Le Canada a légalisé en octobre dernier la commercialisation du cannabis « à usage récréatif » et, selon les statistiques officielles, environ 5,4 millions de personnes en ont officiellement acquis – dont 600 000 pour la première fois. Deuxième étape, fin 2019 : la mise sur le marché des « produits comestibles à base de cannabis ». Le gouvernement canadien précise que ceux « susceptibles de plaire aux enfants » (bonbons ou sucettes) ne pourront pas en contenir. Des règles strictes pour limiter l’attractivité des substances dérivées auprès des mineurs devront également être respectées, parmi lesquelles l’obligation d’adopter des emballages « neutres » et « difficiles à ouvrir », ou encore la restriction de certains ingrédients comme des colorants ou des parfums.
« Cette réglementation est la prochaine étape visant à réduire les risques pour la santé et la sécurité publiques associés au cannabis comestible, aux extraits de cannabis et au cannabis à usage dermatologique », a expliqué Bill Blair, ministre canadien de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé. D’autre part les aliments ou boissons « infusés au cannabis » ne devront pas dépasser certaines teneurs de Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC). Producteurs et distributeurs ne pourront pas alléguer d’éventuels « bénéfices pour la santé ou le régime ». Et, contrairement à ce que les industriels espéraient, l’association avec des boissons alcooliques sera interdite – au grand dam des entreprises qui avaient déjà commencé à développer des « bières au cannabis ».
L’annonce de ce dispositif coïncide avec la publication, en France, de données chiffrées concernant les ventes d’alcool et de tabac aux mineurs – totalement interdites depuis une loi du 21 juillet 2009. Dix ans plus tard, l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) révèle les résultats de l’étude EnCLASS : Enquête nationale en collège et en lycée chez les adolescents sur la santé et les substances. Celle-ci a été menée auprès de plus de 20 000 collégiens et lycéens représentatifs des adolescents scolarisés en France métropolitaine âgés de 11 à 18 ans.1
On apprend ainsi que les lycéens qui, en France, fument quotidiennement du tabac s’approvisionnent pour l’essentiel chez des buralistes qui ne devraient pas leur en vendre. Ils sont 77 % à y acheter personnellement leurs cigarettes « presque toujours » ou « souvent », tandis que 16 % déclarent le faire « rarement » ou « parfois ». L’approvisionnement des mineurs en alcool s’opère avec la même facilité : au cours du mois précédant l’enquête, 40,6 % des lycéens « consommateurs » en ont acheté dans un magasin et 18,6 % l’ont fait au moins à trois reprises. De même, 57 % ont consommé de l’alcool dans un bar, un restaurant ou une discothèque durant cette même période, dont 26,3 % trois fois ou plus.
« Ces manquements à la loi ne semblent pas résulter d’une simple méconnaissance de celle-ci, souligne l’OFDT. En effet, la très grande majorité des lycéens savent quel est l’âge légal pour la vente de tabac (71,4 %) et de l’alcool (83 %). Si la plupart des fumeurs ne tiennent pas compte d’une législation qu’ils disent pourtant connaître, leur comportement témoigne surtout du fait que leur âge n’est pas régulièrement contrôlé par les buralistes ». Parmi les lycéens ayant déjà acheté des cigarettes dans un bureau de tabac, 55 % disent n’avoir jamais eu à présenter leur carte d’identité et 41 % déclarent qu’on la leur demande « rarement » ou « parfois ». De même, 51 % des lycéens ayant acheté de l’alcool durant le mois précédant l’enquête déclarent n’avoir jamais eu à présenter leur carte d’identité en magasin, et 38 % « rarement » ou « parfois ».
Comment ne pas dénoncer, ici, les conséquences d’un désinvestissement du pouvoir exécutif pour faire appliquer une loi essentielle de santé publique – et ce, en dépit du discours officiel des autorités sanitaires vis-à-vis du tabac et de l’alcool ? Qu’en sera-t-il avec le « cannabis récréatif », lorsque ce dernier sera légalisé ?
1. Spilka S, Godeau E, Le Nézet O, et al. Usages d’alcool, de tabac et de cannabis chez les adolescents du secondaire en 2018. OFDT. Tendances, n° 132, juin 2019.