Depuis quelques mois circulent sur les réseaux sociaux, dans divers médias et parfois même dans la bouche de personnalités politiques de premier plan un certain nombre d’opinions négatives et d’informations trompeuses à propos de Nutri-Score, le logo d’information nutritionnelle destiné à être apposé en face avant des emballages des aliments adopté officiellement par la France en 2017, et plus récemment par la Belgique et l’Espagne.
Ce phénomène de dénigrement de Nutri-Score s’est particulièrement accentué ces dernières semaines, vraisemblablement en rapport avec les débats très médiatisés qui ont lieu actuellement dans plusieurs pays européens autour du choix de leur logo nutritionnel, et du fait aussi des discussions qui ont lieu au sein des instances de la Communauté européenne à Bruxelles.
Dans ce cadre bouillonnant, les manœuvres visant à décrédibiliser Nutri-Score pour éviter son adoption se multiplient alors que ce dernier est plébiscité par de multiples associations de consommateurs en Europe ! Fort d’un dossier scientifique convaincant regroupant plus d’une trentaine de publications internationales validant d’une part son algorithme sous-jacent et son format graphique et démontrant, d’autre part, son efficacité et sa supériorité par rapport aux autres logos sur plusieurs dimensions du comportement des consommateurs, Nutri-Score est refusé avec force par certains groupes de pression (association des industriels agroalimentaires FEVIA en Belgique, BLL en Allemagne, Coldiretti en Italie…). Bien que certains industriels et distributeurs en France, en Belgique, en Espagne, mais aussi en Allemagne, en Autriche, au Portugal, en Suisse, en Slovénie… ont choisi d’afficher sur leurs produits Nutri-Score, il persiste encore des oppositions très fortes de certaines grandes multinationales agroalimentaires qui ne souhaitent pas utiliser Nutri-Score. Celles-ci ont établi des stratégies pour tenter de le torpiller, en proposant, par exemple, des alternatives de logos qu’ils ont développés et qui leur sont plus favorables (evolved nutrition label [ENL] au niveau euro-péen, cercles du BLL en Allemagne…). Dans ce sens, les fausses informations (fake news) visant Nutri-Score font, sans aucun doute, le jeu de ces multinationales qui souhaitent le décrédibiliser. Elles sont également le fait ou sont relayées par toutes sortes de « gourous » ou de simples internautes qui expriment non pas une vision de santé publique étayée par un travail scientifique mais de simples opinions personnelles qui, au travers de quelques exemples montés en épingle, visent à décrédibiliser l’ensemble du système.

Semer le doute

Les fausses informations sur Nutri-Score qui circulent actuellement sur les réseaux sociaux et dans certains médias se différencient totalement des critiques légitimes qui font partie du débat scientifique utile (notamment sur les limites du système), tant dans leurs objectifs que dans leur forme. Les fake news se caractérisent par le fait que l’information qu’elles véhiculent est trompeuse, et ne cherchent qu’à troubler les esprits. Elles se limitent le plus souvent à la juxtaposition d’éléments qui peuvent être justes pour chacun d’entre eux mais dont la mise en scène peut contribuer à une confusion ou semer le doute chez ceux qui n’ont pas le recul ou suffisamment de connaissances sur Nutri-Score, sur ses objectifs et la manière dont il se calcule et s’utilise.
Le plus souvent, les fake news montent en épingle un seul exemple du système, sorti de tout contexte, en l’utilisant pour décrédibiliser l’ensemble. Elles circulent de ce fait sous la même forme (message ou support iconographique), le plus souvent au travers d’une image « parlante » présentée sous une forme pseudo-scientifique. La même image est souvent accompagnée de commentaires méprisants, voire injurieux. Les fake news sont souvent mises en ligne ou relayées par des émetteurs « anonymes » ou par des particuliers qui, s’appuyant sur la même information (souvent la même image), donnent leur avis personnel (dans certains cas vraisemblablement trompés eux-mêmes par l’information ou insuffisamment informés pour reconnaître la fake news). Ce qui est spectaculaire c’est que ces désinformations sortent des réseaux sociaux et sont reprises comme des éléments scientifiques par certains médias (parfois importants) et par tous ceux qui ont intérêt à s’en servir (lobbys, scientifiques ayant des liens d’intérêts avec des opérateurs économiques, personnalités politiques, voire ministres…).
En fait, le lancement d’une fausse information sur Nutri-Score et le fait qu’elle soit relayée par différents émetteurs impliquent différents mécanismes :
– la méconnaissance ou la dénégation de ce que l’on peut attendre de Nutri-Score (ou d’ailleurs de tout autre logo nutritionnel). Ainsi, elles n’intègrent manifestement pas, volontairement ou non, le principe, l’objectif, les contraintes et le périmètre d’action d’un logo nutritionnel, ni l’ensemble des données scientifiques qui valident son algorithme de calcul ou son format graphique ;
– la reprise d’exemples de comparaison de Nutri-Score portant toujours sur les mêmes aliments (en nombre très limité), rapprochés et mis en scène dans le but de donner l’impression que Nutri- Score classerait de façon absurde la qualité nutritionnelle ou la valeur santé des aliments, et donc induirait en erreur les consommateurs... Il est intéressant de noter que les exemples utilisés s’appuient toujours sur les mêmes aliments de marque (moins d’une quinzaine d’aliments de marque, sachant qu’au total il en existe plus de 200 000 pour lesquels il est possible de calculer Nutri-Score) et qui veulent frapper les esprits par leur image dans la population (aliments traditionnels réputés favorables à la santé, aliments industriels réputés défavorables…) et par la comparaison binaire (bien ou mal classés). À aucun moment n’est d’ailleurs fait état par les détracteurs du fait que Nutri-Score ne leur pose pas de problème pour 99 % des autres aliments qui ne font pas l’objet d’attaques de leur part !
Ci-dessous sont présentées différentes fake news apparues ces derniers mois sur les réseaux sociaux et pour lesquelles nous expliquons leur manque de sérieux. Pour des raisons d’homogénéité, nous avons traduit en français les verbatims circulant dans les réseaux sociaux ou dans la presse en espagnol, anglais, flamand, italien ou directement en français.

Fake-news reposant sur une incompréhension de la finalité des logos nutritionnels

« Nutri-Score n’a aucun intérêt et est trompeur pour le consommateur, la preuve : certains aliments ultratransformés contenant des additifs ou des pesticides sont bien classés ! » Ce type de critiques porte sur le fait que Nutri-Score n’intègre pas les additifs, le degré de transformation, ou les pesticides. Ce choix est pleinement assumé pour Nutri-Score comme pour tous les autres logos nutritionnels (pour plus de détails, voir l’article « Le NutriScore mesure la qualité nutritionnelle des aliments, et c’est déjà beaucoup » dans The Conversation*), et est lié à l’impossibilité, étant donné les connaissances scientifiques actuelles, de développer un indicateur synthétique qui couvrirait l’ensemble de ces dimensions. Nutri-Score est un système d’information nutritionnelle, qui a été démontré comme très utile pour aider les consommateurs à orienter leurs choix vers des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, mais en aucun cas il n’a la prétention d’être un système d’information sur la dimension globale « santé » des aliments couvrant, en plus de la dimension nutritionnelle, les dimensions sanitaires et environnementales.
Synthétiser l’ensemble des dimensions « santé » des aliments au travers d’un indicateur unique et fiable, qui prédirait globalement le risque pour la santé serait, à l’évidence, le rêve de tout acteur de nutrition de santé publique dans l’intérêt des consommateurs. Mais ce n’est pas par hasard et sûrement pas par incompétence qu’aucune équipe de recherche ou aucune structure de santé publique dans le monde, ni aucun comité d’experts indépendants nationaux ou internationaux, ni l’Organisation mondiale de la santé n’a pu concevoir un tel indicateur synthétique. Cela peut s’expliquer par deux types de raisons :
– d’abord les niveaux de connaissances et le degré de certitude concernant les liens avec la santé diffèrent selon la dimension considérée pour les aliments. L’accumulation de très nombreux travaux épidémiologiques, cliniques et expérimentaux permet de considérer qu’il existe pour certains éléments nutritionnels (nutriments/aliments) un niveau de preuve documenté et solide sur leurs conséquences sur le risque de maladies chroniques allant de « probable » à « convaincant » dans les classifications internationales. Pour les autres dimensions, notamment celles se référant aux nombreux additifs, composés néoformés ou contaminants (pesticides, antibiotiques, perturbateurs endocriniens), il existe certes des hypothèses sur la santé, mais avec des niveaux de preuve très différents (notamment en termes d’études chez l’homme) ;
– ensuite pour une raison découlant de la précédente, il est actuellement impossible de pondérer la contribution relative de chacune des dimensions d’un aliment sur le risque pour la santé, pour aboutir à une note synthétique qui idéalement serait prédictive d’un niveau de risque global. Certaines applications le proposent, mais elles ne reposent sur aucune base scientifique valide. Les questions méthodologiques sont nombreuses et encore non résolues : mesure précise du risque attribuable à chacune des dimensions, à chacun des différents composants potentiellement incriminés, effet cocktail potentiel, etc. De fait, calculer un indice unique pour caractériser la qualité sanitaire globale d’un aliment, qui pourrait in fine aboutir à un jugement dans l’absolu (excellent, bon, médiocre…) ne repose pas sur des bases scientifiques suffisamment solides et présente donc un caractère assez arbitraire.
Enfin, en ce qui concerne les additifs et les pesticides, en cas de preuve d’un risque pour la santé, la réponse à apporter d’un point de vue de santé publique n’est pas l’information du consommateur au travers d’un logo mais bien le retrait de l’élément en question de la chaîne alimentaire, selon un principe de gestion du risque sanitaire. C’est d’ailleurs le cas aujourd’hui pour l’additif controversé E171, pour lequel un retrait a été annoncé par les autorités françaises.
Cela n’empêche en rien, dans le cadre d’une politique nutritionnelle de santé publique efficace, de recommander à la population de choisir des aliments affichant le meilleur Nutri-Score possible, sans ou avec la plus courte liste possible d’additifs (dans la liste des ingrédients) et de privilégier les aliments bruts et, si possible, issus de l’agriculture biologique (avec un logo certifiant).

Fake news reposant sur des pseudo-contradictions dans la capacité de Nutri-Score à classer les aliments en fonction de leurs qualités nutritionnelles

« Le Nutri-Score est faux, la preuve : les frites qui ne sont pas bonnes pour la santé sont mieux classées que les sardines qui contiennent plein de bonnes choses ; ou l’huile d’olive est moins bien classée que le Coca-Cola zéro… ! »
Il faut garder à l’esprit que la finalité d’un logo nutritionnel comme Nutri-Score n’est pas de classer les aliments en « aliments sains » ou « aliments non sains », en valeur absolue, comme le ferait un logo binaire (bien versus mal). Une telle finalité pour un logo nutritionnel resterait totalement discutable car cette propriété est liée à la quantité consommée de l’aliment et à la fréquence de sa consommation, mais également à l’équilibre alimentaire global des individus (l’équilibre nutritionnel ne se faisant pas sur la consommation d’une prise alimentaire, ni même sur un repas ou sur un jour…). Ces notions complexes ne peuvent, bien sûr, être résumées par un logo nutritionnel attribué à un produit spécifique d’une marque donnée…
Non, la finalité de Nutri-Score est de fournir aux consommateurs une information en valeur relative qui leur permet, en un simple coup d’œil, de pouvoir comparer la qualité nutritionnelle des aliments, ce qui est déjà très important pour orienter leurs choix au moment de l’acte d’achat. Mais cette comparaison n’a d’intérêt que si elle est pertinente, notamment si elle porte sur des aliments que le consommateur est confronté à comparer dans la vraie vie (au moment de son acte d’achat ou de sa consommation). Par ailleurs, par définition, Nutri-Score n’invente rien, il ne donne pas un blanc-seing sur la valeur santé dans l’absolu de l’aliment. Il ne fait que retranscrire sous forme synthétique les éléments de composition nutritionnelle qui figurent sur l’étiquette nutritionnelle présente à l’arrière de l’emballage.

Des comparaisons qui n’ont pas de sens

Et au contraire, les fake news vont essayer de détourner l’intérêt de Nutri-Score en mettant en avant des pseudo-contradictions à partir de comparaisons qui n’ont pas de sens réel…
Voici une des images qui circule le plus souvent sur les réseaux sociaux, largement reprise par des internautes, certains médias, des groupes de pression et des politiques (fig. 1). Le principe de cette image (reprise de très nombreuses fois) est d’essayer de caricaturer Nutri-Score, laissant entendre que certaines catégories de produits industriels seraient classées comme « bonnes pour la santé » (« healthy foods ») et mieux classées que des aliments « traditionnels » qui seraient eux considérés comme « non favorables pour la santé » (« unhealthy foods »). Le logo Nutri-Score permet de comparer la qualité nutritionnelle des aliments mais à condition que ces comparaisons soient pertinentes et utiles aux consommateurs pour orienter leurs choix. Là encore, il est bon de rappeler que Nutri-Score permet de comparer la qualité nutritionnelle :
– d’aliments appartenant à la même catégorie. Par exemple dans la famille des céréales du petit déjeuner, comparer des mueslis à des céréales chocolatées ou à des céréales chocolatées et fourrées ; comparer des biscuits secs à des biscuits aux fruits et à des biscuits chocolatés ; ou des lasagnes à la viande à celles au saumon, aux épinards ; ou encore, les différents plats préparés à base de pâtes ; les différents types de pizza ; ou différents types de boisson (eau, jus de fruits, boissons à base de fruits, sodas…). Dans chacune de ces catégories, les Nutri-Score vont varier de A à E, ce qui fournit une information utile pour aider les consommateurs dans leurs choix ;
– un même type d’aliment proposé par des marques différentes. Par exemple comparer des céréales chocolatées et fourrées d’une marque par rapport à son « équivalent » d’une autre marque ou des biscuits chocolatés de différentes marques. Là encore, les Nutri-Score peuvent varier de A à E, ce qui est également une information utile pour aider les consommateurs à reconnaître les aliments de meilleure qualité nutritionnelle ;
– d’aliments appartenant à des familles différentes, à condition qu’il y ait une réelle pertinence dans leurs conditions d’usage ou de consommation (et qui sont souvent proches dans les rayons des supermarchés) : des yaourts par rapport à des crèmes desserts ; des céréales de petit déjeuner par rapport à des biscuits, du pain ou des viennoiseries industrielles…
Mais quel est le sens, comme le fait la fake news de la figure 1, de comparer des frites à du roquefort, des céréales du petit déjeuner à des sardines ou l’huile d’olive au Coca-Cola zéro ? Est-ce que la question se pose réellement de cette façon pour les consommateurs au moment de leur acte d’achat ou de leur consommation alimentaire ? Il est très peu probable que le consommateur envisage a priori de consommer des sardines pour son petit déjeuner, ni d’assaisonner sa salade avec du Coca-Cola ou de se rafraîchir avec de l’huile d’olive… En réalité, le consommateur a besoin de pouvoir comparer la qualité nutritionnelle des aliments qui ont une pertinence à se substituer dans sa consommation. S’il souhaite choisir les éléments de son petit déjeuner, il est important qu’il puisse comparer des aliments de catégories différentes mais consommées à cette occasion, par exemple du pain de mie, des viennoiseries, des céréales de petit déjeuner ou des biscuits. Et bien sûr avoir accès à la transparence sur la qualité nutritionnelle au sein des grandes catégories ou en fonction des marques, pour pouvoir ainsi comparer différentes céréales de petit déjeuner entre elles, ou les différentes viennoiseries industrielles ou les pains de mie en fonction des marques…
Dans ce contexte, Nutri-Score fonctionne parfaitement bien, comme le démontre les exemples ci-contre (fig. 2 à 6).
Par exemple, différents aliments appartenant à des catégories différentes sont consommés au petit déjeuner (fig. 2) : on se rend compte d’un coup d’œil que, parmi les options pour le petit déjeuner, lorsque l’on compare plusieurs catégories d’aliments, certaines sont plus favorables que d’autres. Les pains complets ou certains mueslis sont mieux classés que des biscuits ou des viennoiseries. De plus, selon le type de pain (complet ou non), le type de biscuits ou de céréales, il peut exister des variations importantes de qualité nutritionnelle. Par exemple, à l’intérieur de la catégorie des céréales de petit déjeuner, il existe une très grande variabilité de qualité nutritionnelle avec des Nutri-Score allant de A à E selon le type de céréales (il en est de même pour des céréales équivalentes mais de marques différentes) [fig. 3].
Il en est de même pour la variabilité de la qualité nutritionnelle des crèmes desserts, qui, sans logo nutritionnel, n’est pas facile à évaluer pour les consommateurs, mais dont les différences apparaissent de façon très évidente avec l’affichage de Nutri-Score, qui peut aller de A à E selon les produits (fig. 4).
Ce type de fake news cherche à donner l’impression que Nutri-Score n’est pas cohérent en termes de classification nutritionnelle des aliments en comparant des aliments qui n’ont pas de raison d’être comparés entre eux, tout en omettant l’intérêt principal de Nutri-­Score pour le consommateur, à savoir comparer des aliments dans des conditions pertinentes. L’autre élément de tromperie sous-jacent à la fake news repose sur le fait de jouer sur des stéréotypes en termes de croyance ou de perception des aliments.
L’image des frites (souvent liée à celle des fast-foods) est dans la croyance populaire plutôt perçue comme négative sur le plan nutritionnel, alors que celle d’aliments « traditionnels » comme le roquefort, le jambon Serrano ou les sardines (tout comme le saumon fumé) bénéficient d’une perception plutôt favorable. Pourtant, il suffit de regarder l’étiquette de l’aliment pour se rendre compte de la réalité de la composition nutritionnelle. Il est tout à fait normal que le roquefort ou le jambon Serrano soient classés E compte tenu de leur richesse en graisses saturées et en sel. De même, que le saumon fumé soit classé D, largement repris comme une critique de Nutri-Score, est tout à fait « normal » compte tenu de sa richesse en sel (2,5 à 3,5 g de sel pour 100 g), à la différence du saumon frais qui lui est classé A, ce qui n’est jamais indiqué dans les messages mettant en cause la classification du saumon fumé par Nutri-Score.
Là encore, il existe de très grandes différences de qualité nutritionnelle au sein des catégories d’aliments (différents fromages, différents jambons…) ou pour un même aliment selon la préparation et la marque. Si le roquefort est toujours classé en E (il contient entre 3 et 4 g de sel/100 g et est riche en acides gras saturés), la majorité des fromages sont classés D et certains C (comme la mozzarella). Même pour les jambons équivalents, par exemple le jambon Serrano peut être E ou D, et d’autres types de jambon se classent en D ou C.
Pour les sardines, largement utilisées pour mettre en cause l’intérêt du Nutri-Score (au travers toujours de la même image [fig. 1]), si certaines marques sont réellement classées en D, d’autres sardines en boîte vont aller de A à D selon leur composition nutritionnelle, il n’est donc pas honnête de laisser entendre que les sardines sont systématiquement placées en D par Nutri-Score…

Problèmes spécifiques posés par les frites

Les remarques faites dans les fake news sur les frites touchent à la fois à l’irrationnel (l’image négative des frites rattachée aux fast-foods) et, là encore, à l’incompréhension de la façon dont s’établit un logo nutritionnel et quel peut être son rôle. En effet, par définition, Nutri-Score (comme tous les autres logos nutritionnels) n’est qu’une traduction des valeurs nutritionnelles déclarées à l’arrière du paquet, qui se réfère aux aliments tels que vendus. Il est en effet demandé au fabricant la transparence sur le produit qui est mis sur le marché, mais ce dernier ne peut tenir compte et/ou anticiper la variabilité des modes de préparation, d’utilisation ou de consommation pour son produit. Pour Nutri-Score, seuls les aliments qui nécessitent une reconstitution spécifique, selon une recette standardisée (purée en flocons, préparations sèches pour gâteaux), bénéficient d’un Nutri-Score calculé sur la base de la recette standardisée.
En revanche, pour les frites surgelées, plusieurs modes de cuisson sont possibles, et l’utilisation d’une recette standardisée dans ce cas serait réductrice par rapport aux modes de consommation constatés dans la population. La cuisson au four des frites précuites surgelées (le plus souvent classées B par Nutri-Score) n’a pas d’impact sur la composition nutritionnelle et le Nutri-Score n’est pas modifié dans ce cas après cuisson (il reste B). En revanche, pour les frites surgelées (non précuites) classées le plus souvent A par Nutri-Score (ce sont simplement des pommes de terre épluchées et coupées), l’information du mode de cuisson est donnée sur les emballages et recommande une cuisson en autocuiseur. Dans ces conditions, Nutri-Score passera, selon les huiles de cuisson (plus ou moins riches en acides gras saturés) à B ou au maximum à C. L’ajout de sel par la suite peut lui aussi impacter la note, mais ne peut raisonnablement pas être anticipé lors de l’achat du produit. Ces éléments montrent à la fois l’intérêt de Nutri-Score, qui permet d’éclairer les consommateurs sur la réalité de la composition nutritionnelle et de lutter contre certains stéréotypes ou idées reçues : par exemple, dans le cas des frites, largement utilisées dans les fake news, elles ont une composition nutritionnelle plutôt favorable pour celles à cuire au four et même celles surgelées cuites en friteuse restent correctes sur le plan nutritionnel (classées au maximum C). Il n’en demeure pas moins qu’il apparaît nécessaire dans le cadre exclusif des aliments ne pouvant être consommés tels qu’achetés (telles que les frites surgelées non précuites), et pour lesquels est donné sur l’emballage un mode de cuisson spécifique et détaillé susceptible d’impacter le Nutri-Score, que le fabricant alerte les consommateurs de la modification induite sur le Nutri-Score en donnant : le Nutri-Score du produit tel que vendu (correspondant aux éléments qui sont sur l’étiquetage nutritionnel) et une mention sur le score final, en donnant la lettre de Nutri-Score obtenue par le produit après cuisson selon le mode recommandé sur l’emballage (pour les frites, la modification aboutit à passer à une classe supérieure de Nutri-Score après passage en friteuse).

Et les autres logos ?

Le problème du classement des aliments mis en cause, comme la comparaison entre l’huile d’olive et Coca-Cola zéro, est-il spécifique à Nutri-Score ? Comment les autres logos les classent-ils ? Comme tous les logos nutritionnels sont bâtis sur les données correspondant à leur composition nutritionnelle, tous les logos coloriels comme le Traffic Light au Royaume-Uni ou l’ENL soutenu par certaines multinationales décrivent pour l’huile d’olive deux « rouges » compte tenu de sa composition en graisses saturées et en graisses totales tandis que le Coca-Cola zéro affiche 4 « verts ». De même, dans le cas des avertissements sanitaires soutenus en Amérique latine, au Canada ou en Israël, le Coca-Cola zéro n’affiche aucun avertissement. Donc quel que soit le système, l’huile d’olive est moins bien classée compte tenu de son contenu en calories, graisses totales et graisses saturées. Mais curieusement si cette critique revient fortement pour Nutri-Score, personne ne s’est offusqué de ce problème de classement pour le Multiple Traffic Light britannique, et cela n’a d’ailleurs pas posé de problème pour les consommateurs des chaînes de distribution qui utilisent déjà depuis de longues années ce type de logo (en Espagne [fig. 7], au Portugal ou au Royaume-Uni) et qui positionnent également plus mal l’huile d’olive que le Coca-Cola zéro.

Éclairer le consommateur

Il apparaît donc clairement, contrairement à ce que véhiculent les fake news, que Nutri-Score permet de différencier finement et facilement d’un simple coup d’œil la qualité nutritionnelle des aliments et de comparer les aliments entre eux, pour aider les consommateurs à éventuellement choisir une alternative plus favorable sur le plan nutritionnel, soit dans une autre catégorie correspondant à l’usage que l’on souhaite faire de l’aliment, soit au sein de la même catégorie en choisissant un meilleur Nutri-Score ou la marque proposant l’aliment le mieux classé.
Il est aussi essentiel de rappeler une règle majeure de Nutri-Score, ce qui n’apparaît jamais dans les fake news : le fait d’être classé D et E pour un aliment ne veut pas dire qu’il ne doit pas du tout être consommé. Dans le cadre d’une alimentation équilibrée, il peut être intégré, mais le consommateur averti saura, s’il ne souhaite pas choisir une alternative de meilleure qualité nutritionnelle et qu’il souhaite maintenir son choix pour un produit D et E, qu’il vaut mieux qu’il le consomme en plus petite quantité et/ou moins fréquemment.

Fake news : Nutri-Score serait adapté à la France et non aux autres pays européens

« Le Nutri-Score est franco-français et n’est pas adapté aux autres pays d’Europe. Les adaptations faites dans son calcul ont été faites pour faire plaisir à son secteur fromager. »
Une autre fake news circulant sur internet est le fait que la France aurait fait une exception spécifique sur le calcul de l’algorithme pour les fromages afin d’améliorer l’image des fromages qui font partie de son patrimoine culinaire ! Cela est bien sûr totalement faux. En fait, Nutri-Score a fait, au cours de son développement en 2015-2016, l’objet d’adaptations à la marge qui ne modifiaient pas les éléments pris en compte pour le calcul du score de base (qui permet d’attribuer les différentes couleurs de Nutri-Score) au niveau de l’ensemble des aliments. Les éléments « négatifs » du calcul sont ceux qui figurent dans la déclaration nutritionnelle obligatoire au niveau européen et qui sont cités dans l’étiquetage obligatoire en face arrière des emballages (calories, lipides totaux, graisses saturées, sodium, qui sont d’ailleurs les seuls éléments disponibles pour tous les aliments). Les adaptations mineures du mode de calcul ont été faites pour les fromages, les matières grasses et les boissons. Cela provient du fait qu’après l’analyse en 2015 de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (ANSES) ces trois catégories (il s’agit bien de catégories, pas d’aliments spécifiques) ont été reconnues comme soulevant des problèmes spécifiques aisés à régler (sans remettre en cause le choix des nutriments entrant dans le calcul de l’algorithme) :
- pour les fromages, du fait de leur composition élevée en acides gras saturés, la teneur en protéines (utilisée pour refléter la teneur en calcium et fer dans l’algorithme de calcul de Nutri-Score) n’était pas comptabilisée dans le calcul de Nutri-Score et se trouvaient tous classés en E. Or les fromages sont une source importante de calcium. De ce fait, il a été considéré que l’algorithme présentait une incohérence, puisqu’il ne prenait pas bien en compte la contribution du fromage aux apports en calcium. De la même façon, il ne permettait pas de distinguer des différences de teneurs en sel et/ou en graisses. Avec la modification, la grande majorité des fromages est classée en D (ce qui est cohérent avec les recommandations nutritionnelles, qui visent à ne pas pousser à des consommations importantes de fromages), allant par ailleurs du C (pour les fromages frais peu salés) au E (pour les fromages affinés salés) ;
- toutes les graisses ajoutées étaient dans la même catégorie, or il était clair qu’il était nécessaire de distinguer les graisses animales plus riches en acides gras saturés (beurre et crème) et les graisses végétales moins riches en graisses saturées (huile, margarines), en cohérence avec les repères nutritionnels en population générale. La modification qui a été faite à l’algorithme a permis de distinguer les deux groupes puisque les matières grasses animales sont toutes en E (avec l’huile de palme), à la différence des huiles végétales et margarines végétales ;
– pour les boissons, la modification faite à l’algorithme original a été liée au fait que les boissons ont une densité différente des produits solides, et qu’elles contiennent principalement du sucre. L’adaptation a été réalisée surtout pour que l’eau soit la seule boisson classée en A (et éviter que les boissons édulcorées soient classées au même niveau que l’eau, compte tenu des composés pris en compte dans le calcul).

Quelles leçons tirer des problèmes de comparaisons d’aliments véhiculées par les fake news ?

Même si, comme précédemment évoqué, la comparaison (non justifiée) des scores nutritionnels de certains aliments n’est pas adaptée et apparaît comme une critique non pertinente en termes de réalité pratique (comme celle du Coca-Cola zéro et de l’huile d’olive), et bien que Nutri-Score fonctionne parfaitement bien pour l’extrême majorité des aliments, les positionnements nutritionnels de l’huile d’olive et du Coca-Cola zéro dans l’échelle Nutri-Score (liés au calcul de son algorithme de base) soulèvent tout de même de vraies questions en termes de santé publique dont sont tout à fait conscients les scientifiques travaillant dans la conception du système depuis sa mise en place. Même s’ils ne sont pas de même nature que les fakes news, certains éléments concernant le positionnement de quelques rares aliments au regard des recommandations de santé publique nécessitent une réaction à court ou moyen terme :
– pour l’huile d’olive, ce n’est pas tant une comparaison non pertinente à d’autres aliments (qui n’ont rien à voir en termes d’usage) qui pose un problème mais plutôt le fait que l’huile d’olive (classée D) est certes mieux placée que les matières grasses animales (classées E) ou que les huiles très riches en acides gras saturés (coco, palme…), mais elle est moins bien classée que les huiles de colza (qui sont classées en C). Or les recommandations nutritionnelles de santé publique dans quasiment tous les pays européens visent à privilégier les matières grasses végétales plutôt qu’animales (ce qui est couvert par la forme initiale de Nutri-Score), mais recommandent également de privilégier, et notamment en fonction des cultures alimentaires, les huiles d’olive, de colza et de noix (ce qui n’est pas le cas, l’huile d’olive et l’huile de noix étant moins bien classées que l’huile de colza). Des discussions sont en cours avec différents chercheurs en France et en Europe pour permettre à Nutri-Score, en valorisant les huiles d’olive et de noix dans la prise en compte des points positifs du calcul de l’algorithme de base de Nutri-Score (mais sans modifier l’algorithme), de corriger cette anomalie. Les huiles d’olive et de noix sont alors classées en C comme l’huile de colza et font partie des trois huiles les mieux classées… Un arrêté modificatif de l’arrêté du 31 octobre 2017 donnerait la cohérence nécessaire entre les recommandations nutritionnelles françaises (publiées par Santé publique France en janvier 2019) mais aussi européennes et mondiales et le classement des huiles dans Nutri-Score ;
– pour les édulcorants, il est prévu que ce point soit rediscuté lors du bilan qui sera fait en 2021 et dans le cadre de la discussion avec les différents États qui seront engagés dans le processus. D’éventuelles lacunes qui pourraient être identifiées à l’usage ou des progrès possibles dans la construction de l’algorithme liés à l’évolution des connaissances scientifiques et/ou de la situation juridique en Europe (prise en compte des sucres libres…) seront également rediscutés pour le futur à l’occasion du bilan.
Enfin, il faut également rappeler clairement que Nutri-Score, comme tous les logos nutritionnels sur la face avant des emballages des aliments, n’est qu’un seul des éléments d’une politique nutritionnelle de santé publique. Il doit bénéficier d’un accompagnement pédagogique (actions d’information, communication et éducation auprès du grand public et des professionnels de santé, du social, de l’éducation…) quant à son utilisation, sa signification, son intérêt et ses limites. Il s’inscrit en complémentarité des autres mesures de santé publique et notamment toute les actions de communication sur les recommandations génériques de consommation en termes de groupes alimentaires et notamment le fait de consommer plutôt des produits bruts et des produits issus d’une agriculture utilisant le moins de pesticides possible (aliments « bio »).

Lobbys à l’œuvre

Finalement, il est légitime qu’il y ait débat autour de Nutri-Score et que chacun fasse entendre sa voix et puisse poser ses questions (scientifiques, consommateurs, industriels, journalistes, spécialistes ou profanes…), mais il est important que le débat reste constructif et honnête. Nutri-Score, tant dans sa construction que sa validation, repose sur des bases scientifiques très solides (avec plus de 30 publications scientifiques dans des revues internationales à comité de lecture) démontrant son efficacité et sa supériorité par rapport à tous les autres systèmes de logo nutritionnel (qui n’ont pas un dossier scientifique aussi convaincant). Au travers de critiques focalisées et disproportionnées niant les intérêts multiples de Nutri-Score, le jeu des lobbys ne vise qu’à empêcher le déploiement de Nutri-Score en Europe… pour garder le statu quo, qui reste peu convaincant et peu utile pour le consommateur.
Ce texte est accessible sur le blog : https://nutriscore.blog ou http://bit.ly/30bNfXh