La maltraitance se nourrit tant du silence de tous que de la souffrance des acteurs du soin. Et si aucun professionnel ne choisit un métier de la relation d’aide ou ne se rend à son travail pour être maltraitant, la maltraitance existe partout et toujours, faite de « tout acte, volontaire ou non, attitude, propos, négligence, omission, action ou absence d’action portant atteinte à la dignité, à l’autonomie, à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’une personne soignée ou de ses proches. »1, 2 Plusieurs facteurs, qui se cumulent souvent, contribuent à ces dérives.
Ignorance
Le soignant peut être maltraitant par ignorance, certaines situations étant perçues comme maltraitantes par les personnes soignées et/ou leurs proches sans que, par manque de travail sur les valeurs et les attentes des patients, il ne les ait identifiées comme telles.
Mal-être au travail
La maltraitance des personnes soignées se développe sur le terreau du mal-être au travail de soignants englués dans un fonctionnement trop collectif, ignorant les besoins individuels. Le bien-être du soignant, condition trop souvent ignorée du bien-être de la personne soignée, repose sur un équilibre entre :
– des facteurs valorisants : reconnaissance et valorisation du soignant qui veut exister comme tel et se sentir utile ; équité dans la répartition des tâches ; écoute, dialogue et information, contrôle, soutien et formation ; existence de règles, de rituels au sein de l’institution ; définition partagée de valeurs (« Qu’est-ce qu’un travail bien fait, un bon soin ? ») ;
– et des facteurs stresseurs : manque de temps et surcharge de travail souvent liés à des situations chroniques de sous-effectif qui ne permettent pas au soignant de travailler en accord avec son éthique, n’être perçu que comme un outil de production soumis à des exigences de rentabilité, défauts d’encadrement, désorganisation du travail et horaires changeant sans cesse et sans raison, organigramme peu clair avec ambiguïté des rôles, problèmes relationnels avec le patient et ses proches, conflits entre professionnels, demandes administratives multiples, charge émotionnelle, perte de sens dans l’exercice professionnel.
Les équipes qui ne bénéficient pas de temps organisés d’échange, d’humain à humain, de discussion sur l’organisation et le sens du travail, sont particulièrement exposées à développer des dysfonctionnements sources de maltraitance.
– des facteurs valorisants : reconnaissance et valorisation du soignant qui veut exister comme tel et se sentir utile ; équité dans la répartition des tâches ; écoute, dialogue et information, contrôle, soutien et formation ; existence de règles, de rituels au sein de l’institution ; définition partagée de valeurs (« Qu’est-ce qu’un travail bien fait, un bon soin ? ») ;
– et des facteurs stresseurs : manque de temps et surcharge de travail souvent liés à des situations chroniques de sous-effectif qui ne permettent pas au soignant de travailler en accord avec son éthique, n’être perçu que comme un outil de production soumis à des exigences de rentabilité, défauts d’encadrement, désorganisation du travail et horaires changeant sans cesse et sans raison, organigramme peu clair avec ambiguïté des rôles, problèmes relationnels avec le patient et ses proches, conflits entre professionnels, demandes administratives multiples, charge émotionnelle, perte de sens dans l’exercice professionnel.
Les équipes qui ne bénéficient pas de temps organisés d’échange, d’humain à humain, de discussion sur l’organisation et le sens du travail, sont particulièrement exposées à développer des dysfonctionnements sources de maltraitance.
Des membres du personnel plus exposés que d’autres
Certaines catégories de personnel sont plus exposées par leur mal-être à devenir maltraitantes involontairement, par fatigue et par lassitude, en particulier : les jeunes diplômés trop idéalistes qui pensent par leur seule présence pouvoir réformer l’hôpital ; les anciens, présents dans un même service depuis plus de 15 ans et qui, se heurtant sans cesse aux mêmes difficultés, ont perdu toute motivation ; les personnels proches de la retraite qui perçoivent intensément un sentiment d’échec : « Avoir fait tout ça pour ça ! ».
Produire du soin
Notre système, nos organisations ne sont plus à l’écoute des personnes, soignées ou soignantes. Nos centres de santé sont souvent devenus des usines à produire du soin où l’humanité de l’un est ignorée, voire niée par l’autre : les soignés ne sont pas toujours reconnus par les soignants comme des humains riches de leurs valeurs et de leurs droits, et vice versa ; la désorganisation ne permet pas l’individualisation des accueils et accompagnements ; les droits des patients sont souvent vécus plus comme une nouvelle contrainte dans un exercice professionnel déjà sous tension que comme une aide au bon soin (il est toutefois vrai que les demandes véhémentes de certains patients, uniquement formulées sous forme d’exigences et de droits, sans prise en compte des contraintes des soignants et des autres patients, allant parfois bien au-delà de la mission des organisations de santé, ne peuvent que mettre les soignants dans l’embarras et provoquer leur mal-être).
Juste distance plutôt que proximité
Pendant des années, on a demandé aux soignants de mettre à distance leurs sentiments, de trouver la juste distance plutôt que la juste proximité avec les personnes soignées et leurs proches. Les émotions, l’humanité ont été longtemps perçues comme un risque par rapport à l’objectivité nécessaire à une approche scientifique et technique du malade. Aujourd’hui est préconisé un investissement plus personnel des professionnels sans pour autant qu’ils soient accompagnés dans cette nouvelle voie. Beaucoup de dérives en découlent et, pour un personnel usé qui a perdu le sens de son engagement, la relation humaine qui expose à l’autre et à soi-même est moins sécurisante que le travail technique. Comment s’étonner alors que l’ordinateur devienne le bouclier derrière lequel s’abritent bien des soignants pour se protéger ? N’est-il pas plus facile d’appliquer une norme que de s’exposer en individualisant le soin ?
Dysfonctionnement managérial
La place de l’encadrement est centrale pour réguler le travail, gérer les équipes, leur insuffler un esprit, les soutenir face aux évolutions de leur travail, aux demandes des patients et de leur hiérarchie. Pourtant, les cadres sont aujourd’hui toujours plus happés par des tâches administratives (dont le sens n’est souvent perçu ni par le cadre ni par son équipe) que par leur mission d’accompagnement des soignants. Or seule leur présence au quotidien et leur proximité permettent de comprendre les situations, d’appréhender les problèmes, de rappeler les règles régulièrement et de manière crédible, de soutenir. Encore faudrait-il que les cadres soient eux-mêmes écoutés et soutenus. Ce qui n’est, de loin, pas le cas… Alors, comment leur demander toujours si on ne leur donne jamais ?
Le risque de maltraitance est bien sûr individuel, avec des personnes qui dérivent dans leurs pratiques professionnelles et adoptent des comportements inadaptés, mais il est surtout collectif quand les organisations dysfonctionnent, ne prenant en compte ni les besoins ni les attentes des personnes, quand le silence fait loi autour de comportements que chacun réprouve mais dont tous détournent le regard, quand le soignant n’est plus ni reconnu ni valorisé. Le travail collectif, les espaces de réflexion, la collaboration avec les patients et leurs associations dont l’expérience des milieux de soin et les connaissances de la maladie doivent être valorisées, permettent de prévenir le risque de maltraitance.
Le risque de maltraitance est bien sûr individuel, avec des personnes qui dérivent dans leurs pratiques professionnelles et adoptent des comportements inadaptés, mais il est surtout collectif quand les organisations dysfonctionnent, ne prenant en compte ni les besoins ni les attentes des personnes, quand le silence fait loi autour de comportements que chacun réprouve mais dont tous détournent le regard, quand le soignant n’est plus ni reconnu ni valorisé. Le travail collectif, les espaces de réflexion, la collaboration avec les patients et leurs associations dont l’expérience des milieux de soin et les connaissances de la maladie doivent être valorisées, permettent de prévenir le risque de maltraitance.
Références
1. Schmitt M, Chriqui-Reinecke M, Bressand M. Promouvoir la bientraitance dans les établissements de santé. Rapport de la mission ministérielle. Paris : la Documentation française ; 2011. www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports.
2. Schmitt M, et al. Bientraitance et qualité de vie. Paris : Elsevier Masson, 2013
2. Schmitt M, et al. Bientraitance et qualité de vie. Paris : Elsevier Masson, 2013