objectifs
DIAGNOSTIQUER une cirrhose. IDENTIFIER les situations d’urgence et PLANIFIER leur prise en charge. ARGUMENTER l’attitude thérapeutique et PLANIFIER le suivi du patient. DÉCRIRE les principes de la prise en charge au long cours en abordant les problématiques techniques, relationnelles et éthiques en cas d’évolution défavorable.

La cirrhose du foie correspond anatomiquement à un bouleversement diffus de l’architecture (lobulaire) hépatique par une fibrose entourant des nodules de régénération. Elle a des causes multiples (toutes à l’origine d’une maladie chronique du foie), reste longtemps asymptomatique, est (trop) souvent (deux tiers des cas) révélée par des complications liées à l’hypertension portale (HTP) et/ou à l’insuffisance hépatocellulaire, ou par un carcinome hépatocellulaire (CHC). L’alcoolisme chronique en reste la cause la plus fréquente et la plus grave.
Sa prévalence pourrait être de 3 ‰ en France mais est très probablement fortement sous-estimée.

Circonstances du diagnostic

Dépistage

Une cirrhose asymptomatique doit être systématiquement recherchée dans les situations suivantes :
– contexte étiologique propice : consommation excessive d’alcool, hépatite B, hépatite C, syndrome métabolique, surcharge en fer notamment ;
– anomalies des tests hépatiques, anomalies hématologiques (thrombopénie surtout, baisse du taux de prothrombine [TP]) ;
– consultation préopératoire ;
– examen morphologique demandé pour d’autres raisons (écho‑graphie, scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM] notamment) ;
– infection bactérienne sévère (pneumonie, infections cutanées, pyélonéphrite, septicémie, etc.) ;
– associations morbides ou maladies de cause commune (par exemple neuropathie périphérique, syndrome sec, etc.).

Symptômes et signes

Ils sont généralement très tardifs :
– signes généraux : asthénie, anorexie, amaigrissement, syndrome dépressif ;
– signes ou syndromes plus spécifiques : ictère, œdèmes, ascite, hémorragie digestive (hématémèse, méléna, anémie aiguë ou chronique), douleurs de l’hypochondre droit ou de l’épigastre, encéphalopathie hépatique, troubles endocriniens notamment sexuels ;
– symptômes ou signes de la maladie causale : prurit des maladies cholestatiques, mélanodermie de l’hémochromatose, par exemple ;
– signes d’examen (v. infra).

Éléments du diagnostic positif

Éléments cliniques

Le foie qui reste lisse est anormalement dur avec typiquement un bord inférieur tranchant ; il est souvent trop gros, mais parfois seulement au niveau d’un lobe (le gauche le plus souvent).
Il faut rechercher des angiomes stellaires (visage, décolleté surtout), une érythrose palmaire (qui prédomine sur les éminences thénar et hypothénar, la pulpe des doigts, la terminaison des métacarpiens) ; les ongles blancs (opaques), la dermite ocre sont sans doute moins spécifiques.
Les autres signes sont liés aux complications :
– insuffisance hépatocellulaire : ictère ;
– hypertension portale : circulation collatérale sous-cutanée abdominale portocave (rayonnant autour de l’ombilic, parfois sous forme de véritables varices), splénomégalie ;
– mixtes : tachycardie, hypotension artérielle, œdèmes, ascite, manifestations neuropsychiques de l’encéphalopathie ;
– développement d’un carcinome hépatocellulaire : tumeur du foie palpable, point d’appel en faveur de métastases, en particulier osseuses ou syndromes paranéoplasiques.
L’association d’une hépatomégalie dure lisse, de signes d’hyper­tension portale et d’insuffisance hépatique est quasi pathognomonique de l’existence d’une cirrhose. Inversement, l’examen peut être totalement normal.

Éléments biologiques

L’hémogramme peut montrer des anomalies des globules rouges : anémie macrocytaire ou microcytaire, anomalies de la forme des hématies, des globules blancs (leucopénie, neutropénie), des plaquettes (thrombopénie). Le taux de prothrombine peut être abaissé : abaissement des cofacteurs II, VII et X, puis du facteur V quand l’insuffisance hépatique est plus sévère. La bilirubinémie est souvent augmentée (l’ictère ne devient visible qu’à partir de 40-50 µM), souvent modérément.
Les transaminases sont souvent un peu augmentées ; un rapport ASAT/ALAT > 1 est évocateur de cirrhose.
La gamma-GT est souvent augmentée, de façon variable en fonction de la cause.
Les phosphatases alcalines ne sont nettement augmentées (> 1,5 fois la limite supérieure de la normale) qu’en cas de cholestase ou d’ostéodystrophie associée.
L’albuminémie, normale au début de l’évolution, s’abaisse progressivement avec l’insuffisance hépatique.
Il existe souvent une hypergammaglobulinémie polyclonale, avec une augmentation préférentielle des IgA dans la cirrhose alcoolique (responsable de l’aspect de bloc bêta-gamma), des IgG dans les hépatites virales et auto-immunes, des IgM dans la cholangite [ex-cirrhose] biliaire primitive).

Diagnostic biologique non invasif de cirrhose (tableau 1)

Il repose sur des combinaisons de dosages simples et parfois de témoins spécifiques de fibrose, à partir desquels des algorithmes ont été développés par comparaison aux résultats de la biopsie hépatique. Leurs résultats dépendent de la cause de la maladie du foie. Ils perdent de leur valeur en cas de poussée évolutive de la maladie (hépatite alcoolique aiguë, cytolyse).
En pratique, on peut utiliser 2 tests très simples, presque gratuits, spécifiques mais peu sensibles, le test APRI et le FIB4, initialement développés dans l’hépatite C. S’ils ne permettent pas de conclure, on peut utiliser des tests commerciaux (FibroTest et FibroMètre) qui ont été d’abord développés dans l’hépatite C où leurs résultats ont été largement validés. Ils sont cependant utilisables, mais d’interprétation plus difficile dans d’autres hépatopathies chroniques (l’hépatite B, les maladies stéatosiques alcooliques ou non, l’hémochromatose), mais ne sont pas alors pris en charge par l’Assurance maladie. Il faut connaître les causes d’erreur pour interpréter correctement le test.
Ils expriment la probabilité de fibrose « significative » (≥ F2), chiffrée de 0 à 1 (100 %), dont est déduit le stade de fibrose, entouré d’incertitude. Le score est transformé en probabilité de stade de fibrose (de 0 à 4). À partir des mêmes paramètres utilisés pour le calcul du FibroMètre, ses auteurs ont défini un CirrhoMètre exprimant (de 0 à 1) la probabilité de cirrhose.

Diagnostic mécanique non invasif de cirrhose (tableau 1)

L’élastométrie impulsionnelle mesure la vitesse de propagation d’une onde mécanique, d’autant plus élevée que le foie est plus dur. L’examen, qui doit être fait à jeun (depuis 2 heures minimum), échoue techniquement chez 10-15 % des malades, surtout obèses (auquel cas l’utilisation d’une sonde adaptée est généralement efficace). La vitesse de propagation est transformée en unités de pression (kPa). Les seuils pour le diagnostic de cirrhose varient en fonction de la cause. Ici aussi, les causes d’erreur doivent être connues.

Éléments morphologiques

L’échographie (ou le scanner, ou l’IRM) peut montrer des signes de dysmorphie hépatique : aspect bosselé de la surface du foie, atrophie du segment IV ou hypertrophie d’un lobe, hyper‑trophie du segment I, surélévation du rein droit, et des signes d’hypertension portale : élargissement de la veine porte et de ses affluents, splénomégalie, circulation collatérale portocave, en particulier reperméabilisation de la veine ombilicale (spécifique de l’existence d’un bloc intrahépatique) et shunts spontanés (splénorénaux, périgastriques notamment), ascite.
Ces examens peuvent également détecter des complications : cancers du foie, thrombose portale principalement.
Une endoscopie haute doit être faite quand une cirrhose est suspectée ou diagnostiquée, pour rechercher des signes d’hyper­tension portale : varices œsophagiennes (classées en 3 stades : minimes, s’effaçant à l’insufflation, grosses, confluentes avec éventuellement des signes rouges, et moyennes, intermédiaires), gastriques (en distinguant les varices sous-cardiales des varices situées à distance du cardia), gastropathie congestive (aspect de la muqueuse en mosaïque), télangiectasies, notamment antrales pouvant donner un aspect d’estomac pastèque.

Biopsie, laparoscopie

La biopsie hépatique reste la référence académique du diag­nostic de cirrhose. En cas d’ascite abondante, de troubles sévères de l’hémostase spontanés ou thérapeutiques, la voie transpariétale est contre-indiquée – et la voie transveineuse est possible. Les autres contre-indications à la biopsie (indépendamment de la voie d’abord) sont le sepsis et la non-coopération. Les risques de complications (douleurs, hématomes intra‑hépatiques, hémopéritoine principalement, avec un risque de décès très faible mais non nul) sont réduits par le respect des contre-indications et la réalisation de l’acte sous contrôle échographique. Elle nécessite une hospitalisation, au moins ambulatoire. Elle ne reste utile que dans des cas particuliers : absence de diagnostic clinico-biologique, tests non invasifs nettement discordants, cause obscure ou à l’inverse causes multiples, nécessité pour le traitement étiologique.
À condition d’un prélèvement de taille suffisante (≥ 15 mm), elle a une sensibilité excellente (mais pas absolue) pour le diag­nostic ; la répartition des lésions dans le foie n’est pas forcé­ment régulière. Le caractère annulaire de la fibrose n’est pas toujours évident en cas de cirrhose macronodulaire, ou de biopsie fragmentée ; l’épaississement des travées hépatocytaires est un signe indirect important ; on doit rechercher des signes orientant vers une cause particulière, des lésions vasculaires et biliaires, des lésions hépatocytaires, une dysplasie. La biopsie permet des tests non morphologiques (dosage du cuivre, par exemple). La sévérité histologique de la cirrhose (taille des nodules, épaisseur des septa fibreux, surface de la fibrose) est liée au pronostic.
Lors d’une biopsie transveineuse, on peut mesurer le gradient de pression sinusoïdal, qui reflète la pression portale en cas de cirrhose (normale o 5 mmHg), et qui a une valeur pronostique.
Les principaux diagnostics différentiels histopathologiques de la cirrhose sont la fibrose hépatique congénitale (pas de nodules, contexte), l’hyperplasie nodulaire régénérative (nodules sans fibrose), l’hyperplasie nodulaire focale prélevée par hasard lors d’une biopsie à l’aveugle.
La laparoscopie (cœlioscopie) permet l’inspection de la surface du foie et du péritoine, et des biopsies orientées ; elle n’est plus un test diagnostique usuel, mais un moyen de diagnostic imprévu lorsqu’elle est utilisée dans un but chirurgical.

Dépistage de la cirrhose

Il devrait être systématique chaque fois qu’une cause de cirrhose est connue. C’est habituel en cas d’hépatite virale, mais pas de consommation d’alcool ou de syndrome métabolique : plus de la moitié des malades hospitalisés pour une première hémorragie digestive liée à l’hypertension portale ou pour un carcinome hépatocellulaire ne se savaient pas porteurs d’une cirrhose. Un diagnostic précoce peut permettre un traitement spécifique efficace et la prévention/dépistage des complications de la cirrhose. En plus de la clinique et de la biologie « standard », le rôle des méthodes non invasives de diagnostic de la cirrhose est très grand dans cette indication. Deux études menées en population générale (CPAM) ont conclu à une prévalence de la cirrhose entre 0,3 et 0,7 %. Parmi 7 463 usagers de la CPAM de plus de 40 ans, le FibroTest a suggéré une prévalence de la cirrhose de 0,3 %. Parmi 1 190 consultants de CPAM de Seine-Saint-Denis de plus de 45 ans, le FibroScan a retrouvé une prévalence de cirrhose de 0,7 %, tous les cas ayant été confirmés par ponction-biopsie hépatique. Transposés à l’ensemble de la population française, ces résultats suggèrent une prévalence de la cirrhose en France entre 114 000 et 266 000 cas.

Diagnostic étiologique

Les principales causes de cirrhose et les moyens de leur diag­nostic sont indiqués dans le tableau 2. La consommation chronique d’alcool (> 20 g/j chez la femme, > 30 g/j chez l’homme > 5 à 10 ans) reste la cause la plus fréquente et la plus grave en France. Il faut se méfier de causes associées (hépatite C et alcool, hépatite B et syndrome métabolique, alcool et syndrome métabolique, par exemple) dont les plus fréquentes peuvent être la forêt qui cache l’arbre, et qui doivent être toutes prises en charge.

Évolution, histoire naturelle, évaluation de la sévérité

La cirrhose n’est pas une lésion (ou une maladie) fixée : elle peut régresser (surtout si elle est peu évoluée) lorsque le traitement de la cause est efficace (par exemple hépatite auto-immune, hépatite virale B ou C…), mais elle peut aussi s’aggraver sous l’influence de la persistance ou du non-contrôle de la cause, et per se, à cause du bouleversement architectural, des lésions vasculaires portales intrahépatiques (« remodelage hépatique ») et de l’activation de mécanismes régulateurs hémodynamiques eux-mêmes délétères pour le foie. Les malades atteints de cirrhose doivent donc être régulièrement suivis, pour prévenir et détecter précocement les complications traitables.
Il est justifié de classer les malades en 4 stades qui déterminent leur survie : au stade 1 (cirrhose compensée sans varice œsophagienne), la mortalité à 1 an est d’environ 1 %, au stade 2 (cirrhose compensée avec varices) d’environ 3-4 %, au stade 3 (cirrhose décompensée avec ascite) d’environ 20 %, et au stade 4 (décompensée avec hémorragie digestive) de 50-60 % ; en cas d’infection et d’insuffisance rénale, elle pourrait être de 60-70 %.
Les complications font habituellement suite à des facteurs déclenchants : poussée de la maladie causale, infection, thrombose portale, chirurgie, carcinome hépatocellulaire notamment. Le risque de complications est également réduit par un traitement étiologique efficace (mais le risque de carcinome hépato‑cellulaire n’est jamais totalement aboli).
La classification de Child-Turcotte modifiée par Pugh et al. (initialement développée pour le pronostic des hémorragies digestives) est largement validée (tableau 3) ; elle est utile pour évaluer le pronostic des malades atteints de complications et affiner les indications thérapeutiques. Le score de MELD (tableau 3) (lui aussi initialement développé pour évaluer le pronostic après pose de shunt portosystémique intra-hépatique [TIPS]) est actuellement le principal outil d’inscription et de classement sur la liste d’attente de transplantation hépatique.
Cependant, à l’intérieur même du stade A de Child-Pugh, le pronostic peut être affiné soit sur des données histopathologiques, soit en utilisant les tests non invasifs initialement développés pour évaluer la fibrose (FibroTest, FibroMètre, FibroScan). De plus, la répétition (tous les 2 ans, par exemple) de ces tests peut informer sur la vitesse d’aggravation de la maladie.
Enfin, une évaluation complète du patient est indispensable pour rechercher des comorbidités liées directement à la cirrhose, liées à la cause de la cirrhose, ou totalement indépendantes mais influant sur le pronostic (cardiaques, respiratoires, rénales, néoplasiques principalement).

Complications

Hypertension portale (HTP)

L’existence d’une hypertension portale est un déterminant essentiel des complications et du pronostic global. Les varices œsogastriques et l’ascite ne se développent que pour une pression sus-hépatique bloquée ≥ 10 mmHg. L’augmentation de la résistance au flux sanguin portal (« bloc intra-hépatique ») a 2 composantes, lésionnelle (2/3) et fonctionnelle (1/3). La composante lésionnelle dépend de la fibrose, de la capillarisation des sinusoïdes, des bouleversements architecturaux, des oblitérations veinulaires, du développement de shunts intrahépatiques ; la composante fonctionnelle dépend du défaut de libération d’oxyde nitrique (NO, vasodilatateur) et de la sécrétion excessive de vasoconstricteurs (endothélines, catécholamines, thromboxane A2, angiotensine, vasopressine). Le bloc intrahépatique entraîne, outre le développement de shunts portosystémiques, une vasodilatation splanchnique, d’abord veineuse, puis artérielle compensatrice ; cette vasodilatation est responsable d’un syndrome hyperkinétique (tachycardie, hypotension, augmentation du débit cardiaque) visant à maintenir la pression artérielle périphérique au prix d’une rétention sodée (catécholamines, puis système rénine-angiotensine-aldostérone, ADH enfin) ; à une phase ultime, une vasoconstriction rénale sévère est nécessaire pour maintenir la pression artérielle, et une insuffisance rénale se développe (syndrome hépatorénal).

Hémorragies variqueuses

Au cours de la cirrhose, le rythme d’apparition des varices œsogastriques est globalement de 7 % par an, et le risque de première hématémèse d’environ 10 %.
 

Dépistage des varices œsophagiennes

Les varices doivent être dépistées par l’endoscopie chez tous les malades ayant une cirrhose ; l’endoscopie doit être répétée tous les 3 ans en l’absence de varices, et tous les 2 ans en cas de varices de petite taille. Il a été récemment validé de restreindre l’indication de l’endoscopie aux malades ayant une élasticité hépatique > 20 kPa ou des plaquettes < 150 000/µL. Les malades ayant des varices moyennes à grosses doivent être traités en prévention primaire par un bêtabloquant non sélectif (propranolol, nadolol, carvédilol), et, en cas de contre-indication ou d’intolérance, par ligature endoscopique des varices. Les malades ayant de petites varices n’ayant jamais saigné ne doivent être traités par bêtabloquants non sélectifs que s’ils appartiennent à la classe C de Child ou s’il existe des signes rouges sur les varices.
 

Hémorragies variqueuses

Le saignement variqueux se traduit le plus souvent par une héma­témèse et/ou un méléna, rarement par un choc hémorragique ou une anémie chronique. Le malade doit être traité à domicile (et pendant le transport vers l’hôpital) par vasopresseur (octréotide, somatostatine ou terlipressine) continué 5 jours, recevoir une antibioprophylaxie (par exemple ceftriaxone 1 g/j), n’être transfusé (sauf comorbidité cardiovasculaire ou neurologique) qu’avec un objectif de maintien de l’hémoglobine entre 7 et 9 g/dL, et avoir une endoscopie en urgence dès la stabilisation hémodynamique obtenue (dans les 12 heures) pour préciser la cause du saignement et en commencer le traitement (varices œsophagiennes et cardiales traitées par ligature endoscopique, varices gastriques autonomes par embolisation perendoscopique au cyanoacrylate). En cas de stade C de Child, ou d’hémorragie active chez un malade de stade B ou C de Child, la pose d’un shunt portosystémique intrahépatique en urgence doit être discutée. Après l’accident hémorragique, les malades doivent recevoir la combinaison de bêtabloquants non sélectifs (sauf contre-indication ou intolérance, en visant un pouls < 60 batt/min) et de ligature de varices œsophagiennes. En cas de récidive sous traitement bien conduit, il faut discuter une étude hémodynamique avant et après traitement (le but étant de réduire la pression sus-hépatique bloquée basale de 20 % ou au-dessous de 12 mmHg), en passant au carvédilol ou à l’association bêtabloquants-nitrés, et surtout de la pose d’ un TIPS (Child Pugh < C14, pas d’encéphalo­pathie préalable, bilirubine < 50 µM et plaquettes > 85000/µL). Enfin, chez les malades Child C, la transplantation doit toujours être discutée.
Des varices ectopiques (duodénales, grêliques ou coliques) peuvent être observées, notamment chez les malades antérieurement opérés de l’abdomen.
D’autres causes d’hémorragie sont possibles (ulcère, par exemple) et doivent recevoir un traitement spécifique, avec les mêmes mesures de prévention des complications liées à la cirrhose (infection, encéphalopathie, rétention sodée).
D’autres lésions gastriques liées à l’hypertension portale (gastropathie congestive, angiodysplasie) sont rarement responsables d’hémorragies macroscopiques.
L’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) favorisent la survenue des hémorragies digestives, mais compromettent aussi la fonction rénale, et sont donc doublement contre-indiqués en cas de cirrhose.

Désordres vasculaires pulmonaires

ées dans la circulation pulmonaire : une vasodilatation excessive dans le syndrome hépatopulmonaire, responsable d’une hypo‑ xémie aggravée par l’effort et corrigée par l’oxygénation (mais qui ne peut guérir – lentement – qu’après transplantation hépatique), et une vasoconstriction précapillaire, dans l’hypertension portopulmonaire (dépistée par l’échographie cardiaque, et affirmée par le cathétérisme droit), attribuée à une dysfonction endothéliale proche de celle existant dans le foie. Ce dernier cas nécessite une évaluation hémodynamique afin de choisir et de contrôler l’efficacité des vasodilatateurs ; modérée ou bien contrôlée, l’hypertension artérielle pulmonaire ne contre-indique pas la transplantation hépatique.

Ascite et rétention sodée

Les mécanismes putatifs de la rétention sodée et de l’ascite sont indiqués dans le paragraphe « Hypertension portale ». De plus, l’hypertension portale « localise » le sel et l’eau dans la cavité péritonéale.
L’ascite est la complication la plus fréquente de la cirrhose, la moitié des malades « compensés » développant une ascite dans la décennie suivante. À partir de la première ascite, la survie est d’environ 15 % à 1 an et 45 % à 5 ans.
 

Diagnostic de l’ascite

L’existence d’une matité déclive perceptible nécessite un épanchement péritonéal de 2 litres environ. L’échographie détecte les ascites minimes et aide au diagnostic des ascites cloisonnées.
La ponction faite aseptiquement (et après une anesthésie locale) habituellement dans la fosse iliaque gauche (au besoin sous contrôle échographique), l’artère épigastrique et les grosses collatérales veineuses étant à éviter, est toujours nécessaire en cas de première ascite, d’aggravation d’une ascite connue ou d’autres complications de la cirrhose.
Les complications de la ponction (saignement, infection) sont rares. Une thrombopénie sévère (< 50 000/µL), une fibrinolyse, ou un traitement antiagrégant intense (par exemple aspirine + clopidogrel), un traitement par antivitamine-K doivent faire discuter le geste.
L’aspect du liquide est décrit.
Du liquide est prélevé sur un tube sec (protides, lipase), un tube citraté (numération et formule des éléments de l’ascite), et 2 × 10 mL injectés dans un flacon d’hémoculture aérobie et anaérobie. Pour toute première ascite, un examen cytopathologique est nécessaire.
Un dosage de l’albumine associé à celui de l’albumine sérique permet de calculer le gradient d’albumine utile lorsque la cause de l’ascite n’est pas évidente (supérieur à 11 g/L, il est quasi spécifique d’ascite due à l’hypertension portale).
D’autres recherches (triglycérides, recherche de mycobactéries) ne sont pas systématiques.
Une première poussée d’ascite peut justifier une hospitalisation pour le diagnostic, les explorations, le traitement et l’éducation thérapeutique, surtout si la cirrhose était auparavant méconnue.
 

Diagnostic différentiel de la cause de l’ascite

La cirrhose du foie est la cause d’ascite la plus fréquente. Classiquement, au cours de la cirrhose, le taux de protides dans l’ascite est bas (< 20 g/L), y compris en cas d’infection bactérienne du liquide d’ascite. Plus le taux de protides de l’ascite est bas, plus le risque d’infection du liquide est élevé.
D’autres causes sont possibles et peuvent être associées.
Ascites riches en protéines (protéines 20 g/L) : obstacle à l’éjection des veines sushépatiques (insuffisance cardiaque et constriction péricardique, syndrome de Budd-Chiari et maladie veino-occlusive), carcinose péritonéale, pancréatite, tuberculose péritonéale, myxœdème, etc.
Ascites pauvres en protéines (protéines < 20 g/L) : hypoalbuminémie, notamment celle du syndrome néphrotique et des gastro‑entéropathies exsudatives.
Un inventaire complet de la cirrhose doit être réalisé :
– clinique, biologique, calcul des scores de Child-Pugh et de MELD, échographie hépatique avec Doppler, endoscopie haute ;
– recherche d’une néphropathie organique (urée, créatinine, ionogramme sanguin, ionogramme, créatinine et protéinurie et urinaire, recherche d’hématurie, éventuellement échographie rénale) ;
– évaluation cardiovasculaire (facteurs de risque, examen, ECG, échographie cardiaque).
 

Traitement de l’ascite de la cirrhose

Le traitement de la cause de la cirrhose est primordial : seul le traitement étiologique (et éventuellement la transplantation) est à même d’améliorer le pronostic.
La transplantation doit être systématiquement discutée.
Des facteurs déclenchants ou favorisants doivent être recherchés et si possible corrigés :
– régime riche en sel, ou apport intempestif de sel (perfusion, période postopératoire) ;
– prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ;
– prise d’antihypertenseurs, particulièrement inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et sartans ;
– les médicaments néphrotoxiques (aminosides, par exemple) doivent être évités ;
– l’utilisation de produits de contraste iodés doit être très parcimonieuse.
L’institution d’un régime pauvre en sodium (2 g, 88 mmoles/j) est nécessaire pour négativer la balance sodée ; une natriurèse spontanée est observée dans environ 10 % des cas de première poussée d’ascite. La restriction hydrique est inutile si la natrémie est > 125 mmol/L.
Les diurétiques ne doivent être prescrits qu’à un malade stable, en dehors de toute complication aiguë. Leur usage nécessite une fonction rénale normale, une natrémie ≥ 125 mmoles/L, une kaliémie normale.
La réponse à obtenir est une perte de poids qui ne doit pas excéder 500 g/j (1 kg en cas d’œdèmes importants).
La surveillance est :
– quotidienne : poids, pression artérielle, pouls, recherche d’encéphalopathie ;
– bihebdomadaire : urée, créatinine, natrémie, kaliémie et natriurèse.
En cas de première ascite, on peut utiliser la spironolactone seule (75-100 mg/j, en augmentant la dose tous les 5 jours en l’absence de réponse, jusqu’à un maximum de 400 mg/j). Les principaux effets secondaires sont : hyperkaliémie (arrêt si K ≥ 5 mmol/L), gynécomastie, impuissance (la spironolactone peut être alors remplacée par l’amiloride, qui est moins efficace). En cas d’échec, on peut ajouter du furosémide en commençant par 20-40 mg/j, en augmentant tous les 3 jours en l’absence de réponse et d’intolérance jusqu’à un maximum de 160 mg/j.
En cas de récidive d’ascite, on peut commencer d’emblée par l’association de spironolactone et de furosémide (en commençant par 100 mg + 40 mg/j).
En cas de tendance hyperkaliémique et/ou de néphropathie organique associée, le furosémide seul peut être prudemment utilisé.
Lorsque l’ascite est près de disparaître, il faut réduire le traitement diurétique (par exemple un jour sur deux) et fixer au malade un poids plancher où le traitement doit être arrêté. La surveillance peut être hebdomadaire pendant un mois, puis mensuelle, puis trimestrielle.
Les ponctions évacuatrices sont indiquées en cas d’ascite abondante et tendue. Réalisées avec un trocart muni d’une gaine multiperforée, selon un trajet en chicane, suivies de compression digitale prolongée pour éviter fuites et hématomes, elles doivent être accompagnées d’une perfusion d’albumine à 20 % (6 g/L d’ascite retirée) si la ponction est ≥ 5 L ou répétée à court terme. En l’absence de contre-indication, un traitement diurétique doit être prescrit pour prévenir la reconstitution de l’ascite (association de spironolactone et de furosémide).
En cas de fuite post-ponction, une compression locale forte doit être associée au décubitus controlatéral ; une suture cutanée doit être faite rapidement en cas de fuite persistante.
L’ascite réfractaire concerne environ 10 % des malades ascitiques, et a un mauvais pronostic (50 % de décès à 6 mois).
Elle est définie comme une ascite résistant à un traitement diurétique maximal (échec ou effet secondaire), ou récidivant vite après une ponction abondante, en dehors d’une prise sodée excessive.
Elle doit faire envisager une transplantation hépatique (mais le score MELD sous-estime alors la gravité, et il faut donc rechercher ses contre-indications éventuelles) ; chez les malades Child B à fonction hépatique conservée, un shunt portosystémique intra-hépatique est proposé (v. infra) en attendant la transplantation.
Si le malade était sous bêtabloquants, leur indication doit être rediscutée, car ils pourraient être responsables de surmortalité.
Les ponctions évacuatrices répétées associées à la perfusion d’albumine (v. supra) sont le traitement de référence ; les diurétiques sont arrêtés si la natriurèse est < 30 mmol/j.
La pose d’un shunt portosystémique intrahépatique doit être discutée chez les malades ayant une ascite réfractaire, sans encéphalopathie, ayant des fonctions hépatiques convenables (Child-Pugh < 11, plaquettes > 75 000/µL et bilirubinémie < 50 µM) et sans contre-indication cardiaque. Un sur-risque d’encéphalopathie persiste. La poursuite d’un traitement diurétique est habituellement nécessaire après la pose du TIPS.
 

Infection du liquide d’ascite (ILA, péritonite spontanée).

L’infection peut être asymptomatique, ou bien révélée par fièvre/hypothermie, douleurs abdominales, diarrhée, encéphalopathie, insuffisance rénale, hémorragie digestive, choc.
Le diagnostic repose sur :
– polynucléose neutrophile dans l’ascite ≥ 250/µL en l’absence de foyer infectieux abdominal ou de perforation (dans ce cas la culture est souvent polymicrobienne, et un scanner sans injection doit être réalisé à la recherche d’un pneumopéritoine).
– une ou trois hémocultures, un examen cytobactériologique des urines (ECBU) doivent être associés à la culture de l’ascite en flacon d’hémoculture. Une porte d’entrée (peau, poumon, dents, urine) doit être recherchée et traitée.
Le pronostic est sévère (rediscussion de transplantation).
Les principaux germes responsables sont les bacilles à Gram négatif (E. coli, K. pneumoniæ), et des cocci à Gram positif (entéro­coques, streptocoques autres, rarement staphylocoques).
Le traitement est une urgence et doit être entrepris en cas de suspicion clinique et/ou de polynucléose de l’ascite sans attendre le résultat des cultures.
La ceftriaxone (1 g/j) ou le céfotaxime (1-2 g x 3/j) est à utiliser seul(e) en l’absence d’exposition récente et d’allergie. L’association initiale d’amoxicilline (2 g x 3/j) est raisonnable pour « couvrir » les entérocoques. Amoxicilline-acide clavulanique et quinolones ne doivent pas être utilisés en première intention. En cas d’infection nosocomiale, le risque de bactérie Gram négative résistante aux céphalosporines est plus élevé, et l’association pipéracilline-tazobactam pourrait être proposée en première intention. L’antibiothérapie peut être secondairement adaptée en cas de culture positive.
La surveillance et la durée du traitement sont fondées sur :
– une ponction à 48 heures pour vérifier la diminution d’au moins 50 % de la polynucléose (et la négativité de la culture) ;
– une durée de 5-10 jours en fonction de la sévérité et de l’évolution initiale.
La perfusion d’albumine à dose forte (1,5 g/kg initialement et 1 g/kg à J3) est particulièrement indiquée en cas de créatininémie > 88 µM et/ou de bilirubinémie > 68 µM (réduction de la mortalité).
La prévention de l’infection d’ascite est indiquée pour une période limitée de 5 jours après une hémorragie digestive et pour une durée prolongée de plusieurs mois après un premier épisode d’infection d’ascite, ou en cas d’ascite pauvre en protéines (< 15 g/L, d’autant plus que les fonctions hépatiques/rénales sont plus altérées). Réduire au minimum les prescriptions des inhibiteurs de la pompe à protons au long cours pourrait diminuer le risque d’infection du liquide d’ascite (et aussi d’infection à C. difficile).
Le médicament de choix est la norfloxacine 400 mg/j ; en cas d’intolérance (tendinopathie notamment), on peut utiliser le cotrimoxazole ; en cas d’hémorragie digestive, préférer ceftriaxone ou céfotaxime.
Les antibioprophylaxies « spécifiques » (soins dentaires, par exemple) ne doivent pas être oubliées.
L’hyponatrémie (< 125 mmol/L) hypovolémique (diurétiques, perte de poids excessive, absence d’œdèmes et d’ascite) justifie l’administration de sérum salé isotonique et l’arrêt des diurétiques.
L’hyponatrémie de dilution (souvent associée à une ascite réfractaire) doit être traitée par restriction hydrique modérée (750 mL/j) et expansion volémique (à l’albumine à 20 %) si elle est symptomatique ou associée à une insuffisance rénale (syndrome hépatorénal).
Le syndrome hépatorénal doit être prévenu (éviction des médi­caments néphrotoxiques et des AINS, surveillance des traitements diurétiques, prévention et traitement précoce des infections et des hémorragies digestives).
 

Ascites « particulières »

Les ascites chyliformes ou chyleuses (ruptures de lymphatiques mésentériques) et les ascites riches en protéines en dehors de causes spécifiques (insuffisance cardiaque, par exemple) sont possibles au cours de la cirrhose et plus souvent réfractaires.
Les ascites sanglantes avec hématocrite sur le liquide d’ascite > 4 % doivent faire rechercher un carcinome hépatocellulaire mais peuvent être dues à des ruptures veineuses péritonéales.

Épanchement pleural (« hydrothorax hépatique »)

Unilatéral droit ou bilatéral à prédominance droite, l’hydrothorax dû à la cirrhose est souvent mais pas toujours associé à une ascite cliniquement évidente (« aspirée » à travers des brèches diaphragmatiques par la dépression inspiratoire thoracique).
Une ponction exploratrice est indiquée en cas d’épanchement gauche et/ou de manifestations cliniques particulières (fièvre, hémoptysie, par exemple) pour ne pas méconnaître une cause associée (tuberculose, cancer notamment). Le liquide d’hydrothorax « banal » est plus riche en protides que l’ascite, mais de cellularité basse identique ; il peut s’infecter comme l’ascite (« empyème »).
En cas de nécessité de ponction évacuatrice, la technique est identique à celle employée pour l’ascite (avec repérage échographique) ; la pose d’un drain thoracique est déconseillée (risque infectieux).
Le traitement est le même que celui de l’ascite. En cas d’hydro­thorax « réfractaire », le shunt portosystémique intra-hépatique s’il est possible est sans doute le traitement le plus efficace.

Hernies (surtout ombilicale)

Elles peuvent s’étrangler après ponction évacuatrice, et se rompre en cas d’ascite tendue et/ou de fragilité cutanée, nécessitant alors un traitement chirurgical « minimal » (évacuation de l’ascite, réintégration entérique ou épiploïque, suture cutanée, antibiothérapie, albumine) en urgence.
Le traitement de la hernie « à froid » doit être discuté si la gêne est notable et les fonctions hépatiques préservées, l’ascite bien contrôlée, par une équipe habituée aux soins postopératoires des malades atteints de cirrhose.

Encéphalopathie hépatique (EH)

L’encéphalopathie hépatique est définie comme l’ensemble des manifestations neuropsychiques secondaires à l’insuffisance hépatique ; en fait, l’existence de dérivations portocaves spontanées ou thérapeutiques joue un rôle étiologique majeur.
L’encéphalopathie hépatique clinique est séparée en 3 stades dans la classification de New Haven (tableau 4) ; elle est souvent précédée d’une encéphalopathie hépatique infraclinique ou latente, objectivée par des tests psychomoteurs, et qui dégrade la qualité de vie, rend la conduite automobile dangereuse, et aggrave le pronostic.
L’encéphalopathie hépatique clinique est souvent déclenchée par une poussée de la maladie causale, une infection, une hémorragie digestive, une constipation, un apport excessif de protéines animales, la prise de médicaments neurosédatifs.
Il faut éliminer d’autres causes de confusion ou de coma (notamment méningite, hémorragie méningée, hématome intracérébral, carence en thiamine…) ; l’existence d’une cirrhose, un fœtor hépatique sont de forts arguments diagnostiques. Une hyperammoniémie est constante (si elle est dosée immédiatement sur un prélèvement gardé au frais jusqu’au laboratoire) mais non spécifique. Des altérations électriques diffuses sont observées à l’EEG.
Il peut s’agir d’épisodes rares, ou au contraire fréquents ; à la longue, des signes permanents sont possibles (syndrome extrapyramidal, paraplégie spasmodique, démence). En cas d’encéphalopathie hépatique récidivante, surtout si les fonctions hépatiques sont préservées, il faut rechercher un ou plusieurs gros shunts portocaves spontanés dont l’oblitération peut remarquablement améliorer la situation. Sinon, l’encéphalopathie récidivante doit faire discuter la transplantation.
Le traitement symptomatique, en plus du traitement de l’éventuel facteur déclenchant, comporte un régime appauvri en protéines animales, et enrichi en protéines végétales, le lactulose ou le lactitol (dose titrée pour obtenir 2-3 selles molles par jour), et, en cas d’échec, la rifaximine per os (un antibiotique non absorbable peu inducteur de résistances bactériennes).

Infections bactériennes

Au cours de la cirrhose, les infections bactériennes sont plus fréquentes et plus graves, d’autant plus que la maladie hépatique est plus sévère. Les sites d’infection les plus fréquents sont l’ascite (infection du liquide d’ascite ou péritonite spontanée ; v. supra), les poumons, la peau (notamment lésions érysipélatoïdes des membres inférieurs), les urines, les dents, et les valves cardiaques (endocardites). Toutes ces infections peuvent causer des septicémies.
Les mécanismes essentiels favorisant les infections bactériennes sont la diminution de la fonction phagocytaire des polynucléaires, des monocytes et des cellules de Küpffer, l’augmentation de la perméabilité intestinale (translocation bacté‑rienne, endotoxinémie liées à l’hypertension portale mais aussi à la consommation d’alcool) et probablement la dysbiose intestinale.
Le traitement antibiotique est urgent et doit être adapté à la localisation infectieuse ; les aminosides doivent être évités.

Carcinome hépatocellulaire (CHC)

Il peut compliquer toute cirrhose (sous-jacente à plus de 90 % des carcinomes hépatocellulaires), quelle qu’en soit la cause, même si son incidence est par exemple plus faible dans les cirrhoses biliaires (1 % par an ?) que les cirrhoses virales ou alcooliques (2 à 3 % par an). Le risque augmente avec le sexe masculin, l’âge supérieur à 50 ans, la sévérité de la cirrhose évaluée par l’insuffisance hépatique (TP, bilirubine) et l’hypertension portale (thrombopénie, varices œsophagiennes). Il révèle malheureusement la cirrhose dans 50 % des cas, et dans ces circonstances est habituellement au-delà des traitements à visée curative (réservés aux malades avec « petit » carcinome hépato‑cellulaire généralement asymptomatique satisfaisant aux critères de Milan : tumeur unique de moins de 5 cm, ou moins de 4 lésions de moins de 3 cm sans thrombose veineuse ni métastase).
La surveillance échographique semestrielle est le meilleur moyen de dépistage actuel, et permet le diagnostic de lésions de petite taille (souvent inférieures à 2 cm), sans extension veineuse ni métastase détectable, accessibles à des traitements curatifs (transplantation, exérèse chirurgicale ou destruction percutanée par radiofréquence). En cas de lésion focale hépatique détectée lors de la surveillance échographique chez un patient cirrhotique, une procédure diagnostique standardisée est recommandée. Le diagnostic doit être étayé par une imagerie abdominale injectée avec temps artériel précoce, portal et veineux tardif (TDM ou IRM) et/ou par une biopsie échoguidée. Le comportement vasculaire typique permettant d’affirmer le diagnostic de carcinome hépatocellulaire associe une hypervascularisation massive et précoce au temps artériel et un lavage au temps portal tardif. L’hypervascularisation artérielle précoce est un signe radiologique sensible mais peu spécifique. Au contraire, le lavage au temps veineux tardif est un élément radiologique moins sensible (surtout pour les petites lésions de moins de 2 cm de diamètre) mais très spécifique. Ces critères diagnostiques non invasifs sont applicables si 3 conditions sont réunies : 1) en cas de cirrhose avérée, 2) avec le recours à des examens d’imagerie abdominale injectés réalisés de façon conforme aux recommandations des sociétés savantes de radiologie, 3) après validation par une RCP (si possible spécialisée). Globalement, deux tiers des carcinomes hépatocellulaires de plus de 1 cm de diamètre ont une cinétique vasculaire pathognomonique ; un tiers des patients devront donc avoir une ponction-biopsie tumorale à visée diagnostique. Celle-ci doit être réalisée sous contrôle de l’imagerie, et associe systématiquement un prélèvement en foie non tumoral au prélèvement tumoral.
Les recommandations de prise en charge du carcinome hépatocellulaire suivent actuellement la classification dite BCLC (Barcelona Clinic Liver Cancer), réactualisée régulièrement.

Thrombose portale

En l’absence de situation thrombogène clairement établie (syndrome myéloprolifératif, par exemple) et de carcinome hépatocellulaire, la thrombose portale cruorique est plus probablement le témoin de la gravité de la cirrhose (et de l’importance des shunts portocaves spontanés) que de la cause. Un traitement anticoagulant (énoxaparine 40 mg/j au long cours) est néanmoins capable non seulement de prévenir sa survenue mais aussi de réduire le risque de décompensation et d’augmenter la survie par des mécanismes non éclaircis (diminution des microthromboses portales intrahépatiques ?). Des essais en cours doivent confirmer ce bénéfice.

Cirrhose et médicaments

L’insuffisance hépatocellulaire et les shunts portocaves modifient le métabolisme des médicaments, habituellement dans le sens d’une augmentation de leur demi-vie d’élimination ; le risque principal est donc une accumulation progressive du médicament ; cette situation est caricaturale avec les morphiniques, les sédatifs. Les médicaments qui prolongent l’intervalle QT (notamment les macrolides et la dompéridone) ne doivent être employés qu’avec une grande prudence, à des doses d’entretien réduites, et sans doute après un ECG basal (l’intervalle QT peut être spontanément allongé en cas de cirrhose).
Le paracétamol peut être utilisé, sans excéder 3 g/j chez un adulte de poids normal, en l’absence de jeûne et de consommation chronique d’alcool (qui augmentent son hépatotoxicité). Les médicaments responsables de cytolyse (isoniazide, par exemple) ne sont pas plus souvent toxiques en cas de cirrhose, mais risquent de l’être plus sévèrement.
Il existe par ailleurs des médicaments interdits (ou quasiment) en cas de cirrhose : AINS, aminosides, et en cas d’ascite, inhibiteurs de l’enzyme de conversion et sartans. L’utilisation des benzodiazépines est à éviter, comme celles du métoclopramide et de la dompéridone (induction d’encéphalopathie hépatique).
À l’inverse, et sous réserve d’une surveillance régulière de la fonction rénale, la metformine n’est pas contre-indiquée (et même pourrait réduire le risque de carcinome hépatocellulaire) dans la cirrhose compensée.

Traitement

Mesures applicables à tous les malades atteints de cirrhose

Celles-ci sont les vaccinations (antipneumococcique, anti- grippale, antitétanique, anti-virus de l'hépatite B, anti-virus de l'hépatite A en l’absence de marqueurs préalables d’exposition à ces virus), la prévention primaire des infections bactériennes, l’arrêt de toute consommation d’alcool, de tabac et de cannabis (avec l’aide des addictologues), le maintien, en revanche, de la consommation de café, la prise en charge du syndrome métabolique.
Un malade atteint de cirrhose compensée doit être vu au moins tous les 6 mois (clinique, dépistage des conduites à risque, dépistage du carcinome hépatocellulaire, éventuellement des varices œsophagiennes, recherche d’œdèmes et d’ascite, surveillance de la fonction rénale, dépistage et traitement des éléments du syndrome métabolique et des complications du tabagisme). L’ostéoporose doit être dépistée, pas seulement dans les maladies cholestatiques chroniques, notamment en cas de facteur de risque associé (ménopause, antécédent de corticothérapie ou de fracture).

Traitements schématiques spécifiques des causes de cirrhose

Un traitement étiologique efficace transforme le pronostic de la cirrhose, réduisant souvent le risque de complications, la mortalité, et retardant ou supprimant la nécessité d’une transplantation hépatique.
Alcool : intervention brève (prévention), information, suivi spécialisé, psychothérapie, associations, médicaments diminuant l’appétence (acamprosate, naltrexone, baclofène, nalméfène).
Hépatite alcoolique grave (score de Maddrey > 32) : corticothérapie.
Stéatohépatite non alcoolique : régime, exercice physique, vitamine E, et prise en charge des autres complications métaboliques.
Hépatite C : antiviraux directs ; actuellement, en fonction du génotype : association de sofosbuvir et de lédipasvir ou de sofosbuvir et de daclatasvir, paritaprévir-ombistavir-ritonavir-(dasabuvir). L’efficacité est moins bonne en cas de cirrhose. Aussi, par rapport à des patients non cirrhotiques, les patients avec cirrhose constituée ont des schémas thérapeutiques soit comportant de la ribavirine, soit plus longs (24 versus 8 à 12 semaines).
Hépatite B : ténofovir, entécavir (au stade de cirrhose, l’interféron est moins employé).
Hémochromatose : saignées, déférasirox en cas de saignées impossibles.
Cholangite (ex-cirrhose) biliaire primitive : acide ursodésoxycholique.
Hépatite auto-immune : predniso(lo)ne et azathioprine.
Maladie de Wilson : chélateurs du cuivre (D-pénicillamine, trientine).

Transplantation hépatique (TH) pour cirrhose

Elle doit être systématiquement discutée en cas de décompensation.
L’indication principale est une cirrhose décompensée avec un score MELD ≥ 15. Des exceptions sont prévues pour prurit intraitable (cholangite biliaire primitive, cholangite sclérosante primitive), angiocholite intraitable (cholangite sclérosante primitive), syndrome hépatopulmonaire et hypertension artérielle pulmonaire modérée. La transplantation hépatique doit également être discutée (en l’absence d’indication liée directement à la cirrhose) en cas de carcinome hépatocellulaire satisfaisant aux critères de Milan. Les principales contre-indications sont l’âge supérieur à 70 ans, une toxicomanie active ou un alcoolisme non contrôlé (traditionnellement abstinence d’au moins 6 mois, sauf dans l’hépatite alcoolique aiguë grave), un cancer extra-hépatique, une insuffisance cardiaque ou respiratoire, une thrombose étendue du système porte. L’existence d’une insuffisance rénale organique fait discuter une double transplantation. La survie après transplantation hépatique est excellente, surtout si la cause de la cirrhose peut être efficacement combattue.

Tous mes remerciements à Nathalie Ganne pour sa relecture amicale

Points forts
Cirrhose du foie (chez l’adulte)

La prévalence de la cirrhose est très probablement sous-estimée. La consommation chronique d'alcool est la cause la plus fréquente et la plus grave en France.

Une cirrhose asymptomatique doit toujours être recherchée en cas de :

– contexte propice (alcool, hépatite, syndrome métabolique, surcharge en fer…) ;

– anomalies des tests hépatiques ;

– anomalies hématologiques (thrombopénie, taux de prothrombine abaissé) ;

– imagerie demandée pour une autre cause ;

– infection bactérienne sévère ;

– associations morbides, maladies de cause commune (neuropathie périphérique, syndrome sec… ).

Une endoscopie haute doit être faite dès qu’une cirrhose est suspectée ou diagnostiquée.

La cirrhose n'est pas une lésion « fixée », elle peut régresser lorsque le traitement de la cause est efficace.

Les malades atteints de cirrhose doivent être suivis régulièrement pour prévenir et détecter des complications traitables.

L’insuffisance hépatocellulaire et les shunts portocaves modifient le métabolisme des médicaments avec pour risque principal une accumulation progressive des médicaments (+++ : morphiniques, sédatifs, macrolides, dompéridone…).

Certains médicaments sont interdits en cas de cirrhose : AINS, aminosides ; et en cas d’ascite : IEC, sartans.

Le carcinome hépatocellulaire peut compliquer toute cirrhose.

Une transplantation hépatique doit être systématiquement discutée en cas de décompensation.

Pour en savoir

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