Alors que les débats sont dévorés par un nombre symbolique – l’âge légal de départ à la retraite – et dominés par les financements, l’état de santé mérite d’être davantage pris en compte. À la priorité de la finance, on doit ajouter une priorité d’éthique sociale avec, pour objectif, le rapprochement des espérances de vie à la retraite des différentes catégories socioprofessionnelles.
En 2023, avec la formule choc « Après le travail, ce sera le cimetière », le secrétaire général d’un des principaux syndicats français n’aurait pu être plus explicite. Il rappelait que les mauvaises conditions de travail pendant quelques années, voire des dizaines d’années, participent à provoquer la mort prématurée des travailleurs. C’était un de ses arguments pour ne pas prolonger la durée de travail par un changement de l’âge légal de départ à la retraite. On devrait sans doute ajouter que ces mauvaises conditions pourraient être arrêtées à un certain moment, dans le cadre d’une action d’ensemble sur la place des seniors dans le travail.

Un débat qui ne date pas d’hier

En juin 1981, la revue Médecine cardiovasculaire avait déjà réuni les éléments susceptibles de faire considérer les caractéristiques socioprofessionnelles comme l’un des facteurs de risque cardiovasculaire.1 Cette orientation prise à l’époque allait à contre-courant de ce que la majorité des médecins attendait de la diffusion des connaissances en médecine. « Du soin, disaient-ils, pas de la politique ! », à un moment où l’attention était tournée vers le Programme commun de la gauche. « La mortalité et la morbidité cardiovasculaires sont étroitement corrélées à la catégorie socioprofessionnelle. Il existe une surmortalité cardiovasculaire chez les plus défavorisés qui ont, par ailleurs, bien d’autres causes de surmortalité. La démonstration expérimentale n’existe pas, mais des schémas explicatifs peuvent être proposés. L’inégalité sociale est une caractéristique de tous les systèmes politiques, mais certains sont, à coup sûr, plus inégalitaires que d’autres. Ces inégalités ne sont pas directement un problème médical, mais les médecins participent à leur survenue à l’intérieur du système de distribution des soins. En modifiant personnellement leur exercice médical, et en participant à des actions éducatives, les médecins peuvent contribuer à réduire l’un des facteurs de risque cardiovasculaire qu’est la catégorie socioprofessionnelle. Pour que les médecins fassent, avec les responsables administratifs, les tentatives de correction qui sont à leur portée, il faut qu’ils soient convaincus de la réalité du phénomène. C’est pourquoi la revue Médecine cardiovasculaire, au lieu de tenter une présentation littéraire de résultats scientifiques comme dans ses précédents numéros, a présenté le 25 juin 1981 sous une forme scientifique des résultats souvent considérés à tort comme littéraires. (…) L’utilisation des services de prévention est beaucoup plus faible dans les couches sociales défavorisées : contrôle des naissances, surveillance des grossesses, vaccinations, soins dentaires… L’éducation sanitaire touche aussi plus vite les couches sociales les plus favorisées. »
Ces constats initiaux en France sont sans cesse répétés, comme si leur existence, finalement, entretenait le débat politique ou les discussions de salon. Les regrets sont un peu atténués par la constatation des mêmes phénomènes de persistance des inégalités sociales à l’étranger. En Angleterre, le coup de semonce vint du rapport de Sir Douglas Black de 19802 et des travaux de Sir Michael Marmot,3 sans grand effet bénéfique en pratique. Aux États-Unis, une couverture santé universelle est encore utopique… Les médecins peuvent-ils contribuer à limiter les inégalités ? La réduction de celles-ci n’est-elle pas l’objectif essentiel de la médecine ? La prévention et les soins individuels sont assez complexes pour suffire, tant que les journées n’auront que vingt-quatre heures, mais il existe des minima indispensables comme une organisation de la médecine qui ne favorise pas les inégalités sociales ou territoriales et une participation des médecins aux débats sur le bien-être de la population. La conclusion écrite dans Médecine cardiovasculaire en 1981 reste valable quarante années plus tard. Conjointement aux facteurs de risque biologiques (hypertension artérielle, diabète, dyslipidémies) et aux facteurs comportementaux (tabac, alcool, surpoids, inactivité physique), les risques et les nuisances au travail influencent la longueur et la qualité de la vie à tous les âges chez les femmes et les hommes.

Des critères de pénibilité évolutifs au fil du temps

L’actuel débat prolongé et féroce sur le financement des retraites culmine pendant la seconde présidence de la République d’Emmanuel Macron, alors que les rapports bien faits sur le sujet se sont multipliés depuis le gouvernement Rocard, dans les années 1980, et que plusieurs changements de la date de départ à la retraite ou du nombre de trimestres de cotisation ont déjà été actés. Le débat est l’expression de points de vue différents : la préservation du système de retraite par répartition par opposition à la retraite par capitalisation, le maintien de la solidarité intergénérationnelle, l’équilibre financier des caisses de retraite, l’équilibre global des finances du pays, des calculs faits pour un an, trois ans ou dix ans…
Alors que la discussion est dévorée par un nombre symbolique, l’âge légal des départs à la retraite, et dominée par les financements, l’état de santé mérite d’être bien davantage pris en compte. On a imaginé à la va-vite la promotion d’un mot, la « pénibilité » , et théorisé sur les moyens de la mesurer à l’échelon individuel. Mais comment un texte administratif suffirait-il pour mettre en place rapidement une organisation nouvelle, en envisageant une à une les situations des travailleurs français qui partent à la retraite chaque année ?
La prise en compte de la pénibilité du travail a déjà été envisagée par l’État, en échange de l’augmentation de l’âge du départ à la retraite et de la suppression des régimes spéciaux.
Un système à points permettrait d’alimenter un compte professionnel de prévention ouvrant la possibilité d’un départ à la retraite anticipé. L’évaluation de la pénibilité revient non pas à l’inspecteur ou au médecin du travail mais à une déclaration annuelle de l’employeur. Ce système existe également depuis 2016 pour les salariés du privé.
Quatre des dix facteurs de pénibilité initialement retenus ont été supprimés dans le C2P qui a succédé au C3P : présence d’agents chimiques dangereux, « manutention manuelle » de charges, postures pénibles et expositions aux vibrations mécaniques.
En 2017, un des critères de pénibilité (l’exposition à au moins un agent chimique cancérigène) concernait 40 000 salariés selon les employeurs alors qu’une vaste enquête commanditée par l’État lui-même donnait un chiffre de 1,8 million.
En 2018, sur la base des six critères de pénibilité restants, seuls 1 500 salariés ont pu anticiper leur départ à la retraite d’un ou plusieurs trimestres grâce à leur compte professionnel de prévention sur un total de 600 000 départs, un chiffre ridiculement faible alors que l’enquête déjà citée commanditée par l’État estime qu’un seul des critères de pénibilité retenus (le travail répétitif) concerne plus de 2,5 millions de salariés.

Mise à jour de l’indépendance des inégalités de santé vis-à-vis de l’âge de la retraite

La prise en compte de l’influence des catégories socioprofessionnelles et des conditions de travail sur le raccourcissement de l’espérance de vie et de l’espérance de vie en bonne santé mérite une plus grande place dans un débat sur l’allongement du temps de travail qui concerne, avec la France, toute l’Europe.
Ces questions majeures ont été posées dans la cohorte constituée par Marcel Goldberg et Marie Zins, analysée avec Pierre Meneton et Nicolas Hoertel. GAZEL est une étude longitudinale concernant 20 093 employés d’EDF-GDF bénéficiant d’un bon suivi médical et d’un régime spécial de retraite, prise à un âge moyen de 55 ans de 1979 à 2016.4,5 La pénibilité a été mesurée par un score global combinant vingt-cinq conditions de travail rencontrées avant la retraite. L’étude retrouve d’abord tous les facteurs de risque usuels des maladies cardiovasculaires et des cancers. Elle dissèque, de plus, les associations des décès de toutes causes à l’éducation, aux salaires et aux conditions de travail rapportées par les participants.5 Conjointement aux facteurs de risque biologiques et aux facteurs comportementaux, les risques au travail influencent la longueur et la qualité de la vie à la retraite, mais ces deux objectifs majeurs sont indépendants de l’âge de la retraite pris isolément.6 Après avoir pris en compte l’âge, la situation sociale, les caractéristiques démographiques et l’état de santé avant la retraite, l’analyse statistique approfondie montre que l’âge de la retraite, lui-même, n’est associé ni à la perception de l’état de santé ni à la mortalité.
D’autres travaux scientifiques avaient aussi discuté antérieurement la possibilité qu’une retraite tardive puisse être associée à une moindre mortalité et faciliter la prévention des déclins cognitifs ultérieurs de la maladie d’Alzheimer.7,8
Le thème des liens entre santé et âge de la retraite devient majeur dans la littérature médicale mondiale, en passant de 40 articles annuels en 2000 et plus de 600 en 2022, et avec des comparaisons entre les pays européens.7

Variabilité de la santé des retraités

Dans un pays comme la France, l’espérance de vie moyenne à la naissance a augmenté de façon constante jusqu’à aujourd’hui. Elle atteint environ 82 ans, et l’espérance de vie moyenne en bonne santé est maintenant proche de 64 ans.
L’espérance de vie moyenne à la naissance des ouvriers est de plusieurs années inférieure à celle des cadres. La différence peut aller jusqu’à une quinzaine d’années pour certaines professions comme les égoutiers. Cette inégalité concerne aussi l’espérance de vie en bonne santé entre ouvriers et cadres et se retrouve tout au long de la vie, en particulier après la retraite. Elle dépend du cadre familial et culturel pendant l’enfance, puis du parcours éducatif jusqu’à l’âge adulte, enfin de la ou des professions exercées. Que l’on retienne des critères physiques ou ergonomiques (température, bruit, vibration, port de charges lourdes, posture), des expositions chimiques, des contraintes organisationnelles ou des pressions psychologiques, certaines occupations sont à la fois pénibles et pathogènes : entretenir des égouts ou des routes, ramasser des poubelles, réparer des toits, travailler la terre, s’occuper de personnes en grande détresse, éteindre des incendies, couper des arbres, travailler à la chaîne ou la nuit, être sous la ­dépendance totale de supérieurs et de règlements… Beaucoup de métiers influencent la santé des personnes qui les exercent, bien avant ce qui adviendra à partir de 60 ou 75 ans.
La variabilité de l’état de santé, réel ou perçu, est énorme tant sont nombreux les paramètres dont il faudrait disposer pour le définir. On perçoit ainsi le caractère réducteur d’une discussion essentiellement financière sur l’âge de la retraite, trop précoce pour quelques-uns, trop tardive pour beaucoup d’autres. Il convient d’ajouter dans les objectifs de la retraite la préservation et la prolongation de l’état de santé de toutes et tous.

Individualisation des bilans de la santé au travail

Pénibilité du travail ? Beaucoup d’épidémiologistes et de hauts fonctionnaires ont probablement en tête de proposer aux politiques un idéal de questionnaire qui pourrait quantifier les risques encourus au travail.
Ce serait oublier l’appréciation de la santé perçue, qui influence à un moment donné les réponses données aux questions sur les risques professionnels actuels ou anciens. Il faut ainsi prendre en compte le degré d’alphabétisation et l’état psychologique du moment qui conditionnent la santé perçue et son évaluation. Chacun veut ajouter le paramètre auquel il pense préférentiellement et exprimer les questions à sa manière. À côté de renseignements techniques qui définissent l’environnement au travail, la santé perçue par les travailleurs est un paramètre aussi important. Le Haut Conseil de la santé publique, en 2022, a déjà indiqué que « les politiques publiques doivent fixer, au niveau national et territorial, des objectifs en matière de santé perçue, de qualité de vie et de bien-être, et disposer des moyens de leurs mesures. On recommande une mesure régulière de la qualité de vie multidimensionnelle prenant en compte la vie des individus, dans ses dimensions physique, psychologique, sociale et environnementale. Les résultats immédiats de la mesure doivent être lisibles, interprétables et accessibles par tous. Des indicateurs de santé perçue, qualité de vie et bien-être demandent une concertation et, dans certains cas, une coconstruction par la population concernée. »9 Les parties prenantes (travailleurs, épidémiologistes, hauts fonctionnaires, médecins du travail et médecins traitants, inspecteurs du travail et médecins-inspecteurs, psychologues) ne proposeront pas les mêmes évaluations du fait de leurs cultures et des milieux différents qu’ils côtoient. Ces évaluations seront toujours trop longues et critiquées dès que pratiquées. Bien sûr, on rêve de scores de synthèse qui créeraient une nouvelle norme, et immédiatement apparaîtrait une controverse autour d’un effet de seuil. La tâche est ­nécessairement difficile si l’on veut une évaluation individuelle de chaque salarié.

Mesurer la pénibilité : un rideau de fumée ?

La mesure de la pénibilité peut être envisagée de manière très différente par les uns et par les autres, et concerne aussi la santé perçue au travail : ­certains se trouvent heureux et d’autres malheureux. Dans ces conditions, présenter la quantification de la pénibilité comme une solution immédiate, en omettant la perception de l’état de santé, et l’utiliser dans un objectif de réforme financière relève du verbiage et de l’approche théorique des incessantes et ­variables propositions politiques et administratives. Les mythes de la communication font croire que l’édiction d’une loi et de décrets d’application fait disparaître instantanément une difficulté, sans voir celles qui en naissent.
En imaginant des méthodes d’évaluation sur un sujet complexe sans les avoir testées au préalable, on distribue un travail supplémentaire et une responsabilité à des gens qui ont insuffisamment consulté (la base !). Ils la refusent immédiatement, comme l’ont fait les médecins du travail, voire les employeurs, à qui on a voulu confier une tâche d’exploration de l’environnement. Cette approche théorique de l’évaluation de la santé rappelle ces propositions de consultations médicales supplémentaires, dites de prévention, difficiles à concevoir et à appliquer à tous, dans des décennies où l’on dit manquer de médecins et où les médecins traitants revoient leurs méthodes, avec plus de coopérations. Quant à la spécialité de médecine du travail, elle fait partie de celles qui tentent le moins les étudiants en médecine, au moment des choix de l’examen classant national. La difficulté de mesure en vie courante de la pénibilité et de la santé perçue est oubliée dans les effets d’annonce que génère la discussion sur les nécessaires projections financières du maintien de notre système de retraite par répartition.

Deux propositions pour contribuer à la justice sociale

Pour minimiser la complexité d’une évaluation formelle, une possibilité serait de ne pas ajouter de nombreuses consultations supplémentaires et de ne rendre les médecins du travail que responsables d’une formation courte et précise sur les risques professionnels auprès de psychologues. Après cette formation, les psychologues resteraient dans leur domaine spécifique de compétence (la santé perçue) et transformeraient en un dialogue personnalisé et structuré, en face à face ou en vidéoconférence, le remplissage de questionnaires standardisés dont il existe déjà de nombreux et trop épais exemples. Là encore, si la médecine doit adapter son champ d’action, elle doit d’abord faire évoluer au plus vite les formations. La délégation de tâches est urgente à organiser dans plusieurs des métiers médicaux qui ont des compétences et pas assez de temps. Face aux difficultés prévisibles, et à la multiplicité des avis, un travail préparatoire de concertation est incontournable pour définir et simplifier une pratique qui concernera une ou deux fois dans leur vie des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses. Quelques mois de travail préparatoire et un suivi constant de quelques années sont nécessaires.

La différence des espérances de vie reconnue comme maladie de la société

L’espérance de vie est l’âge moyen au décès pour une génération fictive qui aurait été soumise toute sa vie aux conditions de mortalité actuelles. L’espérance de vie sans incapacité correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes. Elle est établie à partir de données exhaustives de mortalité complétées d’une question posée à un échantillon de 16 000 ménages. Calculée par catégorie sociale, l’espérance de vie ne prend pas en compte la mobilité sociale.10
Une autre approche plus simple peut être imaginée : qualifier de « maladie » la diminution des espérances de vie totale ou en bonne santé associée à certains postes de travail par comparaison à d’autres. Sa nature est multi­factorielle. Cette maladie est induite par les sociétés elles-mêmes, qui ne fonctionnent que grâce aux travaux de tous, avec tous les niveaux de pénibilité. Les besoins globaux d’une société rendent indispensable la réalisation permanente de travaux pénibles, qui engendrent les inégalités de santé. Les inégalités de perte d’années de vie associée au travail avant la retraite continueront, bien sûr, à être prévenues le plus possible par les progrès techniques qui visent plus de sécurité et de confort pour de multiples tâches, tandis que de nouveaux risques apparaîtront induits par de nouveaux modes de travail.
Un des objectifs au moment du départ à la retraite serait alors de donner aux retraités d’un pays des durées de vie et de vie en bonne santé les plus proches possible de celles mesurées chez les plus favorisés dans leur position sociale et leurs postes de travail, et plus indépendantes de la place sociale.
Cette reconstruction médicale et éthique donne une autre dimension à la retraite au sein d’une évidence acceptable par tous : de la naissance à la retraite, la société contribue beaucoup à créer une bonne santé et, un peu, une mauvaise santé.
Selon la Direction de la recherche, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) du ministère de la Santé et de la Prévention, les gradients d’espérance de vie totale et sans incapacité existent à tous les âges de la vie.9 En 2008, une femme de 60 ans pouvait espérer vivre 25,5 ans si elle était ouvrière et 27,4 ans (huit trimestres de différence) si elle était cadre ou avait une profession intellectuelle. Pour les hommes de 60 ans, les espérances de vie étaient respectivement de 19,6 ans et 24 ans (plus de 4 années de différence et de 7 années dans la comparaison hommes/femmes).11 L’objectif devient donc d’avoir 27 ans d’espérance de vie à cet âge pour que les durées de retraite se rapprochent. Selon les catégories socioprofessionnelles recensées par l’Insee, notre société compenserait les incapacités et les maladies mortelles qu’elle a favorisées par nécessité et par habitude pendant toute la vie de certains. S’additionnent la persistance d’inégalités d’accès aux soins et de nombreuses nuisances, inégalement supportées et présentes bien avant l’âge de la retraite.
On peut construire de façon simple une hiérarchisation des âges de départ à la retraite qui permette de répondre à un objectif éthique : le resserrement des espérances de vie et de vie sans incapacité vers les durées les plus longues. Les mois donnés pour accélérer le départ à la retraite de certains compenseraient le temps qu’ils n’auront pas du fait des difficultés rencontrées sur les lieux de travail, bien sûr dans le cadre d’une vision positive que l’on peut avoir de la vie à la retraite. Le nombre de classes socioprofessionnelles ne peut être trop grand, en sachant les difficultés des effets de seuil de toute stratification dans un ensemble continu. L’espérance de vie sans incapacité serait sans doute plus discutée, parce que plus complexe à calculer. La simplification qui découle de cette approche serait sans doute rapidement critiquée, au moment où l’on ne pense qu’à utiliser du temps humain supplémentaire pour remplir des formulaires complexes, qui iront dans les tiroirs modernes appelés bases de données. Pour exister pendant quelque temps, des personnes de bonne volonté et de bonne culture générale, destinées à vite changer de poste politique ou administratif, écrivent un idéal législatif et réglementaire sans qu’il n’ait été testé ni par les malades, ni par les patrons et employés, ni par les médecins du travail et inspecteurs du travail. Cela fait partie du défaut de toute une société qui alourdit plus les procédures que les gains de qualité jusqu’à l’étouffement ou la révolte. Le choix arbitraire d’ajouter toujours de la complexité, même pour répondre à un besoin réel, est fait à une époque où la France et l’Europe ont surtout besoin de citoyens heureux au travail de façons très différentes, et demandent des activités d’innovation (des arts aux sciences et aux techniques), et des activités sociales (depuis l'aide à l'enfance et à l'éducation jusqu'à l'accompagnement des personnes âgées).
À la priorité de la finance, on peut préférer une priorité d’éthique sociale : la retraite ne pourra effacer les inégalités apparues dès la naissance, mais la société qui permet une solidarité intergénérationnelle si importante peut en atténuer les conséquences. La méthode pour le faire doit être simple et facile d'accès pour tous. À la création d’une charge de travail supplémentaire à tendance administrative et non créative au service de deux mots, pénibilité et santé perçue, on peut préférer la simplicité et la rapidité de mise en œuvre d’un objectif clair, partageable par tous : le rapprochement des espérances de vie à la retraite des différentes catégories socioprofessionnelles. ●
Références
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6. Hoertel N, Sanchez-Rico MS, Limosin F, Lemogne C, Alvarado JM, Goldberg M, et al. Retirement age does not modify the association of prior working conditions with self-rated health and mortality in retirees: Results from a prospective study of retired French workers. Int Arch Occup Environ Health 2022;95:1921-34.
7. Wu C, Odden MC, Fisher GG, Stawski RS. Association of retirement age with mortality: A population-based longitudinal study among older adults in the USA. J Epidemiol Community Health 2016;70(9):917-23.
8. Dufouil C, Pereira E, Chêne G, Glymour MM, Alpérovitch A, Saubusse E, et al. Older age at retirement is associated with decreased risk of dementia. Eur J Epidemiol 2014;29(5):353-61.
9. Haut Conseil de la santé publique. Rapport relatif aux usages et bon usage de la mesure de la santé perçue et de la qualité de vie en France : auto-saisine du HCSP. Paris: HCSP, 2022, 106 p. https://vu.fr/WvHZ
10. Coutrot T, Sandret N. Équipe nationale SUMER (DARES). Quels salariés bénéficiaient d’un compte pénibilité en 2017 ? DARES Analyses, n° 28, juin 2022.
11. Blanpain N, Chardon O. Les inégalités sociales face à la mort. Tables de mortalité par catégories sociales et indices standardisés de mortalité pour quatre périodes (1976-1984, 1983-1991, 1991-1999, 2000-2008). Document de travail de l’Insee F1108, 2011.