Afin de limiter la baisse de ses profits liée à la désaffection croissante pour la cigarette, l’industrie du tabac renouvelle constamment ses produits. Sa cible préférée : les enfants et adolescents, qui constituent leurs clients de demain, donc la condition sine qua non de la pérennité de leur marché. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les nouvelles cigarettes électroniques jetables – les puff…

L’entrée dans le tabagisme s’effectue essentiellement à l’adolescence : sur trois jeunes qui essaient un produit du tabac « juste pour voir », au moins deux tiers deviendront fumeurs réguliers une partie de leur vie.

Or la puff, cigarette électronique jetable à usage unique, gagne en popularité ces derniers temps, en particulier chez les jeunes : en juillet 2022, 10 % des adolescents de 13-16 ans l’avaient essayée ; 28 % des utilisateurs d’e-cigarette avaient commencé avec la puff ; en Angleterre, le pourcentage des 11-18 ans ayant vapoté a été multiplié par 2 entre 2021 et 2022 (passant de 4 à 8,6 %).

« Au regard des risques liés au tabagisme, elle constitue un piège particulièrement sournois pour les enfants et les adolescents », s’inquiètent les membres de l’Académie nationale de médecine. Ils dénoncent ainsi les méfaits de l’industrie du tabac dont l’objectif, par la création de ces nouveaux produits pouvant constituer une porte d’entrée dans le tabagisme, est d’inverser la tendance vertueuse de la baisse du tabagisme chez les collégiens, observée ces dernières années. En classe de troisième, il y a eu, en 2021, deux fois moins d’expérimentations et quatre fois moins d’usage quotidien, par rapport à 2010 ; la consommation de tabac et d’e-cigarettes est en baisse chez les 17 ans : « si cette tendance se poursuit, l’objectif d’une quasi-disparition du tabagisme en France en 2030 serait atteignable. Cette perspective est sans doute intolérable pour ceux qui profitent financièrement du tabac ».

En effet, il a été établi qu’essayer l’e-cigarette favorise l’entrée dans le tabagisme, bien qu'en moindre mesure que la cigarette classique. C’est pourquoi l’Académie avait, dès 2015, conseillé qu’elle ne devait être utilisée que par des fumeurs de tabac dans un objectif de sevrage. Elle a également conseillé d’en interdire la vente aux mineurs, ainsi que la publicité et l’usage là où il est interdit de fumer.

De surcroît, plus encore que la cigarette électronique « classique », la puff est élaborée spécifiquement pour être attirante pour les enfants et les adolescents : prix compétitif, emballage attractif, saveurs sucrées et fruitées, disponibilité dans un grand nombre de lieux (débits de tabac, kiosques, restaurants, voire grande distribution ou magasins de décoration) ; discrète, elle peut être facilement utilisée y compris dans l’enceinte scolaire ; enfin, son succès auprès des mineurs doit beaucoup à sa promotion sur les réseaux sociaux, notamment via les influenceurs, voire sur des sites internet dédiés aujourd’hui interdits.

Or, même lorsqu’elles ne contiennent pas de nicotine, l’utilisation des puffs peut induire un phénomène de dépendance au geste de vapotage, qui peut représenter un nouveau mode d’entrée dans l’addiction à la cigarette, renforcée ensuite par l’usage de puffs contenant de la nicotine (certaines peuvent en contenir jusqu’à 5 %). Elles peuvent alors augmenter le risque de dépendance, comme tous les produits de tabac. C’est pourquoi le Sénat a voté, fin 2022, dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de budget de la Sécurité sociale pour 2023, la mise en place d’une « taxe dissuasive » sur ces cigarettes électroniques jetables.

Enfin, c’est sans compter ses effets particulièrement délétères du point de vue environnemental : jetable, la puff est faite de plastique avec une batterie au lithium, elle est donc aussi un déchet toxique qui s’ajoute aux 4 500 milliards de mégots jetés annuellement dans le monde.

Ces risques pour la santé des enfants et adolescents liés à la puff ont conduit l’Académie nationale de médecine à recommander d’informer largement le public, en commençant dès l’âge scolaire, sur ces dangers, de sensibiliser les enseignants de collège et lycées, de renforcer la règlementation visant à protéger les enfants et les adolescents face à ce produit (fiscalité accrue ; contrôle renforcé de l’effectivité de l’interdiction de la vente aux mineurs ; imposition d’un packaging neutre) et de réserver le recours à l’e-cigarette jetable aux personnes fumant du tabac afin de leur faciliter le sevrage.

D’après
Académie nationale de médecine. La « Puff », nouvelle cigarette électronique jetable : un piège pour les enfants et les adolescents. 28 février 2023.
À lire aussi :
Dossier Enfant, adolescent et tabac, élaboré selon les conseils du Pr Loïc Josseran.  Rev Prat 2021;71(3);259-84.
Martin Agudelo L, Nobile C. Entretien avec Loïc Josseran. Lutte contre le tabagisme : une nouvelle approche fait ses preuves.  Rev Prat Med Gen 2022;36(1069);318-20.
Béguinot E, Martinet Y. Stratégie de l’industrie du tabac pour recruter de nouveaux et jeunes fumeurs.  Rev Prat 2021;71(3);279-82.
Nobile C. Entretien avec le Pr Yves Martinet. Tabac chauffé : la nouvelle arme de l’industrie du tabac ?  Rev Prat (en ligne) 5 février 2021.
Martinet Y, Béguinot E, Diethelm P, et al. Industrie de la nicotine : réduction des risque, un objectif exclusivement financier.  Rev Prat 2021;71(1);27-32.