Les chutes des personnes âgées de 65 ans ou plus constituent un important problème de santé publique. Leur prévention passe par un dépistage des sujets à risque modéré ou élevé de chute puis une correction des facteurs concourant à ce risque.
L’incidence annuelle des chutes est d’environ 30 % après 65 ans, 50 % après 80 ans et est plus élevée encore en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Chaque année en France, ces chutes sont responsables de 500 000 admissions aux urgences, 50 000 hospitalisations, 65 000 fractures de hanche – l’une des plus sévères et coûteuses complications des chutes – et de 9 000 décès, pour des dépenses annuelles estimées à 2 milliards d’euros.1 Les chutes entretiennent aussi la peur de tomber (syndrome post-chute), qui augmente le risque de dépendance et d’admission en Ehpad. Enfin, les chutes des sujets âgés induisent un fardeau psychologique chez les aidants familiaux. Cependant, elles ne sont pas une fatalité, et de nombreuses études montrent qu’elles peuvent être prévenues, de même que les fractures.2-4
Comment évaluer le risque de chute après 65 ans ?
Trois questions et trois tests cliniques simples permettent de distinguer les patients à risque faible, modéré ou élevé de chuter.
1. « Avez-vous fait une chute au cours de l’année qui vient de s’écouler ? » Le terme « chute » englobe les « pres-que chutes », c’est-à-dire le recours involontaire, en cas de déséquilibre, à un point d’appui inférieur (mettre la main au sol, tomber sur son canapé lors d’un déséquilibre).5 Chaque année, interroger sur les chutes sans blessures et les « presque chutes » doit être systématique, car elles ne sont le plus souvent pas signalées au médecin.
2. « Avez-vous peur de tomber ? Vous sentez-vous instable par moments ? Devez-vous faire attention pour marcher ? »
La peur de tomber, la sensation d’instabilité ou la marche précautionneuse, quand elle est significative, amène la personne à modifier ses habitudes en évitant les situations à risque (pas de sortie s’il pleut ou quand il y a du monde, par peur d’être bousculé(e), par exemple).
3. Un appui unipodal ou une posture pieds en tandem (un pied devant l’autre, le talon du pied antérieur touchant le gros orteil du pied postérieur), tenus dix secondes ou plus, signe l’absence de trouble de l’équilibre.
4. La capacité d’enchaîner cinq fois l’acte de se lever de sa chaise sans les mains, en quatorze secondes ou moins, dénote l’absence d’altération de la force musculaire des membres inférieurs, nécessaire pour éviter de chuter en cas de déséquilibre.
5. Le test timed up and go (TUG) consiste à demander à la personne de se lever d’une chaise installée à 3 mètres d’un mur, de marcher vers le mur sans le toucher, de faire demi-tour, de retourner à sa chaise et de se rasseoir. Un TUG effectué en moins de quatorze secondes affirme l’absence de trouble de mobilité, donc l’absence de difficulté à marcher.
6. Une personne qui doit faire attention pour marcher voit sa vitesse de déplacement diminuer en condition de double tâche (en attention divisée), ce qui augure un risque de chute. Une augmentation de cinq secondes du TUG lorsque cette personne doit compter à rebours de trois en trois à partir d’un nombre au hasard, ou porter un verre d’eau, témoigne d’une marche précautionneuse (stop walking when talking test).
Risque faible, modéré ou élevé de chute
Évaluer les six facteurs précédents permet de définir les trois profils de risque de chute suivants (
– le risque est faible en l’absence d’antécédent de chute répétées ou graves, de trouble de l’équilibre, de la force et de la mobilité ;
– le risque de chute est élevé s’il existe : des antécédents au cours de
la dernière année de chutes répétées ou avec blessure ou en cas d’impossibilité de se relever, ou une peur de tomber retentissant sur les activités quotidiennes, ou un trouble important de l’équilibre, de la marche ou de la force musculaire, ou un stop walking when talking test positif ;
– dans toutes les autres situations, le risque de chute est intermédiaire ou modéré.
Adapter la prise en charge au risque de chute
La démarche, systématisée, consiste notamment à identifier les mécanismes des chutes afin d’y remédier. L’analyse de la boucle d’adaptation posturale est essentielle.
Risque faible : conseils et éducation
Si le risque de chute est faible, les principales recommandations associent un suivi régulier par le médecin traitant pour adapter les prescriptions et réévaluer le risque chaque année, ainsi que la pratique d’une activité physique régulière6, 7 et de mesures d’éducation pour la santé (
Risque élevé : identifier le(s) mécanisme(s) des chutes
Les patients à haut risque nécessitent une prise en charge individualisée, au mieux en lien avec une équipe gériatrique (consultation ou hôpital de jour gériatrique, de type « clinique de la chute », sur le modèle des falls clinics anglo-saxonnes8), évaluant et traitant l’ensemble des facteurs corrigeables (pathologies et médicaments). La démarche repose sur une analyse exhaustive des trois étages de la boucle d’adaptation posturale pour identifier les causes de chute, l’aménagement du domicile, le traitement d’une éventuelle ostéoporose et des carences en vitamine D (tableau 3).
Étage 1 : Organes/fonctions impliqués dans les afférences sensorielles nécessaires à l’équilibration
La vision : l’examen par un ophtalmologiste permet de corriger les troubles visuels (cataracte en particulier). Dans ce cas, l’évaluation du domicile, au mieux par un ergothérapeute, est d’autant plus importante.
Le vestibule : si le patient décrit une instabilité ou des chutes au changement de position de la tête (en se retournant, par exemple), souvent à type de sensation vertigineuse, ou l’impression d’être attiré sur un côté à la marche, il doit être orienté vers un médecin ORL.
Sensibilité profonde : les organes qui apportent le plus d’informations proprioceptives sont le pied, la cheville, les rachis lombaire, dorsal, cervical, et la mandibule. En conséquence :
Le pied : un examen systématique par un podologue/pédicure permet de traiter les pathologies du pied, de confectionner au besoin des semelles plantaires thermoformées et d’adapter le chaussage ;
La cheville : toute raideur ou douleur de cheville doit faire l’objet d’une prise en charge étiologique et d’une kinésithérapie ;
Le rachis : toutes les causes de douleurs et raideurs rachidiennes doivent être traitées ;
L’appareil manducateur : si l’instabilité s’accompagne de problèmes d’occlusion dentaire, de douleurs de l’articulation temporo-mandibulaire, de céphalées, de douleurs cervicales, de bruxisme, de non-alignement inter-incisif, un avis orthodontique et/ostéopathique se justifie. Le port d’une gouttière corrective pourra être proposé.
Étage 2 : Organes/fonctions impliqués dans l’intégration centrale des afférences sensorielles
L’analyse des organes d’intégration centrale de l’information sensorielle comporte plusieurs étapes :
Le cervelet : en cas de chute par sensation ébrieuse, l’examen montre une ataxie cérébelleuse, des difficultés de coordination. Il recherche des médicaments (
Sensibilité profonde : s’il s’agit d’une chute par trouble proprioceptif central, le patient se sent instable, surtout les yeux fermés. L’examen de la sensibilité profonde est anormal, avec un signe de Romberg ;
Les noyaux gris centraux : en cas de marche à petits pas, de difficulté au demi-tour et au stop walking when talking test, un syndrome parkinsonien doit être évoqué. Quand le syndrome parkinsonien prédomine au niveau des membres inférieurs, on parle de « lower body parkinsonism » vasculaire. L’IRM cérébrale révèle des lésions vasculaires sous-corticales liées à des facteurs de risque vasculaires insuffisamment traités (hypertension artérielle, diabète, fibrillation atriale, en particulier) ;
Les fonctions cognitives : tout chuteur doit bénéficier de tests neurocognitifs, au minimum le test de l’horloge, les 5 mots de Dubois, le MMS (mini-mental score). La chute est en effet l’un des premiers symptômes de la paralysie supranucléaire progressive et de la maladie à corps de Lewy. Dès qu’une altération des fonctions cognitives est notée, même minime, un bilan paraclinique doit être engagé ainsi qu’un examen général à la recherche d’une cause de confusion. Une imagerie cérébrale est indiquée, à la recherche d’un hématome sous-dural chez les chuteurs à répétition ou si l’instabilité s’est accrue après une chute, d’une hydrocéphalie chronique de l’adulte (signes urinaires, cognitifs et instabilité).
L’examen clinique recherche un fécalome, une rétention vésicale ou une infection urinaire car ces situations favorisent la chute en cas d’altération cognitive et posturale.
Le bilan biologique, systématique, permet de repérer et de corriger une hyponatrémie, souvent médicamenteuse (antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine notamment), une hyperglycémie, une hypoglycémie, une hypercalcémie, en particulier ;
Le cœur : en cas de chute par malaise/syncope, les patients ne se souviennent pas du contexte et se blessent le plus souvent, en particulier à la face, du fait de l’absence de réflexe de protection. Un avis cardiologique/neurologique est urgent, à la recherche notamment d’un trouble du rythme cardiaque ou d’une épilepsie ;
Hypotension orthostatique : une instabilité ou des chutes liées à une hypotension orthostatique (réduction de 20 mmHg de la pression systolique ou de 10 mmHg de la pression diastolique après passage du décubitus à la station debout), avec accélération ou non du pouls, imposent l’arrêt et la substitution par d’autres molécules des alphabloquants, dérivés nitrés et anticholinergiques, voire un traitement spécifique (ex : midodrine en cas de maladie de Parkinson) ;
Troubles du sommeil : si les chutes s’accompagnent d’une somnolence diurne et/ou de levers nocturnes, il faut rechercher un syndrome d’apnées obstructives du sommeil, ce d’autant que le patient est hypertendu ou si son hypertension est labile.
Étage 3 : Organes/fonctions impliqués dans le message moteur visant à prévenir le déséquilibre
Un déficit de force musculaire, en particulier lié à une maladie neurologique et aux atteintes articulaires, de genou et de hanche notamment, peuvent favoriser les chutes :
Déficit de force des releveurs du pied : La prescription d’un releveur du pied est justifiée en présence d’un déficit de flexion dorsale (chutes par accrochage d’objets au sol) ;
Déficit moteur plus global des membres inférieurs : il impose d’éliminer une cause générale : neuropathie, myopathie, hypothyroïdie, hypercalcémie ;
Coxarthrose, gonarthrose et troubles expliquant un dérobement du genou nécessitent une prise en charge ;
Neuropathie périphérique, en cas de plainte motrice ou sensitive.
Révision de l’ordonnance
Tout médicament ayant un effet sur l’un des 3 étages de la boucle d’adaptation posturale est inducteur de chute. Ainsi, devra être systématiquement discutée la diminution progressive, en lien avec les prescripteurs, des médicaments :
Psychotropes : ils sont en première ligne des médicaments inducteurs de chute (
Inducteurs d’hypotension orthostatique (alpha-boqueurs, dérivés nitrés,…)
Inducteurs de malaises (anti-arythmiques, bradycardisants, médicaments qui induisent un allongement du QT, médicaments hypoglycémiants…)
Inducteurs de troubles métaboliques : hyponatrémie (anti-dépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine en particulier), hyperglycémie, hypo-, hypercalcémie…
Vitamine D, ostéoporose, rééducation, soutien psychologique et social
Dosage de la vitamine D : il est recommandé de même qu’une supplémentation en 25-OH vitamine D pour obtenir un taux sérique compris entre 30 et 60 ng/mL.
Ostéodensitométrie : elle est recommandée. Un traitement anti-ostéoporotique sera discuté de même que la prescription de protecteurs de hanches chez les patients d’Ehpad.
Programme de rééducation : il doit être individualisé, effecué par un kinésithérapeute ou un professionnel de l’activité physique adaptée (APA). Il vise à améliorer l’équilibre statique et dynamique, les réactions parachute en cas de déséquilibre et la force musculaire, à augmenter les amplitudes articulaires des chevilles, hanches et rachis, à augmenter l’endurance et travailler le relever du sol.
Un programme d’éducation thérapeutique reprenant les éléments du
Prise en charge nutritionnelle : elle est recommandée en cas de sarcopénie (diminution de force et de masse musculaire).
Prise en charge psychologique : en cas de peur de tomber, elle est assurée par un psychologue ou une psychomotricienne en plus de l’intervention du kinésithérapeute ou du professionnel de l’APA.
Sécurisation du domicile : elle est au mieux réalisée par un ergothérapeute.
Prise en charge sociale : une télé-alarme doit être discutée de même que des aides humaines, en lien avec l’assistante sociale.
Réévaluation à 1-3 mois : elle sera d’autant plus rapprochée que le risque de chute est important.
Que faire si le risque de chute est intermédiaire ?
La prise en charge par le médecin traitant comporte :
La correction des causes d’instabilité, comme chez les patients à haut risque de chute, sur la base de l’analyse des 3 étages de la boucle d’adaptation posturale (pathologies, médicaments [cf ci-dessus]). Le médecin peut s’aider d’une évaluation spécialisée, gériatrique ou autre.
La prescription d’une activité physique adaptée (APA) : celle-ci doit être coordonnée par un professionnel APA, dispensant un programme dont la capacité à améliorer l’équilibre des patients âgés à risque modéré de chute est démontrée (ex : programmes Siel Bleu, PIED [Programme intégré d’équilibre dynamique], Otago, méthode PEM-ES [Posture-Équilibration-Motricité et Éducation pour la Santé]).7, 8
Quel est le rôle du médecin traitant ?
Les médecins traitant seront de plus en plus impliqués dans la prévention des chutes après 65 ans en :
• évaluant chaque année le risque de chute de leurs patients âgés, à travers six questions et examens simples ;
• adaptant la conduite à tenir au profil de risque, avec :
– chez toutes les personnes, des conseils, incluant une activité physique régulière ;
– en cas de risque modéré, une révision régulière de l’ordonnance, le traitement des affections altérant la boucle d’adaptation posturale et une activité physique adaptée (APA) coordonnée par un professionnel ;
– chez les patients à haut risque de chute, un bilan personnalisé au mieux réalisé en lien avec une équipe gériatrique pour corriger tous les facteurs de risque et mettre en place une aide psychosociale
• réévaluant le risque et en n’hésitant pas à demander un avis spécialisé, gériatrique tout particulièrement, d’autant que le risque de chute est élevé.
Rechercher la prise de psychotropes sur l’ordonnance
L’une des premières causes de chute est la prise d’un ou plusieurs médicaments psychotropes. C’est le cas en particulier des benzodiazépines, des anti-dépresseurs, tricycliques ou inhibiteurs sélectifs de la sérotonine, et des neuroleptiques, mais tous les psychotropes peuvent être en cause. De nombreuses études ont montré qu’une réduction progressive des médicaments psychotropes, quand elle est possible, abaisse de plus de 60 % le risque de chute. Le médecin ne doit pas hésiter à se faire aider (avis gériatrique/psychiatrique) pour mettre en place cette révision de l’ordonnance.
1. SilverEco. Le coût des chutes des personnes âgées estimé à 2 milliards d’euros pour les collectivités [en ligne]. 2016. Disponible sur : https://www.silvereco.fr/le-cout-des-chutes-des-personnes-agees-estime-a-2-milliards-deuros-pour-les-collectivites/3157058
2. Santé publique France. Prévenir les chutes : un dispositif d’information pour le grand public et les professionnels [en ligne]. 2019. Disponible sur : https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2019/prevenir-les-chutes-un-dispositif-d-information-pour-le-grand-public-et-les-professionnels
3. Société française de documentation et de recherche en médecine générale, HAS. Recommandations pour la pratique clinique. Prévention des chutes accidentelles chez la personne âgée. Fiche de synthèse [en ligne]. 2005. Disponible sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/Prevention_chutes_fiche.pdf
4. HAS, Société française de Gériatrie et Gérontologie. Recommandations professionnelles. Outil d’évaluation des pratiques. Évaluation et prise en charge des personnes âgées faisant des chutes répétées [en ligne]. 2009. Disponible sur : http://www.anfe.fr/images/stories/doc/rapports/chutes_repetees_personnes_agees_-_outil_devaluation_des_pratiques.pdf
5. OMS, Organisation mondiale de la santé. Chutes [en ligne]. 2021. Disponible sur : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/falls
6. Bernard PL, Cadopi M, Blain H, Ninot G. Prévention de la perte d’autonomie et de la chute de la personne âgée : la méthode « Posture-équilibration-motricité et éducation pour la santé » (PEM-ES) (2020). La Revue de Gériatrie 2020;9:543-56.
7. Inserm. Activité physique et prévention des chutes chez les personnes âgées. Expertise collective [en ligne]. 2014. Disponible sur : https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/media/entity_documents/inserm-ec-2015-chutespersonnesagees-synthese.pdf
8. Blain H, Dabas F, Mekhinini S, Picot MC, Miot S, Bousquet J, et al. Effectiveness of a programme delivered in a falls clinic in preventing serious injuries in high-risk older adults: A pre- and post-intervention study. Maturitas 2019;122:80-6.