines, peuvent avoir une fréquentation cumulée (en heures) pratiquement équivalente à un an de fréquentation d’une piscine publique !

D’autre part, la toxicité liée à un excès de chloramines et autres sous-produits de chloration issus de la réaction du chlore avec les matières organiques apportées par les baigneurs (urine, salive, sueur). Le plus dangereux de ces résidus de chloration est la trichloramine, un gaz irritant et très volatil qui, en raison de son insolubilité dans l’eau, n’est pas retenu par les voies respiratoires supérieures et peut donc exercer son action toxique sur le poumon profond.

La trichloramine peut atteindre une concentration très élevée dans les piscines intérieures publiques ainsi que dans les piscines privées intérieures ou sous un abri bas. Aux heures de forte affluence, sa concentration dans l’air peut dépasser 500 µg/m3 (seuil recommandé par l’OMS), voire 1 000 µg/m3 si le renouvellement de l’air est insuffisant. Aucun polluant dans l’air ambiant n’atteint de telles valeurs ! Récemment, les normes ont été abaissées dans certains pays comme la France, la Suède et la Suisse à 200 µg/m3 ou 300 µg/m3 (mais les contrôles réglementaires de la qualité de l’air sont épisodiques, voire inexistants).

Quel impact sur la santé ?

Les études épidémiologiques menées depuis le début des années 2000 montrent que les produits de chloration exercent un effet adjuvant dans la manifestation de l’atopie : chez les sujets sensibilisés aux acariens ou aux pollens, l’exposition à la piscine favorise le développement d’asthme et de rhinite allergique.

De plus, ces composants peuvent agir aussi, en cas d’exposition très précoce, sur le processus de sensibilisation allergique lui-même, c’est-à-dire sur le développement de l’atopie : la baignade précoce dans des piscines chlorées augmente les risques de sensibilisation aux aéroallergènes perannuels comme les acariens. Cette sensibilisation résulte très probablement d’altérations des barrières épithéliales de l’arbre respiratoire causées par le chlore actif et/ou les chloramines. Lors de la pratique du bébé nageur, ces irritants peuvent aussi favoriser la survenue de bronchiolite et d’infections respiratoires récurrentes.

Nos études conduites en Belgique chez des enfants de 5 ans à 15 ans, dont certains ont été bébé nageurs, ont montré un lien entre exposition aiguë ou chronique à l’air des piscines intérieures et des biomarqueurs de toxicité de l’épithélium du poumon profond.

Quant aux effets à plus long terme chez l’adulte, les données manquent cruellement, notamment concernant les risques pour l’appareil reproducteur (perturbation du système endocrinien) et les risques de cancers provoqués par les innombrables sous-produits de chloration génotoxiques. Une étude belge a toutefois mis en évidence une diminution significative d’un marqueur de la spermatogenèse chez des adolescents ayant fréquenté des piscines publiques chlorées (versus des jeunes exposés uniquement à une piscine désinfectée par la méthode cuivre-argent). Ce résultat n’est pas étonnant si l’on songe à la grande perméabilité du scrotum aux produits de chloration.

Les enfants sont-ils la seule population vulnérable ?

Si les enfants sont particulièrement sensibles à la toxicité des produits de chloration, en raison de l’immaturité de leurs poumons et de leur système immunitaire, certains adultes sont également exposés. Les nageurs de compétition, par exemple, sont les sportifs les plus sujets à l’asthme alors que l’environnement devrait être protecteur (air chaud et humide). L’inhalation des produits de chloration est considérablement augmentée par l’hyperventilation et la respiration buccale. Les maîtres-nageurs sont aussi touchés avec des risques d’asthme professionnel bien documentés.

Quelles alternatives au chlore ?

L’ozonation est une alternative très efficace, mais beaucoup plus coûteuse. Les bromamines semblent moins irritantes que les chloramines mais les sous-produits de bromation pourraient être plus génotoxiques. Enfin, les procédés cuivre-argent sont intéressants mais ils posent un problème environnemental (le rejet du cuivre, un polluant, est cadré par une directive européenne). Des techniques d’ultrafiltration sont en développement notamment en Allemagne.

Attention : le traitement au sel n’est pas une alternative : le sel (chlorure de sodium) n’est que le substrat utilisé par électrolyse pour générer du chlore gazeux qui, dans l’eau, se transforme en hypochlorite et acide hypochloreux, avec donc la formation des mêmes sous-produits de chloration que dans une piscine chlorée. Le sel utilisé peut comporter des impuretés (ex. : iode) qui pourraient augmenter la génotoxicité des sous-produits de chloration.

En pratique, le plus simple est d’utiliser le chlore, mais dans de bonnes conditions. Pour les piscines privées, il faudrait respecter les normes, en suivant au moins le seuil imposé aux piscines publiques : 1,5 ppm (1 ppm = une part par million ou 1 mg/litre) de chlore libre. Le plus souvent, dans une piscine privée peu fréquentée et bien entretenue, on peut descendre à 1 ppm voire 0,5 ppm (cf. recommandations dans l’encadré ci-dessous). Pour les piscines publiques ou privées intérieures, la clé est une ventilation mécanique contrôlée équipée d’un système de récupération de la chaleur.

Quels conseils pour les enfants et leurs parents ?

La prudence est de mise, notamment chez les enfants, d’autant plus qu’avec le réchauffement climatique l’exposition de la population risque de croître en durée et en intensité et que, avec la crise énergétique, certains gestionnaires de piscine pourraient être tentés de faire des économies sur le renouvellement de l’air en l’absence d’un système de récupération de la chaleur… Il faut être particulièrement attentifs avec les enfants atopiques, car la fréquentation d’une piscine chlorée pourrait être un facteur de risque d’asthme ou de rhinite allergique. Certains facteurs peuvent minimiser les risques (encadré ci-dessous).

Encadre

Quelques conseils pour les propriétaires de piscines et les nageurs

Pour les gestionnaires de piscines :

  • Ne pas sur-chlorer : ne pas dépasser 1,5 ppm (1 ppm = une part par million ou 1 mg/litre) de chlore libre. Lorsque que le risque infectieux est faible (piscine privée bien entretenue et peu fréquentée), la désinfection de l’eau peut être obtenue avec 1 ppm voire même 0,5 ppm de chlore libre si la qualité de l’eau est assurée par une bonne filtration.
  • Maintenir le pH entre 7,0 et 7,4 pour avoir suffisamment de chlore actif (sous forme d’acide hypochloreux). Un pH trop acide (< 7) comporte des risques d’érosion des dents tandis qu’un pH trop basique (> 7) rend le chlore inefficace.
  • Si possible, vérifier les niveaux de chloramines dans l’eau (chlore combiné) et le maintenir en dessous de 0,2 ppm.
  • En cas d’une piscine intérieure ou sous un abri bas : assurer une bonne ventilation pour maintenir la concentration de trichloramine au plus bas (< 200 mg/m3).

Pour les nageurs :

  • Passer par les toilettes et prendre une douche avec savon avant de se baigner.
  • Éviter si possible les heures de fortes affluences.
  • Se méfier des piscines publiques intérieures où il règne une très forte odeur de « chlore » qui en réalité est l’odeur de la trichloramine : c’est le signe d’une importante contamination de l’eau de la piscine par de l’urine.
  • Se méfier des piscines extérieures où à la surface où on ressent une forte odeur de chlore : c’est le signe d’une piscine sur-chlorée avec des risques d’irritation de la peau et des muqueuses.
  • Yeux rouges, irritation de la peau et des voies respiratoires sont les manifestations d’une piscine dont l’eau et l’air contiennent des concentrations trop élevées de chlore et chloramines.
  • Pour une pratique de bébé nageur sans risques, choisir une piscine qui respecte scrupuleusement les normes recommandées pour la qualité de l’eau et de l’air. Évitez que l’enfant n’avale de l’eau de la piscine et limiter la séance à moins de 20 minutes.
  • Pour les nageurs souffrant d’allergie ou d’asthme, opter pour une piscine non chlorée ou si cela n’est pas possible, s’assurer que la fréquentation d’une piscine chlorée n’est pas suivie d’une exacerbation des symptômes respiratoires, ou que l’arrêt de la fréquentation ne s’accompagne pas d’une atténuation de ceux-ci. Si ce n’est pas le cas, les risques de la chloration l’emportent sur les bénéfices de la natation.
Pour en savoir plus
Bernard A. La face cachée des piscines désinfectées par chloration.  Vidal 14 février 2023.
Couto M, Bernard A, Delgado L, et al. Health effects of exposure to chlorination by-products in swimming pools.  Allergy 2021;765(11):3257-75.
Bernard A, Nickmilder M, Voisin C, et al. Impact of chlorinated swimming pool attendance on the respiratory health of adolescents.  Pediatrics 2009;124(4): 1110-8.
Andersson M, Hedman L, Nordberg G, et al. Swimming pool attendance is related to asthma among atopic school children: a population-based study. Environ Health 2015;14:37.
Andersson M, Backman H, Nordberg G, et al. Early life swimming pool exposure and asthma onset in children - a case-control study.  Environ Health 2018;17(1):34.
Voisin C, Sardella A, Marcucci F, et al. Infant swimming in chlorinated pools and the risks of bronchiolitis, asthma and allergy.  Eur Respir J 2010;36(1): 41-7.
Nickmilder M, Bernard A. Associations between testicular hormones at adolescence and attendance at chlorinated swimming pools during childhood.  Int J Androl 2011;34(5 Pt 2):e446-58.